Envoyer son 9 à 5 au diable… Tout plaquer et aller pianoter sur son laptop les pieds dans le sable, à Bora Bora, en sirotant du jus de coco? Ça fait rêver tout le monde.
Ce fantasme est devenu réalité pour ceux que l’on nomme les «nomades digitaux». Phénomène socio-économique apparu progressivement, dès la fin des années 2000, la tendance a de fait décollé sous l’effet de la pandémie de Covid-19. Mais c'est surtout l’ubiquité croissante de nos sociétés post-Zoom et Google Meet qui a permis cette petite révolution du monde du travail.
À l’heure où les personnes tentées par l’expérience – et les entreprises qui le permettent – se font de plus en plus nombreuses, Blick plonge dans les mondes colorés de deux aventuriers à PC. De quoi donner envie de faire sa valise.
Sable blanc et rencontres de fortune
«Pour moi, c’est compliqué d’être toute l’année au même endroit. J’ai l’impression de ne pas être assez stimulé, de manquer une partie de ma vie. J’adore être au contact de différentes cultures, d’apprendre en permanence, de vivre des expériences palpitantes plus que quatre semaines par année…» À 35 ans, Gaël Spieler est un pionnier dans le monde du nomadisme digital. Il a entrepris de quitter le sol helvète pour les plages de sable blanc il y a huit ans déjà, et a parcouru de nombreux endroits dans le monde. Aujourd’hui, ce Suisse originaire de la Riviera vaudoise vit sa meilleure vie sur l’île thaïlandaise Koh Samui – tout en travaillant pour une start-up basée à… Singapour.
Qu’est-ce qui l’a poussé à partir? «La liberté!», scande fièrement Gaël. Depuis qu’il a quitté son poste de bureau, ce directeur des opérations a l’impression d’avoir optimisé son temps. Les trajets en train s’étant transformés en cafés pris avec vue sur la mer. Avant la retraite, hors de question de faire marche arrière: «Pour être honnête, je ne comprends pas qu’il y ait encore des entreprises qui travaillent en présentiel. Je ne reviendrai pas.»
Et l’isolement, alors? «Pour moi, l’argument du contact humain est une fausse excuse, rétorque Gaël. Certes, j’ai peu de contacts humains avec mes collègues, mais je travaille très souvent depuis des espaces communs comme les 'coworkings', les Starbucks etc. et je rencontre beaucoup de monde!»
Il troque donc volontiers les relations professionnelles traditionnelles contre des rencontres de fortune: «Ces espaces sont très enrichissants, comparé aux conversations de machine à café au bureau, puisque ces gens viennent d’endroits et d’horizons très différents, mais ont tous décidé d’adopter le même mode de vie. On se sent moins enfermé dans une bulle».
Une vie plus équilibrée?
Marion est psychologue du travail, employée à temps partiel. Après un voyage de quelques mois en Amérique du Sud, elle s’est rendu compte qu’elle ne voulait plus d’une vie de cabinet. Nomade depuis novembre 2020, la jeune femme de 28 ans a commencé crescendo; d’abord avec une expérience de woofing en Suisse (travail bénévole dans une ferme contre le gîte et le couvert). Elle jette ensuite son dévolu sur Tenerife, où elle rencontre son compagnon actuel, d’origine polonaise. Le couple décide alors de retaper un van ensemble – direction la Pologne. Désormais, la Lausannoise d'adoption est sur l’île grecque Evia depuis un mois.
«J’ai découvert ce mode de vie en voyageant, et je me suis vite rendu compte que cela me conviendrait parfaitement, explique la Française d'origine. Je n’ai vraiment pas envie d’habiter au même endroit toute ma vie! Cela m’a permis de trouver un meilleur équilibre, entre le travail et d’autres activités. J’adore le kitesurf, par exemple… Une passion difficilement praticable en Suisse.»
Pas tous égaux
Mais alors, que faisons-nous encore derrière nos postes fixes? Pas si vite. Si ce mode de vie paraît, de prime abord, extrêmement attrayant, l’on ne peut pas dire qu’il soit fait pour toutes les professions. Ni pour tous les tempéraments. «Si l’on est quelqu’un de réservé ou de timide, il sera peut-être plus dur de se créer un nouveau réseau», avertit Gaël.
Marion, quant à elle, évoque la distance avec les proches comme principal inconvénient: «Evidemment, nous sommes éloignés de nos amis et de notre famille. Et parfois, cela me manque effectivement de travailler en face-à-face. Mais je ne recherche pas vraiment l’aspect social dans mon travail, étant en freelance. En revanche, je rencontre beaucoup de gens via mes passions et mes activités.»
Outre l’aspect relationnel, ce style de vie n’est pas pour les dépensiers et les dissipés: «Il faut vraiment bien assurer ses arrières, souligne encore Gaël. En Suisse, nous sommes dans un pays qui bénéficie d’un certain nombre de sécurités sociales: chômage, aide sociale… Or, ce n’est absolument pas le cas dans la majorité des autres pays. Il faut être prévoyant, car de fait ça ne marche pas toujours, et surtout pas pour tout le monde. Ce n’est pas un mode de vie fait pour tous les caractères et toutes les qualifications.»
Pas de quoi se décourager cependant, si la motivation – et surtout la possibilité – sont au rendez-vous. Le vétéran du nomadisme digital a-t-il un ultime conseil pour qui veut se lancer? «Il ne faut pas être paralysé par la peur. C’est le pas à sauter pour vivre une vie plus inspirante. Il faut simplement le faire de manière intelligente, et se protéger.»