France 2, «Closer», «L'illustré», «Le Temps», Darius Rochebin, la RTS: Lynn Bertholet a l'habitude des médias. Elle y a raconté sa transidentité, son combat pour pouvoir changer de genre à l'état civil avant de se faire opérer, sa bataille pour se faire rembourser son augmentation mammaire et la correction de ses arcades sourcilières. Ainsi que, surtout, sa «deuxième naissance» — son réveil dans un corps de femme, le 12 janvier 2017.
Ex-directrice dans une banque privée genevoise et ancienne chargée de cours à l'Université de Genève, l'économiste n'est, en revanche, pas du tout rompue aux interviews politiques. Et pour cause: membre du comité des Verts du bout du Léman depuis le 21 mai 2022, cette brillante diplômée de HEC Lausanne et de la prestigieuse Graduate School of Business de Standford, en Californie, n'a jamais exercé de mandat électif.
Mais la donne pourrait bientôt changer: dans sa cuisine, qui est aussi celle des locaux de «son» association Epicène, organisation venant en aide aux personnes trans, elle annonce à Blick sa volonté de briguer un siège au Grand Conseil, mais aussi au Conseil national. Lynn Bertholet a davantage de temps depuis un an et demi et la perte de son emploi, en février 2021. Un licenciement que la sexagénaire attribue à sa transition d'homme à femme.
Son parti décidera s'il valide cette double candidature. Pour réussir son pari, la sexagénaire compte bien s'appuyer sur son expérience professionnelle et son expertise économico-financière. Parcours de vie, inflation, logement, armée, santé des personnes trans, mouvements réactionnaires transphobes: celle qui est aussi mannequin n'esquive aucune question et se livre sans fard.
Alors, vous nous l'annoncez officiellement: vous vous lancez pour de bon en politique?
Oui, c'est vrai. J’aimerais figurer en 2023 sur les listes pour le Grand Conseil genevois et le Conseil national. Siéger à Berne, c’est un rêve, un fantasme. Je ne peux toutefois pas parler d'ambition, parce que si je n’y arrive pas, je ne vais pas être déçue. Mais mon ego trouve que je le mériterais — j’ai fait beaucoup pour la communauté trans. On verra si je convainc lors des élections internes et si le parti me permet de me mettre sur ces deux listes.
Cette représentativité, elle manque?
Un jour, j’ai rencontré la maman d’un jeune trans. Je lui ai donné quelques renseignements, des adresses. Et à la fin, elle m’a dit: «Madame, je vous remercie beaucoup, parce qu’en vous voyant, j’ai l’impression que mon fils a un avenir». Les représentations positives sont importantes, nous avons besoin d'exemples, de role models.
Est-ce qu’on n’en fait pas déjà trop dans les médias autour de la question de la transidentité?
Non. Nous avons été invisibles pendant très longtemps. C’est tout une culture que nous devons changer. Comme pour ce qui est des discriminations raciales et de la mixité, par exemple. Il y a un réel manque de représentation dans les sphères de pouvoir — c'est pour cette raison que je veux faire de la politique, pour les intégrer.
À l’heure de l’inflation, de la crise économique, certaines personnes estiment qu’il y a des combats prioritaires…
Ces gens ne connaissent pas la matrice d’Eisenhower, cette théorie de management qui distingue ce qui est important de ce qui est urgent. Il y a des combats qui sont urgents aujourd’hui mais qui n’ont que peu d’importance à long terme. Par exemple, il est urgent de mettre en place des mesures contre l’inflation, mais on sait la gérer. Pour le dérèglement climatique, on sait ce qu’on devrait faire depuis longtemps, mais on n’agit pas même si c'est une question de survie de l'espèce. Le climat, c'est donc important, et c'est devenu urgent. En revanche, le chômage des personnes trans, on ne sait pas le gérer, pas plus que les questions médicales pour les personnes trans. Et quand on parle de transidentité, on parle souvent de vie et de mort.
Sur la polémique qui a suivi l’interruption de la conférence des psychanalystes françaises à l’Université de Genève, vous vous positionnez comment?
J’étais à cette conférence. Leur bouquin s’inscrit dans une approche réactionnaire qui m’inquiète beaucoup. Ces gens-là sont comme les climatosceptiques. Aujourd’hui, aux HUG, au CHUV et à Zurich, des professionnels sont formés aux standards en place et suivent très bien et avec compétence les jeunes trans. C’est aussi pour ça que j’aimerais faire de la politique: pour montrer que ce que ces autrices disent est fondamentalement et scientifiquement faux. Cela peut mener à des désastres familiaux et des suicides.
