Les médecins là-bas ne peuvent pas le soigner
La Suisse va-t-elle laisser mourir cet enfant expulsé en Croatie?

A la demande de la Suisse, trois spécialistes ont rédigé un nouveau rapport qui fait état de la «forme très sévère» de la maladie du garçon. Selon eux, il doit être soigné ailleurs qu'en Croatie. Ses soutiens tentent de mettre une pression maximale sur le SEM.
Publié: 19.03.2025 à 08:32 heures
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Gildas, qui souffre d'une grave maladie génétique, a été renvoyé en Croatie en novembre dernier.
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Camille KrafftJournaliste Blick

Le Secrétariat d'Etat aux Migrations (SEM) finira-t-il par reconnaître qu'il s'est trompé? Et le fera-t-il à temps? Telles sont les questions qui agitent les soutiens de Gildas, ce garçon de dix ans souffrant d’une grave maladie génétique expulsé avec sa famille vers la Croatie en novembre dans le cadre du règlement Dublin alors qu’il suivait un traitement à Saint-Gall. 

A la clinique pour enfants de Zagreb, un établissement de référence dans le pays, trois spécialistes en pédiatrie et onco-hématologie viennent de produire un nouvel avis médical, à la demande de la Suisse. Ce certificat crucial confirme ce qui avait déjà été énoncé dans des documents précédents, mais dont le SEM n'a pas tenu compte à ce jour: les médecins «recommandent fortement» que le jeune patient soit pris en charge «dans un centre médical à l’étranger». En effet, Gildas souffre d’une forme «très sévère» de drépanocytose et l’évolution clinique de la maladie est compliquée «malgré un traitement combiné», souligne le rapport. 

<p>L'avis médical fourni à la Suisse par trois spécialistes croates au sujet de Gildas&nbsp;</p>
La Suisse n'a pas l'obligation d'exécuter les renvois «Dublin»

La famille a été expulsée vers la Croatie sur la base du règlement Dublin, entré en vigueur en 2008 pour la Suisse. Selon ce système, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».

L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023. 

Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024. 

Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»

MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»

Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion. 



La famille a été expulsée vers la Croatie sur la base du règlement Dublin, entré en vigueur en 2008 pour la Suisse. Selon ce système, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».

L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023. 

Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024. 

Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»

MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»

Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion. 



Pour la première fois, des spécialistes croates semblent reconnaître leur manque d’expérience compréhensible de cette maladie, qui touche principalement des personnes d’origine africaine, indienne ou moyen-orientale. Ils relèvent ainsi que l’enfant devrait être transféré dans un établissement disposant d'une véritable expertise en la matière. Selon différents experts contactés précédemment par Blick, il existe en effet d’importantes disparités entre Etats dans la prise en charge de la drépanocytose. 

Impossible de trouver des produits sanguins

Par ailleurs, le garçon a développé des anticorps susceptibles d’entraîner une réaction «de gravité modérée à sévère» en cas de transfusion. Dans ce nouveau rapport, les médecins jugent également impossible de trouver des produits sanguins appropriés pour Gildas en Croatie, car il s’agit d’un profil de globules rouges caractéristique des populations d’Afrique. Or, les transfusions font partie du traitement de la drépanocytose. En Suisse, elles ne sont généralement pas administrées sur une base régulière, mais elles peuvent sauver la vie des malades en cas de crise. A l'automne dernier, Gildas avait ainsi dû bénéficier d’une transfusion en urgence à Saint-Gall. 

Le déficit de produits sanguins pour les personnes drépanocytaires dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe serait un problème connu, d'après le président de la Fédération européenne de la drépanocytose, David-Zacharie Issom. Avec ce nouveau certificat des médecins croates, la Suisse ne peut plus l'ignorer. Que va-t-il se passer à présent? Selon les informations du père de Gildas, le Ministère de l’Intérieur croate devrait faire parvenir le document au SEM, si l’envoi n’a pas déjà été effectué.

Drépanocytose: «Dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe, il est très compliqué de trouver les bons produits sanguins»

La drépanocytose est une maladie génétique très répandue, particulièrement dans les populations originaires d'Afrique subsaharienne, des Antilles, d'Inde, du Proche-Orient et de certaines régions méditerranéennes. Cette maladie déforme les globules rouges, qui deviennent fragiles et rigides, ce qui abîme à long terme les vaisseaux et les organes des personnes atteintes. Lorsqu’elle est symptomatique, la drépanocytose se manifeste notamment par une anémie, des crises vaso-occlusives extrêmement douloureuses et un risque accru d’infections.

Pour développer la maladie, il faut avoir hérité de deux copies du gêne muté. De nombreuses personnes sont donc porteuses saines de la drépanocytose. 

«En Afrique, où les parents d'enfants malades sont stigmatisés, cette maladie n'a pas eu de nom jusqu'à récemment», explique la professeure Mariane de Montalembert, membre du centre de référence sur la drépanocytose à l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris. «Les gens l'appellent notamment «la maladie qui empêche les enfants de vivre». Dans certaines régions, la plupart des enfants atteints de drépanocytose ne dépassent pas l'âge de cinq ans. L'hydroxyurée, un médicament qui améliore certains des problèmes cliniques de la drépanocytose en augmentant l'hémoglobine fœtale, protectrice, est «inabordable financièrement dans certains pays d'Afrique», relève Mariane de Montalembert. 

