Blick est parti à la rencontre des badauds dans les marchés de Noël de Genève, de Lausanne et d’Yverdon-les-Bains. Dans l’idée de vérifier, pour être tout à fait honnête, si celui de la capitale vaudoise était devenu le pire du genre en Suisse.
Souvenez-vous. Bô Noël, qui anime les rues de la capitale vaudoise du 21 novembre au 31 décembre, a dû réduire sa voilure. Une association, #quivapayerladdition, composée de restaurateurs mécontents de la «concurrence déloyale» que représenterait le marché, a suscité l’émotion dans la cité olympique en exigeant notamment moins de chalets pour manger et boire. La Municipalité avait suivi. Résultat: un quart de stand en moins, pas de musique, des horaires réduits. «La décroissance de l’offre alimentaire du marché doit se poursuivre», affirmait à Blick Laurent Décrevel, président de l’association de restaurateurs contrariés. Ambiance.
Alors, à Lausanne, on s’ennuie? On meurt de faim? Et à Genève, on mange du caviar? Et à Yverdon, c’est comment depuis que l’Exécutif a décidé de s’occuper tout seul du grand raout hivernal? Et pourquoi on va au marché de Noël, en fait? Du 28 au 30 novembre, Blick a écumé ces foires. Petit tour, heure par heure et vin chaud par vin chaud, de la magie de Noël en Romandie.
19h: début de soirée
À Genève, il faut le dire, le marché est magnifique. Décorations partout, poêles à bois, arches lumineuses, boules en veux-tu en voilà, c’est magique. Toutefois, à part deux-trois stands qui se courent après et qui sont, surtout, situés à l’écart du marché, pas d’artisans en vue. Sandra n’en a cure. «J’aime pouvoir aller boire un vin chaud après le travail, n’importe quel jour de la semaine.» Avec son amie Béryl, elles se sont retrouvées au quai du Mont-Blanc pour «voir le marché». Les deux jeunes femmes viennent «clairement» pour manger et pour boire un verre. «Le choix pour manger est mieux qu’à Lausanne, il y a plus de stands», estime Sandra.
La musique est présente, mais discrète. «Samedi soir, il y avait beaucoup plus d’ambiance, un orchestre a traversé tout le marché, c’était vraiment super», s’enthousiasme Béryl. Après la soirée, Sandra rentrera à Lausanne, où elle vit. «Il y a trop de jeux pour enfants à Bô Noël, avant, il y avait un feu et plus d’options de buvettes pour boire et manger.» Verdict sans équivoque: le hot fondue et le vin chaud intéressent beaucoup plus les visiteurs que tout le reste.
Mercredi, à Yverdon, la musique n’est pas du tout discrète. Ça serait même l’inverse. On entend loin à la ronde les notes d’un tube de Elton John. Arrivée place Pestalozzi, des créations visuelles sont projetées sur le temple. C'est plutôt charmant. Mais de marché, cet événement ne porte que le nom. Fini les chalets depuis que la Municipalité a décidé d’organiser l’événement elle-même. Il s’agit plutôt d’une unique tente sous laquelle on peut manger et boire du vin chaud, légèrement moins cher qu’ailleurs, mais tout de même. En toute honnêteté, glisser la cité thermale entre deux «gros» marchés de Noël n’est pas très fair-play. Mais c’est comme ça.
Cinq artisans proposent des créations dans le château. Mais à 19h, il n’y a rien. Ni personne. Tout au plus une femme qui crie sur un banc, et quelques amateurs de crêpes. Croisées en pleine inspection du sapin de Noël qui trône au milieu de la place, Mafalda et Martina ne sont cependant pas déçues du nouveau format. «Je pensais que je regretterais les chalets, mais finalement, c’est cool, sourit Martina. On nous a proposé des petites choses à goûter, on a mangé une gaufre.» Mafalda aime l’offre d’artisanat 100% du coin. «C’est bien de se concentrer sur le local. Et c’est joli dans le château.»
À Lausanne, jeudi, il avait beau pleuvoir des cordes, c’était la ruée. L’esthétique n’est pas forcément extraordinaire puisque là encore, il s’agit de tentes. Par contre, c’est la grosse foire. Genre taverne en 1312. Genre l’après-ski, sans le ski. Hors des tentes, deux jeunes hommes enthousiastes, quoique légèrement blasés. Enzo trouve le marché pas mal, bien que la musique manque. Pour Stan, qui connaît les contraintes imposées à Bô Noël, l’événement est «sans plus». L’absence d’ambiance sonore et l’offre de nourriture «bien plus vaste à Montreux» ne séduisent pas le jeune homme. Les deux amis s’apprêtent tout de même à monter dans le petit train illuminé.
20h: l’apothéose
À Genève, c’est l’heure des nouilles. La foule s’emballe pour un stand de ramens, et on a beau être mardi, le vin chaud coule à flots. Chancelants, les amateurs slurpent leurs bols fumants, en jonglant entre récipients en plastique, clopes et gobelets. Deux jeunes Français, Martin et François, discutent autour d’un verre. À l’idée d’un marché de Noël sans musique, le cliché tombe direct: «Il faut dire que les Suisses n’aiment pas le bruit». Certes. Pour Martin, les restaurateurs devraient «arrêter de se plaindre. La concurrence est normale et aller boire un verre au marché de Noël et manger au resto après, c’est l’idéal.» Les deux amis sont venus pour se retrouver, mais «ça aurait été dommage de louper le marché».