À vos yeux, les activistes ont bien fait d’interrompre cette conférence?
Non. J'ai d'ailleurs dit aux militantes et militants que ce n’était pas une bonne idée, cela a juste permis à Caroline Eliacheff et Céline Masson de se victimiser.
Est-ce qu’on peut faire d’une identité de genre un programme politique?
Non. Je vais vous le dire très clairement: ma transidentité est l’une de mes caractéristiques, mais je ne veux pas être élue pour ça! Je veux être élue parce que j’ai des compétences: en économie, en management, en politique sociale... Je me verrais bien comme le pendant chez les Verts du socialiste vaudois Samuel Bendahan, très pointu sur les questions économiques. J’ai occupé des postes de direction dans des banques, j’ai enseigné 18 ans à l’Université de Genève et j’ai une vision pour notre société.
Vous avez un exemple?
Malgré des salaires parfois élevés, je suis restée locataire toute ma vie parce que je n’avais jamais les fonds propres nécessaires. Plus j’essayais de mettre de côté, plus les prix de l’immobilier montaient et moins j’avais les 20% de fonds propres nécessaires à l’achat d’un bien. Pour moi, la vraie protection du locataire, c’est lui permettre d’acheter son logement. Je serais pour qu’on puisse acheter un logement sur le modèle d’un leasing, comme pour une voiture, avec la possibilité de déduire les intérêts payés des impôts, comme pour un crédit hypothécaire. Ça ne coûterait pas plus que de payer un loyer.
Pourquoi avoir rejoint les Verts?
D’abord pour toute la question climatique. Je ne veux pas dire que je souffre d’éco-anxiété, mais je pense que ce que ma génération va laisser à la suivante, c’est dramatique.
Vu votre parcours professionnel et académique, on vous aurait plutôt imaginée du côté de la droite…
Je crois en la liberté d’entreprendre, en la liberté individuelle et je ne pense pas que ce soit antinomique avec le combat des Verts. Mais je reconnais que j’ai changé au fil des ans. J’étais très convaincue par ce que j’avais appris à l’université, je pensais que le marché allait régler cette question. Mais cela ne fonctionne pas! Pire, quand on essaie d’introduire une taxe CO2 pour intégrer le coût climatique aux prix, les partis de droite luttent contre. Le marché est sans doute le moins mauvais des systèmes, mais on doit admettre qu’il faut le réguler beaucoup plus et ralentir. Ceci dit, j’ai toujours voté pour Daniel Brélaz quand j’habitais à Lausanne.
Vraiment?
J’ai toujours été antinucléaire. Dès mes 18 ans, je me disais que si une centrale nucléaire venait à exploser, la conséquence serait tellement grande que même si le risque était proche de zéro, il ne pouvait pas être considéré comme nul. C’était avant Tchernobyl. Et quand je vois l’état des glaciers aujourd’hui, en tant que fille de guide de montagne, je suis effondrée. Les mesures prises ne sont pas assez fortes et pas assez rapides.
Les Vert'libéraux ne vous attiraient pas?
En règle générale, je n'aime pas les opportunistes. Chez les Vert'libéraux, il y en a beaucoup. Ce sont des gens de droite qui défendent le climat parce que c'est à la mode. Pour autant, je ne suis pas toujours alignée sur les positions de mon parti. Je ne suis par exemple pas une antimilitariste, j’ai voté contre la suppression de l’armée et pour les avions de combat. Pour avoir la paix, il faut préparer la guerre. On le voit bien avec la guerre en Ukraine: face aux autocraties, il faut être fort. Et de l’autre côté, pour lutter contre les autocraties, il faut de l’aide au développement, qui permettrait aussi aux populations de pouvoir rester dans leurs pays.
Votre engagement politique, c’est l’aboutissement d’un parcours de vie, de batailles juridiques, mais aussi de votre médiatisation, non?
Je ne pensais pas faire de la politique à l'époque. Mais, avec du recul, tout ça, ça a commencé quand je montais mon dossier juridique pour être la première femme reconnue à Genève sans passer par une opération. C’était déjà possible à Zurich, et il existait déjà en 2002 des jugements de la Cour européenne déterminant qu’un État ne peut pas forcer quelqu’un à se faire opérer pour changer de genre.
Pourquoi était-il urgent que ça change?