En France par contre, où se trouve la plus importante population drépanocytaire d'Europe, 98% des jeunes vivent au moins jusqu'à 18 ans, selon la spécialiste. «Il y a un dépistage systématique à la naissance. Un réseau de soins a été mis en place et nous formons les parents pour qu'ils puissent s'occuper au mieux de leur enfant malade.»

Ailleurs, en Europe, la prise en charge est très inégale. «Dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe, il est très compliqué de trouver les bons produits sanguins pour les personnes drépanocytaires», assure David-Zacharie Issom, co-président de l'association Suisse Drépano et Président de la Fédération européenne de la Drépanocytose. «C’est un problème connu.» Quant à la Suisse, «mieux vaut y être traité dans un hôpital universitaire, précise David-Zacharie Issom. Ailleurs, je ne recommanderais pas.»

La drépanocytose est une maladie génétique très répandue, particulièrement dans les populations originaires d'Afrique subsaharienne, des Antilles, d'Inde, du Proche-Orient et de certaines régions méditerranéennes. Cette maladie déforme les globules rouges, qui deviennent fragiles et rigides, ce qui abîme à long terme les vaisseaux et les organes des personnes atteintes. Lorsqu’elle est symptomatique, la drépanocytose se manifeste notamment par une anémie, des crises vaso-occlusives extrêmement douloureuses et un risque accru d’infections.

Pour développer la maladie, il faut avoir hérité de deux copies du gêne muté. De nombreuses personnes sont donc porteuses saines de la drépanocytose. 

«En Afrique, où les parents d'enfants malades sont stigmatisés, cette maladie n'a pas eu de nom jusqu'à récemment», explique la professeure Mariane de Montalembert, membre du centre de référence sur la drépanocytose à l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris. «Les gens l'appellent notamment «la maladie qui empêche les enfants de vivre». Dans certaines régions, la plupart des enfants atteints de drépanocytose ne dépassent pas l'âge de cinq ans. L'hydroxyurée, un médicament qui améliore certains des problèmes cliniques de la drépanocytose en augmentant l'hémoglobine fœtale, protectrice, est «inabordable financièrement dans certains pays d'Afrique», relève Mariane de Montalembert. 

En France par contre, où se trouve la plus importante population drépanocytaire d'Europe, 98% des jeunes vivent au moins jusqu'à 18 ans, selon la spécialiste. «Il y a un dépistage systématique à la naissance. Un réseau de soins a été mis en place et nous formons les parents pour qu'ils puissent s'occuper au mieux de leur enfant malade.»

Ailleurs, en Europe, la prise en charge est très inégale. «Dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe, il est très compliqué de trouver les bons produits sanguins pour les personnes drépanocytaires», assure David-Zacharie Issom, co-président de l'association Suisse Drépano et Président de la Fédération européenne de la Drépanocytose. «C’est un problème connu.» Quant à la Suisse, «mieux vaut y être traité dans un hôpital universitaire, précise David-Zacharie Issom. Ailleurs, je ne recommanderais pas.»

Le règlement Dublin prévoit qu’un Etat membre reprenne en charge «sans tarder» la personne concernée «en cas de transfert exécuté par erreur ou d’annulation de la décision de transfert après l’exécution du transfert». Selon un juriste que nous avons contacté, il n'y aurait pas de précédent connu d'application de cet article du règlement. 

Le SEM bombardé de courriels?

Reste au SEM à reconnaître une éventuelle erreur. Comme Blick l’a déjà souligné, les crises récentes en cas de drépanocytose font partie des contre-indications médicales aux rapatriements sous contrainte par voie aérienne listées par le Secrétariat d’Etat aux Migrations lui-même. Par ailleurs, la Suisse aurait eu la possibilité d’appliquer la clause de souveraineté qui figure dans le règlement Dublin, pour éviter à l’enfant un transfert susceptible d’entraîner une détérioration de son état de santé.

Après l’appel désespéré lancé par le père de l’enfant la semaine dernière, des soutiens s’activent pour tenter de peser sur son rapatriement. L’association Solidarité sans frontières a lancé une action de mails au SEM. Son but: bombarder le secrétaire d’Etat aux migrations Vincenzo Mascioli de courriels pour lui demander de faire revenir Gildas en Suisse au plus vite. «Nous avons contacté le SEM à ce sujet au nom de plusieurs organisations, dont l’Appel Dublin. Des membres du Parlement l’ont également fait, mais comme cela ne suffit toujours pas, nous vous invitons à lui exprimer vous aussi votre indignation!», relève l’association sur son site internet

Un appel relayé par Thomas Wiesel

L’appel de Solidarité sans frontières a été relayé sur les réseaux sociaux par l’humoriste Thomas Wiesel, lequel a expliqué qu’il découvrait la problématique des renvois d’enfants malades de la Suisse vers la Croatie. «La pratique est choquante dans son ensemble et le cas de Gildas est particulièrement troublant et urgent», estime-t-il. 

<p>L'humoriste Thomas Wiesel a relayé l'appel à intervenir auprès du SEM</p>
Photo: DR

Du côté de Berne, la conseillère nationale verte Delphine Klopfenstein Broggini avait confirmé à Blick la semaine dernière être «en contact étroit avec la coalition Appel Dublin, le SEM et l'ambassade de Croatie pour une intervention rapide». Pas moins de cinq objets parlementaires touchant aux renvois de requérants malades, émanant de la gauche et du Centre, ont en outre été déposés au Parlement ces dernières semaines. La problématique a aussi gagné le Valais, où des personnes souffrant dans leur santé sont menacées de renvoi.

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