Le renvoi a eu lieu le 19 novembre 2024, tôt le matin. Les policiers ont débarqué dans le centre fédéral pour requérants d’asile d’Altstätten, dans le canton de Saint-Gall. Gildas*, 10 ans, commençait à se préparer pour aller à l’école. Le garçon originaire de République démocratique du Congo (RDC) ignorait qu’un charter l’attendait à l’aéroport de Zurich pour le réexpédier vers Zagreb avec sa famille.
Gildas, son petit frère de bientôt 2 ans et leurs parents font partie des «cas Dublin», enregistrés en Croatie alors qu’ils tentaient de gagner l’Europe de l’Ouest depuis la Serbie, où ils ont séjourné. La famille a ensuite continué son périple vers la Suisse, qui a décidé de la renvoyer vers Zagreb six mois après son arrivée, en vertu du règlement Dublin. Atteint dans sa santé, le garçon était pourtant suivi à l'hôpital pour enfants de Saint-Gall.
Gildas et sa famille ont été expulsés vers la Croatie sur la base du règlement Dublin, entré en vigueur en 2008 pour la Suisse. Selon ce système, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».
L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023.
Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024.
Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»
MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»
Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion.
Gildas et sa famille ont été expulsés vers la Croatie sur la base du règlement Dublin, entré en vigueur en 2008 pour la Suisse. Selon ce système, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».
L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023.
Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024.
Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»
MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»
Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion.
Gildas souffre de drépanocytose, une maladie génétique touchant les globules rouges à laquelle de nombreux enfants africains ne survivent pas, faute de soins appropriés dans leur pays. Le garçon est régulièrement en proie à des crises très douloureuses, lorsque sa circulation sanguine est obstruée en raison de la maladie. Les complications de la drépanocytose peuvent être mortelles: infections à penumocoques, syndrome thoracique aigu, AVC.
Les transfusions de sang sont un traitement important de la maladie.
Un risque de réaction transfusionnelle sévère
Dans un café de Zagreb, nous avons rencontré le père adoptif de Gildas, par une maussade après-midi de janvier. Il nous a raconté son histoire, en nous fournissant les documents pour l’étayer. La famille étant inquiète de l’impact d’une médiatisation sur sa situation légale, nous préservons son anonymat.
Le papa de Gildas est un homme anxieux, tourmenté par l'état de santé de son fils aîné. Et pour cause: le 6 février, le centre hospitalier des soeurs de la charité de Zagreb, où le garçon est soigné, a confirmé par écrit ce qui avait déjà été énoncé oralement par l'onco-hématologue: Gildas «court un risque de réaction post-hémolytique sévère après transfusion» s'il reste en Croatie. En effet, l'enfant ne peut pas trouver un donneur compatible dans ce pays. L'hôpital conseille donc à sa famille de se rendre dans un Etat qui compte «un plus grand nombre de donneurs de sang potentiels d'origine africaine», et prône pour lui l'obtention d'un visa humanitaire.
Quitter au plus vite la Croatie
Moins de trois mois après avoir été débarquée à Zagreb par vol spécial, la famille doit donc entamer des démarches à l'issue très incertaine pour quitter la Croatie. Dans l’intervalle, les crises de Gildas se multiplient avec, pour son père, une idée fixe: quitter au plus vite ce pays où les médecins ne possèdent pas le bon sang pour son enfant. Comment cela a–t-il pu arriver? Et quelle est la responsabilité de la Suisse dans ce fiasco?
Quelques recherches permettent de confirmer que dans la problématique de la drépanocytose, il y a beaucoup d’injustice. Dans certains régions d'Afrique, la plupart des enfants drépanocytaires n’atteignent pas l’âge de 5 ans, faute de traitements appropriés. En France par contre, où un dépistage systématique et un réseau de soin spécifique ont été mis en place, 98% de personnes vivent au moins jusqu’à 18 ans.
Mais même sur le continent européen, il existe d’importantes disparités entre Etats dans la prise en charge de cette maladie. Sans surprise, la drépanocytose touchant principalement des personnes d’origine africaine, indienne ou moyen-orientale, les pays avec une importante population originaire de ces régions sont mieux outillés pour y faire face.
