Le point commun entre Jean-Marie* des Franches-Montagnes, Anja* de quelque part en Suisse alémanique et Jonathan* du Gros-de-Vaud? Tous m’ont appelé et c’était très gênant.
Je vous rejoue la scène rapidos. Je décroche, comme d’habitude:
– Oui, allô, ici Antoine…?
– [Silence] Que me voulez-vous? J’ai un appel en absence de votre part.
Fuck! Aucun souvenir d’avoir cherché à les avoir au bout du fil. C’est vrai, mon téléphone est mon outil de travail, je passe ma journée à joindre — surtout essayer de joindre — les gens qui font l’actualité. Je n’enregistre que rarement les numéros (grossière erreur de flemmard). Mais là, ces personnes ne me disent vraiment rien. Ma mémoire de journaliste, qui saute d’un sujet à l’autre comme un morfal, demeure un puzzle incomplet et me fait défaut, malgré les maigres détails que j’arrive à arracher à mes interlocuteurs.
Un mal: le spoofing téléphonique
C’est arrivé une dizaine de fois ces derniers jours. L’histoire se répète, je ne tique pas, je pense à des erreurs. Jusqu’à ce qu’un certain Charles* fasse vibrer mon smartphone, le 19 janvier, à 12h12. «Vous m’avez appelé il y a trois minutes», appuie-t-il, en mâchant son agacement. Impossible! Il y a trois minutes, j’étais au fond de mon lit, terrassé par une affreuse crève aux allures de malaria et en pleine réflexion existentielle: si je mets les quelques forces qu’il me reste pour jouer à FIFA, ma guérison s’en trouvera-t-elle compromise?
Mon corps est douloureux, des frissons le parcourent inlassablement, sans aucune pitié. Je suis en position de faiblesse, je pense à ma fin. Mais, cette fois, je percute. Peut-être grâce à l’exceptionnelle lucidité que m’offre mon Dry January? Je prends congé de Charles et compose le numéro de mon opérateur. Un homme à la voix chaude et rassurante décroche. Il écoute religieusement mon témoignage. Le diagnostic tombe: «Monsieur Hürlimann, vous êtes victime de spoofing téléphonique.»
C’est grave, Docteur? Pas vraiment. Enfin, ça peut. C’est surtout relou, en fait. En gros: quelqu’un utilise mon numéro pour appeler des gens, probablement dans le but d’obtenir des mots de passe, des informations bancaires, saisir des codes de rechargement ou, plus prosaïquement, obtenir de l’argent. Mais pourquoi une personne technophile et mal intentionnée utiliserait spécifiquement mon 07? Pour pousser les individus de l’autre côté du combiné, habitués comme vous et moi au démarchage téléphonique et aux indicatifs bizarroïdes, à décrocher face à une suite de chiffres plus familière. Pas bête.
Patienter ou… changer de vie
La mort me guette. Je délire un peu. L’idée d’être accusé d’escroquerie par une vieille dame diabétique, bientôt amputée des membres inférieurs et qui aurait vidé son maigre compte épargne après avoir été abusée par celui qui usurpe mon identité téléphonique, me terrifie autant qu’elle m’excite. Le standardiste interrompt la machine à fantasmes.
- J’ai écrit dans votre dossier que vous êtes victime de spoofing. Comme ça, en cas de plainte, vous êtes à l’abri.
- Super! Et sur le fond, on fait comment pour que toute la Suisse arrête de m’appeler?
- C’est plus compliqué… C’est souvent éphémère, je vous conseille d’attendre une semaine et de rappeler si les appels continuent d’ici-là. Nous avons une procédure interne, mais je ne peux pas vous garantir qu’elle aboutira. C’est difficile, je ne veux pas vous faire de fausses promesses.
Définitivement, rien n’est simple dans la vallée de larmes qu’est la vie. La Fédération romande des consommateurs (FRC), qui connaît la plaie qu'est le spoofing depuis des années, confirme mon défaitisme sur son site internet. Elle recommande également d’attendre que l’orage passe. Car, toujours selon elle, la seule alternative que peut proposer l’opérateur est de changer de numéro. Autant changer de vie.
«Après la pluie, le beau temps», répètent à tue-tête les naïfs lovés dans leur confortable ignorance. Mais peut-être ont-ils raison… Aujourd'hui, ma malaria en stade terminal n'est plus qu'une petite toux sèche. Ce rétablissement miracle est forcément porteur d'espoir. D'ailleurs, depuis ce week-end, plus aucun inconnu contrarié ne m'a appelé. Tout bien considéré, la vie serait-elle aussi une vallée de roses, comme le disait Jean d'Ormeson?
*Tous ces prénoms sont fictifs, l'auteur de cet article n'ayant pas retenu les vrais.