Comment l’histoire de Bezma*, cette petite fille de 6 ans renvoyée de force avec sa famille vers la Croatie en décembre alors qu’elle venait d’être hospitalisée pour une maladie de Kawasaki, résonne-t-elle dans l’esprit de l’évêque à la tête de l'un des plus grands diocèses de Suisse?
Pour le savoir, nous avons fait parvenir à Charles Morerod le reportage que nous avons publié après être allés retrouver la fillette, sa mère et son petit frère à Kutina, un centre pour requérants d’asile flanqué de portakabins et situé en périphérie d’une petite ville éponyme, à 80 kilomètres de Zagreb.
L’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg a réagi vivement. «C’est absurde, cette histoire est complètement folle. Même quand il y a de règlements, par ailleurs discutables, il n’est pas interdit de faire preuve de bon sens. Quels qu’aient été les mécanismes derrière ce renvoi (mauvaise communication entre les différentes entités ou décision prise et appliquée en toute connaissance de cause), on a fait courir un risque mortel à une petite fille qui était encore en train de se faire soigner. Même Donald Trump ne fait pas ça.»
Selon le docteur Bernard Borel, pédiatre établi à Aigle et membre de l'association romande Médecins action santé migrants (MASM), «tout patient avec anévrisme coronarien, soit une dilatation d'une artère qui irrigue le coeur, doit être suivi régulièrement durant deux à trois ans.» Complication de la maladie de Kawasaki, l'anévrisme est en effet susceptible de se rompre, ce qui peut provoquer un infarctus. «Par chance, ces anévrismes ont tendance à régresser chez l'enfant. Mais cela reste un risque majeur pour sa santé.»
Le pédiatre se dit également inquiet en raison des vomissements et des accès de fièvre que Bezma a présentés régulièrement, déjà avant son arrivée en Suisse. «Fin décembre, sa mère a envoyé un message depuis la Croatie, où elle expliquait que sa fille avait de la peine à se lever de son lit et à marcher et se plaignait de fortes douleurs dans les bras et les jambes. Un enfant ne peut pas inventer cela et cela suggère une autre maladie auto-immune rhumatismale. C'est pour cette raison que mes confrères du CHUV pensaient que Bezma avait besoin d'un suivi rhumatologique.»
Aux dernières nouvelles, si la fillette a pu voir un cardiologue en Croatie grâce à ses soutiens en Suisse, elle n'a pas pu consulter de rhumatologue.
Selon le docteur Bernard Borel, pédiatre établi à Aigle et membre de l'association romande Médecins action santé migrants (MASM), «tout patient avec anévrisme coronarien, soit une dilatation d'une artère qui irrigue le coeur, doit être suivi régulièrement durant deux à trois ans.» Complication de la maladie de Kawasaki, l'anévrisme est en effet susceptible de se rompre, ce qui peut provoquer un infarctus. «Par chance, ces anévrismes ont tendance à régresser chez l'enfant. Mais cela reste un risque majeur pour sa santé.»
Le pédiatre se dit également inquiet en raison des vomissements et des accès de fièvre que Bezma a présentés régulièrement, déjà avant son arrivée en Suisse. «Fin décembre, sa mère a envoyé un message depuis la Croatie, où elle expliquait que sa fille avait de la peine à se lever de son lit et à marcher et se plaignait de fortes douleurs dans les bras et les jambes. Un enfant ne peut pas inventer cela et cela suggère une autre maladie auto-immune rhumatismale. C'est pour cette raison que mes confrères du CHUV pensaient que Bezma avait besoin d'un suivi rhumatologique.»
Aux dernières nouvelles, si la fillette a pu voir un cardiologue en Croatie grâce à ses soutiens en Suisse, elle n'a pas pu consulter de rhumatologue.
Une problématique qui dépasse ce cas
En effet, Bezma avait des rendez-vous médicaux de suivi au CHUV, notamment pour surveiller un anévrisme coronarien, complication de sa maladie de Kawasaki. Elle n’a pas pu se rendre à l’hôpital en raison de son renvoi. Mais pour l’évêque, la problématique dépasse largement le cas de cette petite fille. En effet, le haut dignitaire catholique a déjà rencontré à plusieurs reprises des migrants menacés de renvoi vers la Croatie dans le cadre du règlement Dublin, qui stipule que les requérants d’asile doivent demander une protection dans le premier pays européen où ils ont été enregistrés.