La drépanocytose est une maladie génétique très répandue, particulièrement dans les populations originaires d'Afrique subsaharienne, d'Inde, du Proche-Orient et de certaines régions méditerranéennes. Cette affection déforme les globules rouges, qui deviennent fragiles et rigides, ce qui abîme à long terme les vaisseaux et les organes des personnes atteintes. Lorsqu’elle est symptomatique, la drépanocytose se manifeste notamment par une anémie, des crises vaso-occlusives extrêmement douloureuses et un risque accru d’infections.
Pour développer la maladie, il faut avoir hérité de deux copies du gêne muté. De nombreuses personnes sont donc porteuses saines de la drépanocytose.
«En Afrique, où les parents d'enfants malades sont stigmatisés, cette affection n'a pas eu de nom jusqu'à récemment», explique la professeure Mariane de Montalembert, membre du centre de référence sur la drépanocytose à l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris. «Les gens l'appellent notamment «la maladie qui empêche les enfants de vivre». Dans certaines régions, la plupart des enfants atteints de drépanocytose ne dépassent pas l'âge de cinq ans. L'hydroxyurée, un médicament chimiothérapeutique qui améliore certains des problèmes cliniques de la drépanocytose en augmentant l'hémoglobine fœtale, protectrice, est «inabordable financièrement dans certains pays d'Afrique», relève Mariane de Montalembert.
En France par contre, où se trouve la plus importante population drépanocytaire d'Europe, 98% des jeunes vivent au moins jusqu'à 18 ans, selon la spécialiste. «Il y a un dépistage systématique à la naissance. Un réseau de soins a été mis en place et nous formons les parents pour qu'ils puissent s'occuper correctement de leur enfant malade.»
Ailleurs, en Europe, la prise en charge est très inégale. «Dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe, il est très compliqué de trouver les bons produits sanguins pour les personnes drépanocytaires», assure David-Zacharie Issom, co-président de l'association Suisse Drépano et Président de la Fédération européenne de la Drépanocytose. «C’est un problème connu.» Quant à la Suisse, «mieux vaut y être traité dans un hôpital universitaire, précise David-Zacharie Issom. Ailleurs, je ne recommanderais pas.»
La drépanocytose est une maladie génétique très répandue, particulièrement dans les populations originaires d'Afrique subsaharienne, d'Inde, du Proche-Orient et de certaines régions méditerranéennes. Cette affection déforme les globules rouges, qui deviennent fragiles et rigides, ce qui abîme à long terme les vaisseaux et les organes des personnes atteintes. Lorsqu’elle est symptomatique, la drépanocytose se manifeste notamment par une anémie, des crises vaso-occlusives extrêmement douloureuses et un risque accru d’infections.
Pour développer la maladie, il faut avoir hérité de deux copies du gêne muté. De nombreuses personnes sont donc porteuses saines de la drépanocytose.
«En Afrique, où les parents d'enfants malades sont stigmatisés, cette affection n'a pas eu de nom jusqu'à récemment», explique la professeure Mariane de Montalembert, membre du centre de référence sur la drépanocytose à l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris. «Les gens l'appellent notamment «la maladie qui empêche les enfants de vivre». Dans certaines régions, la plupart des enfants atteints de drépanocytose ne dépassent pas l'âge de cinq ans. L'hydroxyurée, un médicament chimiothérapeutique qui améliore certains des problèmes cliniques de la drépanocytose en augmentant l'hémoglobine fœtale, protectrice, est «inabordable financièrement dans certains pays d'Afrique», relève Mariane de Montalembert.
En France par contre, où se trouve la plus importante population drépanocytaire d'Europe, 98% des jeunes vivent au moins jusqu'à 18 ans, selon la spécialiste. «Il y a un dépistage systématique à la naissance. Un réseau de soins a été mis en place et nous formons les parents pour qu'ils puissent s'occuper correctement de leur enfant malade.»
