Le défi est vaste: survivre au mois le plus interminable de l'année sans boire la moindre goutte d'alcool. Alors que les millions de participants au Dry January viennent de dépasser la moitié de leur challenge, la difficulté menace d'accroître chaque jour, à l'instar d'un jeu vidéo taille réelle qui bascule au niveau suivant. La peur du jugement, la puissance de l'habitude et l'appel irrésistible du cocktail, alors qu'on arpente sobre le plancher collant d'une boîte de nuit, risqueraient de faire flancher les plus tenaces d'entre nous.
Ainsi que nous l'avaient expliqué deux spécialistes dans un article consacré à la pression sociale qui entoure l'alcool, ces injonctions sont enracinées dans un instinct purement grégaire: on veut faire partie du groupe, se sentir inclus, participer aux activités qui rassemblent et rapprochent les membres d'un même cercle social. Or, il ne s'agit évidemment pas de l'unique facteur à prendre en compte.
Car le Dry January cristallise une multitude d'éléments complexes, très personnels à chaque participant. Pour mettre en lumière les enjeux réels de ce challenge, nous avons demandé à Zoé, Luana et Benjamin Décosterd de nous raconter leur expérience jusqu'ici, la source de leur motivation, leurs prises de conscience et les principaux obstacles rencontrés en chemin. Ils ont eu la gentillesse de nous les partager, et on parie que vous vous reconnaîtrez dans leurs récits aussi authentiques que déculpabilisants.
Zoé, 29 ans
«Cela faisait un moment que je me posais des questions sur ma consommation d’alcool. Je ne bois quasiment jamais en semaine, mais c’est vrai que je sors beaucoup pendant le weekend. Sur Instagram, je voyais des personnes remettre en question leur consommation et ça m’a inspirée à tenter l'expérience du Dry January.
C’est assez difficile d’arrêter de boire, sachant qu’il existe quand même une certaine pression sociale: quand on annonce qu’on renonce à l'alcool, on peut passer pour une rabat-joie et s’attirer certains commentaires. Par contre, puisque le Dry January est un concept connu et socialement accepté comme étant un défi collectif, c’est plus facile d’expliquer qu’on veut y participer, sans devoir se justifier. Grâce à l’effet de groupe, on se sent plus motivé!
En revanche, si j’avais décidé d’arrêter l’alcool à un autre moment de l’année, je crois que les choses ne se seraient pas déroulées de la même manière. Mon entourage aurait posé des questions, insisté pour que je boive quand même un petit verre… Même au sein de ma famille, c’est normal de boire du vin avec le repas. Je pense que l'idée selon laquelle on ne profite pas vraiment de la vie quand on ne boit pas existe encore.
En fait, j'étais surtout curieuse de découvrir comment je réagirais au défi, si j'allais me sentir mieux, si j'allais être plus concentrée au travail… (c'est la «Sober curiosity», ndlr). Car l’habitude de sortir et de boire les weekends avait quand même un impact sur ma vie. Après plusieurs semaines sans alcool, je remarque effectivement que j’ai plus d’énergie, que je me sens mieux en général et que je peux profiter de mes weekends.
J’ai tenu à maintenir toutes mes activités, à sortir en boîte même sans boire, et je remarque que je m’amuse quand même! J’en suis même venue à me demander si je n’étendrais pas le défi au-delà du mois de janvier. On verra! L’idée d’arrêter totalement l’alcool me parait un peu drastique, mais j’aimerais bien trouver un meilleur équilibre, maintenant que je me suis prouvé que je peux tout à fait m’amuser sans alcool! Je ne voudrais pas diaboliser l’idée de boire, mais le Dry January peut clairement être bénéfique pour faire une petite pause et prendre du recul sur ses habitudes.»
Benjamin, 31 ans
«C’est la deuxième fois que je me lance dans le Dry January, mais je ne suis pas adepte des hashtags et des slogans niais en mode 'l’important, c’est la soif de vivre (hihi)'. Ça a l’effet inverse, ça me donne envie de picoler. On dirait qu’on a remplacé les religions par des challenges sur les réseaux sociaux! Mon but était plutôt de tester l'expérience et voir comment je réagissais.
