Une page se tourne. À Berne, la session d'automne s'est achevée ce 29 septembre. Une date synonyme de départ pour la conseillère aux Etats verte vaudoise Adèle Thorens Goumaz, qui quitte la scène politique nationale après 16 ans d'engagement.
Cette pionnière de la durabilité a été élue pour la première fois au Conseil national en 2007. Elle a ensuite accédé à la Chambre haute en 2019, aux côtés du libéral-radical Olivier Français, qui ne se représente pas non plus. Au bout du fil ce vendredi en milieu d'après-midi, l'émotion est palpable. La sénatrice sortante, dont le siège sera âprement disputé lors des élections fédérales du 22 octobre, accepte de regarder dans le rétroviseur. Mais pas trop longtemps. Seul l'avenir compte. Notamment celui des jeunes «terrorisés» par la crise climatique. Interview.
Adèle Thorens Goumaz, vous venez d'arriver chez vous après avoir quitté Berne pour de bon. Que ressentez-vous?
Une immense émotion. Même si mon mandat ne s'est pas véritablement terminé avec la fin de cette session d'automne. Je suis encore en fonction jusqu’à fin novembre et il me reste beaucoup de séances de commission.
Quand vous regardez dans le rétroviseur, quelle est la première chose qui vous vient en tête?
Un souvenir d’une intensité très forte: la manifestation pour le climat, en 2019, à Berne. Nous étions 100’000! C’était un moment clé. Vous savez, je suis chez les Vert-e-s depuis la fin des années 1990. J’ai connu le parti quand il était tout petit, à une époque où nous étions mal compris par beaucoup de monde. Honnêtement, parfois, on se sentait seuls. Alors être au sein de cette foule gigantesque dans la rue, c’était incroyable! Surtout de voir que les jeunes nous soutenaient. Moi, quand j’étais une jeune écologiste, j’étais un peu vue comme une extraterrestre. J’ai compris lors de cette manifestation que quelque chose était en train de se passer.
Avez-vous un regret?
Je ne me suis jamais posé cette question… Je ne crois pas. Évidemment, en politique, on commet des erreurs. Mais j’ai toujours fait de mon mieux.
Alors, un échec cuisant?
Le refus de la loi CO2 par le peuple en 2021 a été un traumatisme. Derrière, il y avait eu un énorme travail. Des séances et des compromis qui m'ont occupée pendant des années, au quotidien. Mais, manifestement, nous avions fait quelque chose de faux. Heureusement, nous avons pu nous rattraper avec la loi sur le climat et l’innovation, acceptée en juin de cette année.
Il y a la réalité de la rue et celle du Parlement. Avez-vous l’impression que les thématiques écologiques sont prises plus au sérieux aujourd’hui qu’il y a 16 ans, à vos débuts sur la scène politique nationale?
Oui, assurément. Les enjeux environnementaux sont mieux considérés qu’auparavant. Il y a aussi une meilleure connaissance de ces thématiques. Mais cela reste difficile! Les politiques environnementales restent compliquées à faire passer. Par ailleurs, je remarque que les sondages défavorables aux Vert-e-s pour les élections fédérales sont autant de pression en moins sur les épaules de nos collègues de la majorité de droite. Pareil quand il y a moins de pression de la rue: les efforts se relâchent immédiatement.
Ces sondages sont défavorables parce que les Vert-e-s ont fait quelque chose de faux durant cette législature?
Vu mon implication, je ne suis pas la meilleure personne pour répondre à cette question! (Rires) Plus sérieusement, certainement que nous n’avons pas fait tout juste. Je pense que le grand public a maintenant une conscience aiguë du changement climatique. C’est une étape importante et positive. Mais cette connaissance-là n'est pas une validation automatique des mesures fortes et nécessaires, portées par les Vert-e-s.
Que voulez-vous dire?