Pour moi, c'était indispensable de pouvoir le faire avant de me faire opérer. Mon employeur m’avait dit: «Vous ne viendrez pas travailler dans votre genre ressenti tant que vous n’aurez pas vos papiers en conformité». Durant cette période, j’avais écrit à la RTS après une interview d’un chirurgien qui disait des hérésies pas possibles. Quelques jours après, une journaliste m’a appelé parce qu’elle préparait une émission sur le parcours du combattant des transgenres. Et puis, «L’illustré» m’a contactée. Ils en ont fait six pages. A partir de là, il y a eu «Closer», France 2, la RTS plusieurs fois... Entre-temps, j’ai fini par gagner ma procédure judiciaire.
Depuis le 1er janvier, changer de genre est devenu très simple à l’état civil. Cette procédure simplifiée, c’est un peu votre œuvre…
Après la première émission que j’ai faite sur RTS La Première, Liliane Maury Pasquier, qui était conseillère aux États socialiste et membre du Conseil de l’Europe, avait écrit à l'émission pour savoir comment elle pouvait faire avancer notre cause. La journaliste l'avait renvoyée vers moi. Nous avons échangé, j’ai travaillé avec son assistante parlementaire et elle a déposé son interpellation.
Quelle interpellation?
Le texte dénonçait la situation catastrophique des personnes trans en Suisse et abordait notamment la question de la procédure de changement de genre. En réponse, le Conseil fédéral avait assuré qu’il travaillerait sur une procédure facilitée — elle est en vigueur depuis janvier de cette année.
Votre première victoire politique!
Oui, quelque part. Grâce à la Genevoise Liliane Maury Pasquier. Nous, les personnes trans, lui devons beaucoup.
Pourquoi vous lancer seulement maintenant?
Dans ma vie, beaucoup de gens m’ont demandé pourquoi je ne faisais pas de politique. J’avais d’autres choses à faire, je travaillais 60 à 80 heures par semaine. Et dans les banques privées, ce n’était pas très bien vu de faire de la politique, parce que ça voulait dire qu’on est moins disponible pour l’entreprise.
Et là, vous ne travaillez plus pour la banque privée qui vous employait?
J’ai été licenciée au 1er février 2021.
Pourquoi?
C'est lié à mon changement de genre. On ne me l’a pas dit comme ça, mais je l’interprète ainsi. Je me base sur des faits: quand je suis revenue de mes opérations, on m’a donné de moins en moins de travail même si j’ai gardé mon poste de direction jusqu’à la fin. On m’a mise seule dans un bureau, sortie de l’équipe dans laquelle j’étais. Et dès que j’ai été femme, on ne m’a plus donné d’objectifs et on a baissé mon salaire variable parce que je n’atteignais pas mes objectifs… Un jour, on m’a dit: «Désolé, mais on n’a plus de poste qui correspond à votre niveau de qualification et de compétence».
Vous êtes allée aux Prud’hommes?
On a négocié. Je n’aurais pas obtenu davantage en allant au tribunal. Et puis, je sortais de deux ans de procédure contre ma caisse maladie pour qu’elle rembourse mes opérations, j’avais fait cette autre procédure pour changer de genre avant mes opérations… J’en avais marre.
Votre engagement politique vient de ce licenciement, aussi?
Non. Je me rends surtout compte qu’il y a encore beaucoup de choses à faire contre le dérèglement climatique et en faveur des personnes transgenres. J’ai notamment été extrêmement déçue que la transphobie n’ait pas été incluse en même temps que l’homophobie dans l’article 261bis du Code pénal. Il y a aussi six fois plus de chômeuses et chômeurs trans que de chômeurs cisgenres. Parmi les associations LGBT, beaucoup ont oublié le T ces 30 dernières années. Chez elles, le T, c’est pour «transparent», pas «transgenre». C’est pour ça que j’ai fondé l'association Epicène. Un de nos combats est de montrer que les personnes trans sont des personnes comme les autres. Aujourd’hui, nous, les personnes trans, pouvons enfin parler pour nous-mêmes.
Vous parlez aussi beaucoup de la santé des personnes trans…
J’aimerais travailler à la création d’un centre de chirurgie unique en Suisse pour les personnes trans. Dans un rapport, Stan Monstrey, chirurgien plastique à l'Hôpital universitaire de Gent, en Belgique, doute que la sécurité des soins puisse être atteinte en Suisse. Beaucoup de chirurgiens font encore du bricolage, sans formation spécifique. Même si vous êtes chirurgien de la main, vous êtes habilité à faire des vaginoplasties! C’est juste hallucinant... À cause de ça, je connais des gens qui ont dû passer par 22 opérations!