Ce fut peut-être la photo de trop. Celle qui a convaincu les adversaires politiques de Viola Amherd de passer à l’offensive finale. Le 18 mars 2024, celle qui préside alors la Confédération se rend à Bruxelles pour confirmer l’intention de la Suisse de boucler les négociations bilatérales, après deux années de «pourparlers exploratoires».
Tout sourire, la Conseillère fédérale salue chaleureusement Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui aura d’ailleurs été, le 20 décembre dernier, la dernière dirigeante internationale à se retrouver sous la Coupole, en compagnie de la cheffe du département de la Défense. Viola Amherd, supposée la garante de la neutralité helvétique, savait alors que sa vulnérabilité deviendrait maximale. Rares sont les élus à avoir empoigné le dossier bilatéral Suisse-UE, sans finir par exploser avec.
Coopération ou compromission
L’ironie du calendrier est d’ailleurs révélatrice. Mardi 14 janvier, la participation de la Suisse au projet «Military Mobility», qui vise à assurer la fluidité des mouvements des armées et des équipements de défense en Europe, a été confirmée. Dans les faits, ce projet doit permettre aux armées européennes de déplacer des chars d’assaut, de savoir quelles autoroutes sont sûres pour l’atterrissage des avions de chasse ou de connaître la limite de poids d’un pont. Bref, il ne s’agit que d’un échange d’informations entre pays voisins et alliés. Seulement voilà: qui dit coopération dit, pour certains, compromission. L’Union démocratique du centre (UDC), bien décidée à en finir avec Viola Amherd, a trouvé là un nouveau grief.
La cheffe du département de la Défense s’est aussi exposée sur le flanc militaire, vis-à-vis de l’OTAN, cette Alliance atlantique de 32 pays dominée par les États-Unis, dont les deux membres les plus récents, la Suède et la Finlande, étaient auparavant des etats neutres. Là aussi, le calendrier parle de lui-même. Au moment même, ou presque, où Viola Amherd adressait sa lettre de démission, le chef de l’Armée suisse Thomas Süssli entamait sa participation à Bruxelles à la rencontre annuelle des chefs d’armée de l’OTAN et des pays partenaires.
Au menu, selon le communiqué officiel? «Des sujets sécuritaires actuels comme l’impact des technologies disruptives émergentes, la résilience et la protection des infrastructures critiques», mais aussi le devenir de la Force multinationale au Kosovo (KFOR), à laquelle la Suisse participe. Viola Amherd incarnait, de facto, une Confédération intégrée dans un système d’alliance. De quoi, une fois encore, irriter les souverainistes de tous bords, dans l’attente de l’initiative populaire «Sauvegarder la neutralité suisse» que le Conseil fédéral a, en juin 2024, proposée de rejeter sans contre-projet.
Le cas des F35
S’y ajoute un dossier plus qu’épineux pour la sécurité du pays: celui de l’industrie de défense helvétique, mise à rude épreuve par la guerre en Ukraine. En passant commande, au nom de la Confédération, de 36 chasseurs F35 Américains en 2022, Viola Amherd pensait apporter une réponse durable en matière d’armement. Faux.
L’heure est aujourd’hui à une reconfiguration complète de ce secteur au niveau européen, dopée par l’augmentation des budgets militaires. Or comment justifier de produire, sur le sol helvétique, des armes que les acheteurs européens ne peuvent ensuite pas réexporter. L’Allemagne, l’Espagne et le Danemark, qui en ont fait officiellement la demande en 2023 et se sont vus opposer un refus du Conseil fédéral, en ont tiré les conséquences. Coopérer industriellement avec la Suisse, dans le domaine de la Défense, présente désormais trop de risques pour justifier de lourds investissements.
Viola Amherd commandait un navire secoué par des vagues toujours plus fortes. Son département de la Défense s’est retrouvé, depuis la guerre en Ukraine, ballotté par les fortes vagues géopolitiques que le retour de Donald Trump à la Maison Blanche va rendre plus dangereuses encore. La Valaisanne est finalement passée par-dessus bord.
Reste, à celui ou à celle qui lui succédera, d’espérer une accalmie dans la tempête. Ce qui est fort peu probable.