«Je me souviendrai toute ma vie de cet après-midi. C’était en avril 2020. Il faisait déjà chaud. J’avais passé des semaines enfermé à cause du Covid et de mon ablation des seins. Je suis sorti pour récupérer un achat que je venais de faire sur Marketplace. En rentrant chez moi, je me suis dit que c’était le moment: pendant que je roulais à vélo, j’ai retiré mon T-shirt.
C’était la première fois que j’enlevais le haut en public depuis ma torsoplastie. Comme l’opération datait d’un mois, mon torse était encore marqué par l’intervention chirurgicale et mes tétons n’étaient pas encore tout à fait cicatrisés. Mais je m’en fichais. Sentir le vent caresser ma poitrine me faisait tellement de bien. Pouvoir se comporter comme ça en public, quelque chose d’ordinaire réservé aux hommes. C’était un moment de pur bonheur qui n’a duré que quelques minutes, mais qui m’a paru être une éternité.
A mesure que j’avançais, j’ai aperçu une personne, puis deux et ainsi de suite. Il faut dire que le quartier des Eaux-Vives a toujours été plus ou moins fréquenté, même en pleine pandémie. J’ai cru déceler des regards inquisiteurs, même si c’était certainement une surinterprétation de ma part. J’ai donc décidé de remettre mon vêtement. Le poids des habitudes. Vous imaginez bien qu’il est difficile de tomber le haut en public alors même qu’on a eu deux seins ronds pendant des années.
M’affirmer à travers mon torse
En parallèle à la prise de testostérone, la torsoplastie était la concrétisation de ma transition. Enfin, on allait me voir comme ce que j’étais vraiment: un homme. Fini les stratagèmes pour cacher mes formes dans les vestiaires des hommes. Fini d’être sexualisé. Aujourd’hui, je me balade tout le temps torse nu chez moi et j’adore ça. Je crois que c’est une manière de m’affirmer en tant que mec.
En revanche, j’essaie de rester dans la retenue. Je déteste quand les mecs se foutent à torse poil en boîte. Je trouve ça malsain. C’est une manière d’imposer sa virilité toxique aux autres. Si des femmes faisaient ça, ce serait mal vu, voire dangereux pour elles. Je crois être sensible à ça parce que je suis un homme trans et qu’à ce titre, j’ai une sensibilité que les hommes cis (cisgenre, un homme dont le genre ressenti correspond à son sexe de naissance, ndlr.) n’auront sans doute jamais, puisqu’ils n’ont pas vécu autre chose en termes d’identité de genre.
Parler et être écouté
Depuis ma transition, j’ai acquis des privilèges que je n’avais pas avant, c’est certain. Par exemple, la testostérone que j’ai commencé à prendre en juin 2019 a changé ma voix au fil des mois. Elle est grave, désormais. Et croyez-le ou non, les voix graves sont davantage écoutées et prises au sérieux que les voix aiguës.
Pendant mes cours à l’université, je remarque que les profs sont plus attentifs à ce que je dis, il y a bien plus d’échanges entre nous. Mes opinions sont prises au sérieux, je suis crédible. Pourtant, c’est mon enveloppe corporelle qui a changé, pas mes prises de position.
Je vois aussi que j’ai beaucoup plus d’opportunités pour m’exprimer. On me laisse la place que je veux, quand je veux. Les femmes n’ont pas cette chance. Avant ma transition, je me souviens avoir été coupé ou subtilement exclu lors de discussions, alors que j’avais des choses à dire. C’était frustrant et parfois violent. La majorité des mecs ne se rendent pas compte de ces petites choses. Ils refusent de reconnaître leurs privilèges par peur qu’on ne les prenne plus au sérieux.
De mon côté, je fais attention à tous ces détails. Je sais ce que c’est de se faire couper la parole par un homme. Si une bande de mecs se met à parler sans solliciter l’avis des meufs, cela m’irrite. Je n’arrive pas à croire que l’espace qui m’est attribué aujourd’hui est uniquement lié au fait que je suis un homme.
Solidarité masculine toxique
Cette société patriarcale éduque les hommes à s’entraider et se congratuler parmi. J’ai remarqué une solidarité entre hommes que je n’ai pas connue en tant que femme. Je trouve cela plus que dommage, étant donné que ce sont les femmes, les premières oppressées par l’ordre patriarcal.
Dans ces cercles de solidarité masculine, certains hommes se permettent de rabaisser les femmes. Souvent, ça passe par la sexualisation de ces dernières. Je me souviens d’une fois où j’étais au fitness. Un groupe d’hommes matait une fille faire ses exercices de musculation. Ils ricanaient. Lorsqu’elle est partie, l’un d’entre eux a pris sa place et a commencé à faire des mouvements de bassin. Ils ont tous éclaté de rire et ils m’ont regardé comme pour m’inviter à me moquer avec eux. Non merci, je n’ai rien à voir avec ce genre de conneries dégueulasses.