Ailleurs, en Europe, la prise en charge est très inégale. «Dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe, il est très compliqué de trouver les bons produits sanguins pour les personnes drépanocytaires», assure David-Zacharie Issom, co-président de l'association Suisse Drépano et Président de la Fédération européenne de la Drépanocytose. «C’est un problème connu.» Quant à la Suisse, «mieux vaut y être traité dans un hôpital universitaire, précise David-Zacharie Issom. Ailleurs, je ne recommanderais pas.»
De nombreuses transfusions en Serbie
La Croatie n’en fait visiblement pas partie. Pas plus que la Serbie, où la famille a séjourné, et où Gildas a reçu des transfusions régulières de sang, ce qui ne correspond pas au protocole appliqué en Suisse. Ces transfusions sont peut-être à l'origine des problèmes que l'enfant rencontre aujourd'hui. «Si elles n'ont pas été faites au plus près du sous-groupe sanguin, cela peut entraîner des complications», confirme Cécile Choudja Ouabo, pédiatre onco-hématologue à Lausanne, spécialisée dans la drépanocytose. Elle ajoute: «Même en Europe de l'Ouest, cette complication des transfusions est difficile à gérer, mais on trouve toujours une solution.»
En Suisse, Gildas a séjourné à deux reprises à l'hôpital pour enfants de Saint-Gall. A la suite de sa dernière hospitalisation entre le 4 et le 12 novembre, il était attendu pour un contrôle le 22 du même mois. Mais il n'a pas pu se présenter au rendez-vous, la famille ayant été expulsée trois jours auparavant.
«Peu après, le papa m’a écrit pour me dire qu’ils avaient été renvoyés en Croatie», témoigne le docteur Heinz Hengartner, médecin-chef au service d’onco-hématologie à l'hôpital pour enfants de Saint-Gall. «Je savais que leur situation n’était pas stable en Suisse, mais j’ignorais que ce renvoi était programmé. J’aurais aimé que l’hôpital soit informé en amont par les autorités, qu’on nous demande comment préparer ce départ. Mais rien de cela n’a été fait. Les gens disparaissent du jour au lendemain, et on n’entend plus parler d’eux.»
Deux décisions négatives du SEM
Conscient que la Suisse avait refusé d’entrer en matière sur leur demande d’asile après un recours rejeté par le Tribunal administratif fédéral (TAF) en juillet 2024, le papa de Gildas espérait que le renvoi ne serait pas exécuté en raison de l’état de santé de son fils. Au contraire, le SEM a confirmé sa décision en octobre, à la suite d’une demande de réexamen de la situation par les parents de Gildas.
Du 23 septembre au 3 octobre 2024, l’enfant avait en effet été hospitalisé une première fois à Saint-Gall en raison d’une crise. Le 25 septembre, après une aggravation de son état avec difficultés respiratoires, une radiographie avait révélé une hypertrophie du coeur. Les médecins lui avaient alors diagnostiqué un syndrome coronarien aigu ainsi qu’un syndrome thoracique aigu – une complication grave de la drépanocytose, qui peut s'avérer mortelle.
Après une transfusion de sang, Gildas avait pu sortir de l’hôpital.
La maman du garçon souffre également de problèmes de santé. Mais dans sa nouvelle décision négative, le SEM cite la jurisprudence: il n'y aurait pas de caractère inacceptable au renvoi lorsqu'un traitement médical ne correspondant pas aux standards suisses est disponible dans le pays de destination. La Suisse part en outre du principe que la Croatie est en mesure «de fournir des soins médicaux appropriés et de garantir l’accès aux traitements médicaux nécessaires», sur la base de directives européennes signées par tous les Etats Dublin.
Pas de renseignements pris dans le pays de destination
Autrement dit, la Suisse ne se renseigne en règle générale pas plus avant sur les possibilités de traitement spécifiques dans l’Etat Dublin où un malade est renvoyé, ni sur les conditions d’hébergement et d’encadrement des personnes atteintes dans leur santé. Selon le règlement, elle doit seulement transmettre un «certificat de santé» aux autorités du pays de destination, avec «les informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer.» Quant à l’Etat membre responsable, il «n’a pas à fournir de confirmation aux pays qui lui transfèrent des requérants que ces soins sont effectués», précise Anne Césard.
