Transferts de requérants d'asile
Des élus se mobilisent contre les renvois forcés d'enfants malades

Des interventions parlementaires ont été déposées à Berne à la suite notamment des enquêtes de Blick en Croatie. Elles visent à mieux protéger les enfants. La problématique gagne aussi le Valais.
Publié: 06.03.2025 à 15:56 heures
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Dernière mise à jour: 07.03.2025 à 07:00 heures
Bezma et son petit frère ont été réveillés au milieu de la nuit par la police pour être renvoyés en Croatie.
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Camille KrafftJournaliste Blick

Les récits de renvois d'enfants malades depuis la Suisse, dont Blick s'est fait l'écho ces dernières semaines après s'être rendu en Croatie, a touché une partie du monde politique. A Berne, quatre interventions parlementaires déposées ces jours visent à améliorer le sort des requérants d'asile mineurs dont la famille doit être expulsée par vol spécial. Ces textes émanent des socialistes vaudois Jessica Jaccoud et Jean Tschopp ainsi que de la Verte genevoise Delphine Klopfenstein Broggini. 

Dans son interpellation, Jessica Jaccoud mentionne l'histoire «dramatique» de Bezma*, cette petite fille de 6 ans gravement malade renvoyée depuis Vallorbe (VD) vers la Croatie alors qu’elle avait un rendez-vous médical primordial au CHUV le lendemain de son arrestation.

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Faire venir des policiers au milieu de la nuit pour déloger des enfants malades est indigne de notre pays et de l’Etat de Vaud
Jessica Jaccoud, conseillère nationale vaudoise
»

Bezma a été transférée de force avec sa mère et son frère vers Zagreb en vertu du règlement Dublin, qui stipule qu'une personne requérante d'asile doit retourner dans le premier pays européen où elle a été enregistrée. La Croatie est critiquée depuis plusieurs années pour sa gestion défaillante de l'asile et son non-respect des droits des migrants. 

Méthodes «choquantes» de la police

Jessica Jaccoud revient sur «les méthodes choquantes employées par la police (...): intervention en pleine nuit, menace d’usage des menottes et mobilisation d’une vingtaine d’agents.» Soulignant que ce cas est loin d’être unique en Suisse, l’élue demande au Conseil fédéral de justifier les renvois nocturnes en présence de mineurs et sollicite des explications sur la procédure.

Jointe par téléphone, elle commente: «Faire venir des policiers au milieu de la nuit pour déloger des enfants malades est indigne de notre pays et de l’Etat de Vaud. Nos autorités, à tous les niveaux, ont une marge de manoeuvre quant aux conditions dans lesquelles ces renvois sont exécutés. Elles peuvent choisir d’agir autrement.»

La conseillère nationale socialiste vaudoise Jessica Jaccoud.

Dans une seconde interpellation, Jessica Jaccoud s’inquiète du suivi médical des personnes renvoyées et questionne le Conseil fédéral sur la procédure suivie par la société privée Oseara, mandatée par le Secrétariat d’Etat aux migrations pour déterminer l’état de santé d’une personne avant un renvoi.

Elle s’interroge également sur la possibilité pour les autorités cantonales de différer ou d’annuler un transfert, et demande au Conseil fédéral s’il envisage de suspendre les renvois vers les pays où l’accès aux soins n’est pas garanti - comme c’est le cas en Croatie selon différentes associations. En témoigne l’histoire tragique de Gildas, ce garçon de dix ans souffrant d’une maladie génétique que les médecins croates ne peuvent pas soigner correctement.

Des critères d'humanité et de compassion

La Genevoise Delphine Klopfenstein Broggini se penche, elle, sur la possibilité pour la Suisse d’activer la clause de souveraineté du règlement Dublin, laquelle permet à un Etat de renoncer au transfert d’un(e) requérant (e) d’asile et de traiter lui-même la demande, notamment pour des motifs humanitaires ou de compassion.

«Un enfant est déjà une personne dite vulnérable avec des besoins de protection accrus, alors pour un enfant malade, c’est doublement justifié d’activer cette clause. Si un enfant malade n’entre pas dans des critères d’humanité et de compassion, qui y entre?», s’interroge l’élue Verte, que nous avons contactée.

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Si un enfant malade n’entre pas dans des critères d’humanité et de compassion, qui y entre?
»

Le but de sa motion: que le Conseil fédéral active systématiquement cette clause de souveraineté lorsque le transfert concerne des enfants dont la santé est atteinte, de manière à réaliser les conditions cadre de la Convention relative aux droits de l’enfant. 

La conseillère nationale Verte Delphine Klopfenstein
Photo: keystone-sda.ch

Une «ligne rouge» franchie

Un troisième élu, Jean Tschopp, se penche justement sur la non-application de cette Convention, qui engage pourtant la Suisse. «Avec ces renvois d’enfants dans des situations épouvantables, une ligne rouge a été franchie», assure le conseiller national. Dans son interpellation, l’élu souligne que la Revue médicale suisse a publié début février un appel à davantage d'humanité dans le renvoi forcé de requérants d'asiles, signé par douze médecins, pédiatres et professionnels de santé. Une démarche «sans précédent» à sa connaissance. 

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Avec ces renvois d’enfants dans des situations épouvantables, une ligne rouge a été franchie
Jean Tschopp, conseiller national vaudois
»

Jean Tschopp demande au Conseil fédéral si la prise en charge sanitaire des enfants renvoyés fait l'objet d'une réévaluation par le SEM compte tenu d'allégations de traitement inhumain en Croatie ou dans d'autres pays. Outre le non-respect des recommandations de la Commission nationale contre la torture concernant notamment le menottage des personnes renvoyées, Jean Tschopp questionne également le gouvernement sur d’éventuelles sanctions financières prises contre les cantons en cas d'application de la clause de souveraineté. 

Dans une question qui sera posée lundi prochain, l'élu demande par ailleurs «pourquoi la Confédération ne requiert pas à tout le moins des garanties individuelles et concrètes pour les personnes particulièrement vulnérables en cas de renvoi en Croatie comme elle a pu le faire pour la Bulgarie.»

Le conseiller national socialiste vaudois Jean Tschopp

Un nouveau collectif en Valais

Par ailleurs, les questionnements autour des transferts forcés vers Zagreb ont gagné le canton du Valais, où une résolution déposée par deux élues Verte et socialiste le 14 février demande que le Grand conseil invite le Conseil fédéral à intervenir auprès du SEM pour que ce dernier applique la clause de souveraineté pour des raisons humanitaires concernant les renvois Dublin en Croatie. Le texte cite l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Charles Morerod, lequel avait déclaré à Blick que «même Donald Trump ne fait pas ça» au sujet du renvoi de Bezma. 

Un collectif nommé «Droit de rester Valais» a en outre vu le jour récemment pour défendre notamment trois Burundais menacés de renvoi vers Zagreb alors qu’ils semblent bien intégrés dans ce canton. Relatant cette histoire le 6 mars, le quotidien valaisan Le Nouvelliste a titré en une «Non au renvoi de requérants en Croatie». 

*Noms connus de la rédaction

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