Sexisme avant et transphobie aujourd’hui
Dans la même vibe, je me souviens avoir pris un Uber récemment: je partais d’une soirée chez une amie et quand je suis entré dans la voiture, le conducteur m’a dit: 'Alors, c’était comment la baise?' C’était sa façon à lui de jouer les potes. Mais moi, j’étais vraiment gêné. Jamais une chose comme ça ne m’était arrivé avant ma transition. Désormais homme, j’ai découvert un univers souvent déroutant.
J’ai été agressé à l’époque où j’étais encore perçu comme une nana. Le conducteur m’avait proposé de m’installer sur le siège passager. J’ai trouvé sympathique jusqu’à ce qu’il me demande si j’avais un mec. J’ai répondu que j’avais une copine. Après ça, il m’a dit que si j’étais lesbienne, c’était sûrement parce que je n’avais pas encore goûté à un bon pénis. Il a ensuite verrouillé les portes et a commencé à me toucher les cuisses. Pris de panique, j’ai crié et il m’a laissé m’en aller. J’avais à peine 16 ans.
Mais attention, ce n’est pas parce qu’on me perçoit comme un mec aujourd’hui que tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je suis un homme, oui, mais un homme trans. Je subis des remarques déplacées et des violences tous les jours: on me demande si je suis un garçon ou une fille, on m’interroge sur mon deadname (appelé aussi 'morinom', il s’agit du prénom qui a été donné à la naissance et par lequel, les personnes trans ne souhaitent généralement plus être appelées), on veut absolument savoir ce que j’ai entre les jambes.
Il y a deux ans, c’est allé jusqu’à me faire cracher dessus… C’était un dimanche de septembre, j’étais à la gare de Lausanne avec mon amoureuse de l’époque. Un mec s’est approché et m’a demandé si j’étais une fille. Je l’ai ignoré et il a rétorqué: 'c’est dégoûtant'. Nous nous sommes éloignés et l’homme nous a suivis avec une autre personne tout en nous lançant un regard menaçant. Ce regard mauvais, je leur ai rendu et ils n’ont visiblement pas apprécié puisque l’un des deux m’a craché dessus avant de s’en aller.
Le monde change
Ce n’est pas normal que je ne puisse pas vivre de manière parfaitement libre dans l’espace public. Je n’ai pas à me justifier ou à me battre pour exister. D’ailleurs, mon existence n’est pas un débat! Je ne devrais pas avoir à craindre pour ma sécurité quand je sors de chez moi. Si les gens réagissent si fortement à ma présence et à celle des personnes qui défient ce que la société définit comme 'normal', c’est qu’ils ont la trouille. Ils manquent d’éducation. Mais ils ont raison d’avoir peur, parce qu’on est en train de changer le monde!
Heureusement, j’ai toujours été très bien entouré dans ma sphère privée et ce, même si mon premier coming out était difficile. J’avais 14 ans et pour ma famille, c’était extrêmement compliqué d’accepter que j’étais lesbienne. Bizarrement, mon second coming out 6 ans plus tard, celui de ma transidentité a été plutôt bien pris.
A l’époque, j’avais une copine qui m’a accompagné tout le long de ma transition. C’était une sorte de pilier rassurant pour moi. Aujourd’hui, j’ai 24 ans et je sais parfaitement ce que je veux, même si parfois je suis rempli de doutes. Je sais par exemple que je veux être papa un jour. J’adore les enfants et j’ai toujours eu un instinct paternel. C’est drôle parce que quand j’étais lesbienne, les enfants n’étaient pas une option, je n’avais pas la fibre maternelle.»
Fin janvier 2022, Léon Salin a ému la communauté de Blick avec son témoignage touchant. Il y racontait son coming out lesbien qu'il a fait à l’âge de 14 ans mais aussi son coming out trans quelques années plus tard.
Un tournant dans sa vie que le jeune homme de 24 ans avait décidé de documenter sa transition sur Instagram. Son but: offrir une visibilité juste et positive des personnes transgenres.
Léon Salin se met en scène et raconte son quotidien depuis maintenant trois ans pour ses quelque 18’000 abonnés. Même si cela lui a permis à surmonter des moments difficiles, il a décidé d’être un peu moins présent sur le réseau social depuis l'été dernier. Il préfère désormais prendre un peu plus de temps pour lui.
Fin janvier 2022, Léon Salin a ému la communauté de Blick avec son témoignage touchant. Il y racontait son coming out lesbien qu'il a fait à l’âge de 14 ans mais aussi son coming out trans quelques années plus tard.
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