D'un point de vue médical, la Suisse aurait pourtant dû se renseigner avant de transférer l'enfant en Croatie, assure Heinz Hengartner. «En cas de renvoi, le SEM devrait aussi s'assurer que les soins médicaux sont au moins aussi bons qu'en Suisse», ajoute le spécialiste.
Une fois la décision prise, seule l'aptitude à voyager de la personne renvoyée est déterminante pour les autorités.
L'accompagnement médical des requérants d'asile lors des renvois suscite régulièrement la controverse. Jusqu'à récemment, c'était en effet une seule et même société, Oseara SA, qui assurait à la fois l'évaluation de l'aptitude au renvoi et l'accompagnement médical pendant les expulsions. Des experts et des professionnels de la santé avaient pointé du doigt un conflit d'intérêts.
Depuis le 1er janvier, c'est une autre société, l’entreprise Rettungsdienste Nordwestschweiz AG, qui se charge de l'accompagnement médical, tandis que Oesara SA continue à évaluer l'aptitude au transport. Pour ce faire, les médecins employés par cette entreprise se basent «sur une liste de contre-indications médicales aux rapatriements sous contrainte par voie aérienne, qui est accessible au public : Rapatriement sous contrainte», détaille Anne Césard, porte-parole du Secrétariat d'Etat aux migrations. «Cette liste a été développée en collaboration avec l'Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) et la Fédération des médecins suisses (FMH). Elle permet d’évaluer si la personne concernée est transportable ou non pour des raisons de santé au moment du départ prévu.»
L'accompagnement médical des requérants d'asile lors des renvois suscite régulièrement la controverse. Jusqu'à récemment, c'était en effet une seule et même société, Oseara SA, qui assurait à la fois l'évaluation de l'aptitude au renvoi et l'accompagnement médical pendant les expulsions. Des experts et des professionnels de la santé avaient pointé du doigt un conflit d'intérêts.
Depuis le 1er janvier, c'est une autre société, l’entreprise Rettungsdienste Nordwestschweiz AG, qui se charge de l'accompagnement médical, tandis que Oesara SA continue à évaluer l'aptitude au transport. Pour ce faire, les médecins employés par cette entreprise se basent «sur une liste de contre-indications médicales aux rapatriements sous contrainte par voie aérienne, qui est accessible au public : Rapatriement sous contrainte», détaille Anne Césard, porte-parole du Secrétariat d'Etat aux migrations. «Cette liste a été développée en collaboration avec l'Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) et la Fédération des médecins suisses (FMH). Elle permet d’évaluer si la personne concernée est transportable ou non pour des raisons de santé au moment du départ prévu.»
«Le matin du renvoi, Gildas ne se sentait pas bien et il avait du mal à marcher», raconte son papa. «Le docteur du SEM (ndlr: un médecin d’une société privée accompagne tous les renvois forcés) lui a donné plusieurs fois des tablettes contre la douleur. Moi je sais que ce qu’il lui faut dans ces cas-là, ce sont des perfusions d’anti-douleurs, comme la morphine. Mais je ne pouvais rien faire, car j’étais menotté (ndlr: cette information n’est ni confirmée, ni infirmée par le service des migrations du canton de Saint-Gall. Le service précise qu’un-e représentant-e de la Commission fédérale contre la torture était présent-e lors du renvoi).»
Le stress peut déclencher une crise
Selon plusieurs spécialistes contactés par Blick, le stress est l’un des facteurs déclencheurs des crises vaso-occlusives typiques de la drépanocytose. Par ailleurs, un vol en avion est un risque connu en raison des crises qui peuvent avoir lieu à tout moment. «Pour une personne atteinte de drépanocytose, il est mieux de voyager en auto, en bus ou en train», explique Heinz Hengartner. «Et surtout, il faut s’assurer que le malade reçoive suffisamment de liquide durant le vol.»
Cela n’aurait pas été fait, selon le papa du garçon. «On lui a seulement donné à boire pour qu'il avale les médicaments.»