Selon lui, «il y a un sérieux problème avec les renvois vers la Croatie. L’an dernier, j’ai rencontré des Burundais qui avaient subi des violences et s’étaient fait traiter de singes par la police croate. Je n’en ai pas cru mes oreilles.»
Des coups. Divers types d'abus sexuels, dont des viols d’adultes et de mineurs, ou des viols des parents en présence des enfants. Des menaces, des insultes et des enfermements sans explications. Telle est la sinistre liste des abus répertoriés par la Coordination cantonale vaudoise pour la santé mentale des migrant.e.s en situation de précarité en 2023. Durant trois mois, en collaboration étroite avec les institutions psychiatriques du canton de Vaud, cette instance a procédé à un monitorage des violences subies par des requérants d'asile en Croatie de la part des forces de police et des gardes-frontières.
Au total, 90 cas ont été recensés, dont 21 mineurs et 9 jeunes de 18 à 24 ans. Les personnes concernées étaient originaires du Burundi, de Turquie-Kurdistan, d'Afghanistan, de la Somalie et de la République démocratique du Congo.«Il est important de préciser que ce répertoire n’est pas exhaustif, n’ayant pas les données de tous les services psychiatriques du canton», explique Javier Sanchis, psychiatre et coordinateur cantonal pour la santé mentale des migrants. Par ailleurs, «il est probable que d’autres personnes n’aient pas été repérées par les services sanitaires», ajoute le psychiatre.
A la suite de ce monitorage, un rapport a été envoyé au médecin cantonal, qui l’a fait suivre aux autorités cantonales. Ces dernières «ont ensuite alerté les autorités fédérales, qui décident des renvois», précise Javier Sanchis.
Un risque de séquelles psychiques irréversibles
Les problèmes psychiques constatés par les services étaient surtout des symptômes compatibles avec un traumatisme psychologique en lien avec les agressions subies en Croatie, ainsi que des états d’angoisses sévères accompagnés d’idées suicidaires par moments, liés à la peur d’être renvoyé à nouveau dans ce pays. «Nous tenons à préciser que les témoignages recueillis nous permettent de dire que les traumas psychiques sont survenus en Croatie à la suite des violences subies et qu’ils ne sont pas systématiquement cumulés à d’autres traumas préexistants», relève Javier Sanchis.
Dans ce contexte, le médecin estime que les risques pour les adultes et les enfants sont majeurs en cas de renvoi: «Les enfants sont particulièrement exposés. Ils peuvent avoir subi eux-mêmes des agressions ou avoir été témoins de l’agression ou du viol de leurs parents. Dans certains cas, les effets sont collatéraux, car les parents souffrant d’un état de stress post-traumatique sont impactés dans leur capacité à veiller aux besoins de leurs enfants, et ne peuvent pas prendre soin d’eux de manière adéquate. Il est donc urgent de pouvoir repérer ces troubles et d'apporter un soutien aux enfants ainsi qu’aux parents pour les aider à récupérer leurs fonctions parentales.»
Javier Sanchis avertit: «Sans ce soutien, le bon développement psychologique des enfants est sévèrement atteint, avec un risque de séquelles irréversibles au niveau psychique, dans leurs apprentissages et sur leurs aptitudes sociales. Par ailleurs, dans l’hypothèse que la Croatie puisse fournir des soins psychiatriques de qualité, retourner dans le pays où elle s’est fait agresser rendra pour la personne très difficile le fait qu’elle puisse parler de son vécu traumatique. Le sentiment d’insécurité et de danger imminent peut lui faire craindre que les professionnels de la santé soient en lien avec les autorités et qu’elles seront dénoncées.»
Le SEM établit une stricte distinction entre les retours Dublin par avion et les entrées de réfugiés via les frontières. Selon lui, il n'y a pas de faiblesse systémique dans le système d'asile et d'accueil croate, et les renvois vers ce pays peuvent donc continuer.
Des coups. Divers types d'abus sexuels, dont des viols d’adultes et de mineurs, ou des viols des parents en présence des enfants. Des menaces, des insultes et des enfermements sans explications. Telle est la sinistre liste des abus répertoriés par la Coordination cantonale vaudoise pour la santé mentale des migrant.e.s en situation de précarité en 2023. Durant trois mois, en collaboration étroite avec les institutions psychiatriques du canton de Vaud, cette instance a procédé à un monitorage des violences subies par des requérants d'asile en Croatie de la part des forces de police et des gardes-frontières.