La dernière fois, en 2022, (comme il le racontait dans «Les Beaux Parleurs», ndlr) j’avais tenu à peu près jusqu’au bout. C’était quand même compliqué, puisque mon boulot implique des rapports interpersonnels qui se créent et s’entretiennent souvent autour d’un verre. J’avais goûté le gin sans alcool, mais il faut absolument dire aux gens de ne jamais boire ça: c’est dégueulasse.
Cette fois, j’ai décidé de relever le défi pour une raison tout à fait futile et frivole: je me suis fait décolorer les dents et j'ai reçu la consigne de me nourrir uniquement d’aliments blancs comme le poulet, le riz, et le fenouil pendant 48 heures. L'alcool et la nicotine sont aussi proscrits! Je me suis dit que, quitte à m’infliger ça, autant planifier l’intervention dentaire en janvier et la combiner avec le Dry January!
D'ailleurs, quand j'ai fait votre test pour évaluer ma relation à l’alcool, j’ai obtenu 12/40, indiquant que je ne suis pas alcoolique, mais que ma consommation présente un certain risque de développer une dépendance. Quand je bois, c’est vraiment pour le côté social, l’envie de profiter d’un repas au restaurant ou chez des amis, en me versant un verre de vin. Je suis complètement revenu de cette fierté qu’on ressent, pendant l'adolescence, en sortant tous les weekends et en clamant qu’on a trop bu.
L’alcool, c’est sympa jusqu’à ce que ça ne le soit plus du tout: oui, il se passe des trucs marrants après quelques verres, mais il faut garder à l'esprit que ce genre de substance peut avoir des conséquences lourdes. Je suis marié à une gastro-entérologue, et on a déjà parlé de la cirrhose – irréversible à partir d’un certain point – alors j’ai bien conscience des risques. Dans ce sens, le Dry January me permet de prendre ce pas de recul sur mes habitudes en général. Par contre, je pars en voyage à la fin du mois de janvier et je sais déjà que je vais boire un verre à l’aéroport, après avoir passé la sécurité. C’est là que les vacances commencent vraiment.
Je ne pense pas qu’un mois sans alcool va révolutionner ma vie, mais j’aurai peut-être plus tendance à me demander si j’ai vraiment besoin de cette abricotine après ce repas déjà arrosé… Et peut-être que la réponse sera oui. Mais comme disent les coachs de vie: 'l’important, c’est de s’écouter (#Blessed)' Plus sérieusement: je ne peux qu’encourager les gens à essayer, pour faire le point sur leur consommation.»
Luana, 29 ans
«Pendant une discussion avec mon groupe d’amis, on a eu l’idée de faire le Dry January ensemble. Comme j’aime beaucoup faire la fête, je me suis dit que c’était une bonne occasion d’essayer. Mais je n’ai pas réussi à tenir plus d’une semaine. Peut-être que je n’avais pas mesuré la difficulté du challenge dans lequel je m’étais spontanément engagée: en voyant que plusieurs soirées s’organisaient en janvier, j’ai bien pensé que ce serait plus compliqué que prévu!
Un soir, je me suis retrouvée au restaurant avec mes potes, qui me demandaient pourquoi je ne buvais pas et me charriaient un peu. Je craignais qu’on me juge, qu’on me trouve moins drôle, moins cool ou différente, si je ne buvais pas. En vérité, quand je ne bois pas, je sais que je risque de me sentir en décalage avec les autres, moins intégrée ou même exclue du groupe. Et cette peur-là a fini par faire pencher la balance. Quand j’ai craqué, mon discours intérieur n’était pas très bienveillant. Je me suis reproché de ne pas réussir à tenir mes objectifs, je n’ai pas été très gentille avec moi-même.»
Des associations sont là pour vous aider en cas d'addictions. Si vous vous sentez en danger, prenez contact avec des spécialistes.
L'association Addiction Suisse possède une ligne téléphonique gratuite au 0800 105 105.
Vous pouvez également retrouver le répertoire des ressources en Suisse sur le site de Rel'ier.
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