À Yverdon, l’ambiance n’est pas tellement plus animée qu’une heure plus tôt, si ce n’est que la bande-son a basculé dans le côté sombre de Noël. Mariah Carey fait ses gammes. Raphael, lui, est venu souper avec des collègues. «Il faudra voir l’ambiance en fin d’année. Ce soir la fondue et la planchette étaient bonnes». Concernant le nouveau look de la place Pestalozzi, notre interlocuteur, placide, estime qu’on «ne peut pas plaire à tout le monde. L’événement est important pour les associations qui profitent du monde pour monter des petits stands sur la place et vendre des objets ou des gâteaux pour faire un petit bénéfice.» L’Yverdonnois fréquente le marché pour boire un verre et manger. Faire des cadeaux, moins sûr. «Les gens se lassent un peu des bonnets et des écharpes de Noël.»
Dans la capitale vaudoise, le climax est atteint. Une alcoolémie générale de 3 pour mille aussi. Il est tôt, pourtant les amoureux se roulent des patins indécents, barquette de frite ou gaufre molle à la main. Sous les arches à la place de l’Europe, Pauline et Stessi ont trouvé une place sur un banc mouillé. Sous les tentes, rien. Les deux jeunes femmes s’accordent pour dire que «Montreux est au-dessus» mais qu’ici, c’est bien aussi. Stessi est l’unique personne qui nous confie acheter parfois des cadeaux.
Et comme les jeunes filles ont bu à elles deux plus d’eau que l’ensemble des autres visiteurs, on la croit. «Des bougies, des chaussettes par exemple. Mais c’est vrai qu’on vient plutôt boire et manger.» Les deux viennent d’ailleurs de finir une crêpe. Pauline apprécie qu’il n’y ait pas de musique partout. Il faut dire que les jeunes filles sont assises à proximité d’un bar qui profite de la piste de luge attenante pour diffuser des chansons (seules les attractions ont droit à des haut-parleurs). Là, rien à voir avec la playlist du petit Jésus, on est plutôt sur du gros hip-hop américain des années 1990. Stessi imagine que sous chaque tente, un thème musical différent pourrait animer la soirée.
21h-22h: le chant du cygne
Au bout du Léman, le marché tire la prise à 21h le mardi. À l’heure précise, les bars ferment leurs portes. Ding dong, c’est terminé. Le monde se scinde en deux: les titubants rentrant chez eux, les courageux en file indienne pour les toilettes. Assise, amusée, Julia regarde les passionnés de vin épicé rentrer chez eux avec moins de dignité qu’à l’arrivée. «Mon fils travaille au CERN, dit-elle en anglais. Je suis grecque. J’aime la nourriture proposée et les jolies lumières. Tout est magique. Mais je n’achèterai jamais de cadeaux ici.» C’est dit.
22h à Yverdon, une certaine expérience de la solitude. Il faut dire qu’il fait un froid de canard. Deux jeunes gens aux sourires sympathiques se voient pour la première fois. Ça réchauffe un peu le cœur. «Notre première motivation, c’était clairement de venir boire un verre», rigole Meg («Meg tout court, pas Mégane»). Benoît voit des avantages et des inconvénients aux chalets. «C’est plus joli, dit-il, mais sous la tente, il fait chaud.» Malin. Les deux n’avaient pas forcément prévu de venir au marché de Noël, mais l’occasion a fait le larron. Meg a déjà prévu d’aller à Bô Noël entre copines. Benoît n’a rien prévu mais «ne dirait pas non à un petit vin chaud qui traîne». Les deux ont apprécié les stands des artisans, où un expert en tapenade leur a présenté ses produits.
À Lausanne, les éléments se sont déchaînés. Il pleut, il neige en même temps, mais ça ne semble pas décourager les fêtards. Les tentes se vident gentiment, même si la musique résonne fort au bar. «Ils ont peut-être oublié d’arrêter la musique alors que la piste de luge est fermée à cause de la pluie…» nous souffle-t-on. Sara et Louise finissent de discuter. La première vient d’Yverdon, où il n’y a «rien». Ici, les deux amies ont passé «une super soirée», surtout au bar de la place Pépinet, où «la musique est très bonne, pas trop Noël, et l’équipe qui sert est très sympa». Elles aussi sont venues pour boire un vin chaud. À l’entrée du métro, on ne sait plus si on revient d’un marché de Noël ou d’un festival de 8 jours en forêt.
L'heure du bilan
C’est sûrement ce qui est le plus flagrant: les gens ont envie d’être ensemble autour d’un verre. D’alcool ou de thé, peu importe (mais à Lausanne, plutôt d’alcool). Qu’il s’agisse d’un marché de Noël, de la fête du poireau ou des Jeux Olympiques, cela ne semble avoir aucune importance. Les Romands, les gens, ont besoin de rêver un peu. Les conversations tournent beaucoup autour de sujets ultra-plombants, le Hamas, l’inflation, les primes maladies… et la fête est un exutoire nécessaire.
Peut-être est-il l’heure de contenter tout le monde, restaurateurs, marchés, en étendant les horaires d’ouverture des restaurants, en ouvrant la ville à la fête, en permettant plus, plutôt qu’en sanctionnant plus? Le succès de ces manifestations va dans ce sens.
Bon, et puis, un verdict. Sans surprise, le marché de Noël d’Yverdon est le plus glauque, mais à sa décharge, nous l’avons fréquenté un mercredi soir fin novembre. Potentiel ++ pour une bonne soirée avec des copains sous la tente. Mais il n’y a rien à découvrir. À Genève, les décorations sont vraiment folles. Cela vaut honnêtement la peine de se déplacer pour y faire un tour. À Lausanne, mention spéciale pour l’ambiance jeunesse campagnarde. À condition d’avoir le foie solide.