Au total, 90 cas ont été recensés, dont 21 mineurs et 9 jeunes de 18 à 24 ans. Les personnes concernées étaient originaires du Burundi, de Turquie-Kurdistan, d'Afghanistan, de la Somalie et de la République démocratique du Congo.«Il est important de préciser que ce répertoire n’est pas exhaustif, n’ayant pas les données de tous les services psychiatriques du canton», explique Javier Sanchis, psychiatre et coordinateur cantonal pour la santé mentale des migrants. Par ailleurs, «il est probable que d’autres personnes n’aient pas été repérées par les services sanitaires», ajoute le psychiatre.
A la suite de ce monitorage, un rapport a été envoyé au médecin cantonal, qui l’a fait suivre aux autorités cantonales. Ces dernières «ont ensuite alerté les autorités fédérales, qui décident des renvois», précise Javier Sanchis.
Un risque de séquelles psychiques irréversibles
Les problèmes psychiques constatés par les services étaient surtout des symptômes compatibles avec un traumatisme psychologique en lien avec les agressions subies en Croatie, ainsi que des états d’angoisses sévères accompagnés d’idées suicidaires par moments, liés à la peur d’être renvoyé à nouveau dans ce pays. «Nous tenons à préciser que les témoignages recueillis nous permettent de dire que les traumas psychiques sont survenus en Croatie à la suite des violences subies et qu’ils ne sont pas systématiquement cumulés à d’autres traumas préexistants», relève Javier Sanchis.
Dans ce contexte, le médecin estime que les risques pour les adultes et les enfants sont majeurs en cas de renvoi: «Les enfants sont particulièrement exposés. Ils peuvent avoir subi eux-mêmes des agressions ou avoir été témoins de l’agression ou du viol de leurs parents. Dans certains cas, les effets sont collatéraux, car les parents souffrant d’un état de stress post-traumatique sont impactés dans leur capacité à veiller aux besoins de leurs enfants, et ne peuvent pas prendre soin d’eux de manière adéquate. Il est donc urgent de pouvoir repérer ces troubles et d'apporter un soutien aux enfants ainsi qu’aux parents pour les aider à récupérer leurs fonctions parentales.»
Javier Sanchis avertit: «Sans ce soutien, le bon développement psychologique des enfants est sévèrement atteint, avec un risque de séquelles irréversibles au niveau psychique, dans leurs apprentissages et sur leurs aptitudes sociales. Par ailleurs, dans l’hypothèse que la Croatie puisse fournir des soins psychiatriques de qualité, retourner dans le pays où elle s’est fait agresser rendra pour la personne très difficile le fait qu’elle puisse parler de son vécu traumatique. Le sentiment d’insécurité et de danger imminent peut lui faire craindre que les professionnels de la santé soient en lien avec les autorités et qu’elles seront dénoncées.»
Le SEM établit une stricte distinction entre les retours Dublin par avion et les entrées de réfugiés via les frontières. Selon lui, il n'y a pas de faiblesse systémique dans le système d'asile et d'accueil croate, et les renvois vers ce pays peuvent donc continuer.
«Je suis amené à défendre des cas particuliers»
En 2016, Charles Morerod s’était joint à l’association Solidarité sans frontières pour soutenir un Afghan dont les empreintes digitales avaient été enregistrées par les autorités croates sur la route de l’exil. L’association craignait que le jeune homme, s’il était renvoyé en Croatie, ne soit de nouveau expulsé vers l’Afghanistan. Or, il s’était converti au christianisme durant son exil, ce qui l’aurait exposé à des représailles en cas de retour dans son pays d’origine.
«De temps en temps, je suis amené à défendre des cas particuliers, mais je ne le crie pas sur les toits. Je communique alors directement avec les autorités. Parfois cela fonctionne, parfois pas», précise Charles Morerod, qui préside également depuis peu la Conférence des évêques suisses.
Le haut dignitaire catholique souligne que les cantons ont une latitude au niveau humanitaire en matière de transferts Dublin. Il a l’impression que «la politique vaudoise à cet égard s’est durcie.»
*Nom connu de la rédaction