Ça sent le soufre sur ce plateau, non? Oui. Il y a des débats qui peuvent prendre feu d’un moment à l’autre. Celui diffusé ce dimanche 19 juin à 20h par la télévision genevoise «Léman Bleu» (à suivre également en ligne en direct ou à revoir en replay) en fait partie. Blick vous en offre ici quelques bribes en avant-première.
Au centre des discussions: le livre hautement polémique de Caroline Eliacheff et Céline Masson: «La Fabrique de l’enfant transgenre». Un ouvrage tellement clivant que le Collectif radical d’action queer (CRAQ) a interrompu une conférence des deux psychanalystes françaises fin avril à l’Université de Genève (UNIGE). Dans leur ouvrage, les autrices s’inquiètent de l’augmentation du nombre de mineurs transgenres et de leur accompagnement médical, leur permettant de changer de genre trop facilement.
Invité à s’exprimer en premier, le journaliste de Blick Amit Juillard n’y va pas de main morte. D’entrée, il dénonce «un pamphlet d’idéologie conservatrice qui n’a rien de scientifique», «qui nie l’identité-même des jeunes trans» et «qui flirte avec le complotisme». Il n’hésite pas, comme il l’avait fait ce mercredi dans un long éditorial analytique, à féliciter les personnes ayant manifesté leur désaccord dans les murs de l’UNIGE. «Le débat scientifique, oui, mais l’obscurantisme, non, assène-t-il. Au même titre que le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie, la transphobie n’est pas une opinion.»
«C’est de l’intimidation!»
Présente via Skype lors de l’enregistrement ce jeudi, Caroline Eliacheff ne souhaite pas répondre aux accusations de transphobie: «Ce n’est pas un argument, c’est de l’intimidation!» Elle rappelle tout de même ne pas être la seule sur cette ligne: «Des pays très en avance comme la Suède sont en train de revenir en arrière sur les prescriptions faites aux mineurs» trans. La célèbre pédopsychiatre, ancienne opposante à l’union civile des personnes homosexuelles, appuie toutefois la rigueur de son travail, basé sur des références «sérieuses». Et précise: «Nous ne mettons pas en cause la prise en charge des personnes adultes, mais uniquement des mineurs».
Thérapeute spécialisée dans la prise en charge des personnes trans, Aline Tatone n’est pas d’accord. Par exemple, Caroline Eliacheff «reprend un certain nombre d’éléments» de différents textes mais en omet d’autres parties, qui ne vont pas dans le sens de son argumentation, notamment sur les bienfaits psychologiques du suivi médical actuellement en place dans de nombreux pays et validé par des organes internationaux. La présidente du collectif Sui Generis, qui lutte contre la transphobie, s’attarde également sur le détail de ce suivi.
Elle souligne que les premières interventions chirurgicales ne se font en général pas avant l’âge de 16 ans, laissant ainsi le temps à l’enfant d’explorer son identité de genre (homme, femme ou non-binaire) et de prendre une décision éclairée. Les mineurs trans représentent 0,33% de la population adolescente. Un chiffre en augmentation: entre 4 et 7 fois plus grand qu’entre 1997 et 2006. La raison selon elle? L’évolution des questionnaires de recensement, aujourd’hui plus détaillés dans leurs questions et une plus grande acceptation sociale, médicale et la possibilité «d’être qui iels sont dans la vie».
«Mettez-vous à jour!»
La température monte lorsque Philippe Val prend la défense de Caroline Eliacheff. «Elle ne porte aucun jugement moral sur les personnes trans!, s’exclame l’ancien directeur de 'Charlie Hebdo' et de France Inter. Ce qu’elle reproche aux pratiques actuelles, c’est l’encouragement des jeunes à la transition. Il ne faut pas encourager un enfant. Il faut l’écouter et l’accompagner. Sur les réseaux sociaux, où se convertissent certains enfants, [des influenceurs] les encouragent à changer de genre.»
Pour Mathieu Turcotte, chercheuse trans non-binaire, qui mène actuellement une thèse à l’Université d’Ottawa sur ces questions, «on ne peut pas mettre sur un pied d’égalité les idées reçues [présentées dans le livre de Caroline Eliacheff et Céline Masson] qui n’ont aucune base scientifique et de vraies valeurs scientifiques éprouvées depuis plusieurs dizaines d’années et qui plaident pour un bon accompagnement transaffirmatif des personnes et des enfants.» L’infirmière et maître d’enseignement lausannoise invite au passage Philippe Val à «se mettre à jour» sur les questions de genre et à cesser de citer Freud, dont les théories sont «dépassées».
«Soyons prudents»
Dernière intervenante autour de la table, l’éditorialiste de RTS La Première Delphine Gendre «ne pense pas qu’avoir un regard critique sur des prises en charge thérapeutiques de mineurs par rapport à la transidentité soit transphobe». «Ce que dit Caroline Eliacheff, c’est 'soyons prudents' et toutes personnes ici devraient se dire la même chose. Ça ne veut pas dire bloquer tout processus de transition. On voit, avec les arguments qui se veulent scientifiques des deux côtés, qu’il s’agit d’un sujet extrêmement complexe et délicat. Et peut-être que des théories scientifiques d’aujourd’hui seront différentes dans dix ans.»
Outre d’autres prises de position sur le fond du sujet, cette émission présentée par la journaliste Laetitia Guinand vous réserve encore quelques belles passes d’armes entre les invitées et les invités. Et a le mérite de (presque) faire le tour de cette très épineuse question. Censure ou pas, le débat aura finalement eu lieu.