A son arrivée en Croatie, la famille a été envoyée à Kutina, un centre pour requérants d’asile situé à 80 kilomètres de Zagreb. «Nous avons d’abord été logés dans un container. Nous avons insisté à plusieurs reprises pour avoir une chambre pour Gildas et le bébé, et ils ont fini par nous transférer à l’intérieur du bâtiment», raconte le papa.
Pas de suivi du dossier médical?
Alors que la Suisse est tenue de fournir un «certificat de santé» au pays de destination, le papa de Gildas est formel: «La Croatie était au courant de notre retour, mais pas du reste. Ils n’avaient pas notre dossier médical. Lors de notre première interview, on nous a même demandé s’il y avait des cas de maladie dans la famille.» Il assure ainsi que c’est lui qui a mis les médecins croates en contact avec leurs homologues suisses.
Interrogée à ce sujet, la porte-parole deu SEM, Anne Césard, indique qu’«il n'existe pas de règles juridiques sur la manière dont cet échange d'informations doit se dérouler.»
Après des analyses, Gildas a été transféré à Zagreb pour y être pris en charge par des spécialistes. Lors de son premier rendez-vous, il a reçu une nouvelle transfusion de deux poches de sang. Deux jours après, le garçon a dû à nouveau être hospitalisé pour une semaine en raison d‘une nouvelle crise. Après cela seulement, la famille aurait pu déménager dans le centre de Porin, un ancien hôtel envahi par les cafards situé dans un quartier excentré de Zagreb, où elle se trouve actuellement. «Selon les médecins, Gildas devrait vivre dans un endroit chaud et propre. Mais ici, il est exposé aux virus et aux infections», se désole son papa.
Une nouvelle demande à la Suisse
Le 13 décembre, il a envoyé un message alarmiste à Heinz Hengartner, de l'hôpital de Saint-Gall. Voici ce que le spécialiste a répondu:
Forte du document de l'hôpital de Zagreb, la famille compte désormais se réadresser à la Suisse pour demander un visa humanitaire ou un réexamen de son dossier. Elle explore également les possibilités de se rendre dans un autre pays européen, afin de soigner Gildas au mieux.
Les 5 et 6 février, le garçon a de nouveau dû se rendre à l’hôpital à Zagreb en raison de fortes douleurs. Les médecins lui ont également découvert un kyste. «Il va probablement devoir être réhospitalisé bientôt», professe son papa, inquiet. Sur son profil WhatsApp l'homme a fait figurer une citation en allemand: «Das leben ist ein Kampf» (la vie est un combat). «Ce sont les premiers mots que j'ai appris quand nous sommes arrivés en Suisse», explique-t-il.
Contacté, le SEM a répondu à certaines de nos questions mais ne se prononce pas sur les cas particuliers «pour des raisons de protection des données.»
Un cas pas si particulier
Le «cas» Gildas ne semble pourtant pas si particulier. Fin janvier, Blick a raconté l’histoire de Bezma, cette petite fille turque renvoyée avec sa mère et son frère depuis le canton de Vaud alors qu’elle souffrait d’une maladie de Kawasaki et d’un anévrisme coronarien. L'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Charles Morerod, s'était ému de ce renvoi.
En Suisse et en Croatie, plusieurs ONG, associations et juristes contactés par Blick au cours des dernières semaines, dont l'association Médecins du monde présente en Croatie, confirment que la Suisse renvoie de plus en plus de personnes vulnérables, dont des enfants malades, vers Zagreb. Interrogé à ce sujet, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) répond que «les problèmes médicaux ne font pas l’objet d’une saisie statistiques.»
Ces renvois interrogent notamment le respect de la Convention relative aux droits de l'enfant, que la Suisse a ratifiée.
Le 8 décembre, au 19h30 de la RTS, tout en défendant des valeurs «humaines et pragmatiques», le conseiller fédéral en charge de l’asile Beat Jans s’est félicité du fait que le taux de renvois de la Suisse est beaucoup plus haut que celui des autres pays européens.
Parmi les personnes concernées fin 2024, il y avait Gildas et Bezma.
*Nom connu de la rédaction