Que nous sommes humains. Il y a beaucoup de peurs, car notre société et nos modes de vie vont indéniablement changer. Il y a aussi des préjugés, cela n’aide pas forcément à agir. L’un des plus gros? Que l’écologie et l’économie ne feraient pas bon ménage. C’est absolument faux! Aujourd’hui, des solutions technologiques pour arriver à une société décarbonée sont disponibles. Mais l’État doit les aider à s’imposer sur le marché. Pour y parvenir, il faut investir beaucoup d’argent. C’est ce qui est difficile à faire accepter à certains.
Peut-être aussi parce que les gens ont besoin d’espoir pour avancer? Or le discours écologique est plutôt axé sur les drames qui nous attendent, si nous ne faisons rien.
Oui, je pense que l’espoir est quelque chose d’important. Je vais probablement anticiper l’une de vos questions en parlant de désobéissance civile. Ce qui me fait vraiment très peur et beaucoup de peine, c’est de voir qu’une partie de la population — notamment des jeunes très bien informés — est désespérée. Pour moi, la désobéissance civile est un symptôme du désespoir.
Ces jeunes n’ont pas de raison d’avoir peur?
Je lis tous les rapports scientifiques et la réalité est sérieuse, terrifiante. Oui: il y a des raisons d’être terrorisé. Mais nous avons les solutions! Nous ne sommes plus démunis, comme cela fut le cas par le passé. Cette réalité doit nous rassurer. Le seul défi: mettre en œuvre ces solutions. J’ai un message pour les jeunes dont nous parlons.
Lequel?
Relevez-vous et engagez-vous en politique, dans des associations ou encore dans des entreprises! Nous y arriverons. Nous devons nous mobiliser et faire comprendre aux gens qu’une société décarbonée, c’est une société avec un très haut niveau de qualité de vie.
Cela veut dire que nous pourrons atteindre nos objectifs climatiques sans renoncer à une partie de notre confort?
Cela dépend de ce que vous entendez par le terme «confort». Je pense que notre société actuelle de surconsommation — dans un pays comme la Suisse — est en réalité très insatisfaisante. Elle exige constamment de nous que nous achetions le nouvel iPhone, de nouveaux vêtements… C’est une situation de frustration permanente, dont beaucoup de gens souffrent. Dans notre pays, si vous demandez sérieusement aux gens ce qui est important, que vont-ils répondre?
Dites-le moi.
Pouvoir aller sereinement vers l'avenir, pouvoir profiter de ses proches, avoir suffisamment de temps pour eux, être en bonne santé… Essentiellement des choses immatérielles! En tout cas pas être submergé de camelotes. Comprenez-moi bien: je ne suis pas une fan du concept de la sobriété. Encore moins en tant que Vaudoise, qui aime bien boire du vin (rires). Mais je suis pour une société à la fois durable et qui rend heureux. Notamment grâce à une économie circulaire qui peut répondre à nos besoins et à nos envies en restant dans les limites planétaires.
C’est joli. Mais en réalité, l’écologie est forcément punitive, non?
Je n’ai jamais compris cette idée de l’écologie punitive. Je ne vois pas ce qu’il y a de punitif à avoir du chauffage via des pellets ou une pompe à chaleur plutôt qu’avec du mazout. Je ne vois pas non plus ce qu’il y a de punitif à avoir des transports publics performants et à rouler en voiture électrique plutôt qu’en voiture à essence. Dans tous ces exemples, vous avez la prestation que vous attendez. Où est le problème? Je ne le vois pas. Je le répète: nous avons les solutions. Le rôle du politique maintenant, c’est de les rendre accessibles aux particuliers et aux entreprises. C’est en tout cas ce qui a toujours guidé mon action.
La technologie résoudra tous les maux?
La technologie peut énormément, mais pas tout. Il faudra aussi manger un peu moins de viande et réduire notre consommation d'aviation liée aux loisirs. Cela représente un effort, mais il me semble qu'il se justifie s'il s'agit de laisser une planète vivable à nos enfants. Les jeunes mangent d'ailleurs spontanément moins de viande et, à titre personnel, je n'ai plus pris l'avion depuis bientôt 17 ans. Je le referai peut-être un jour, qui sait, mais pour le moment, cela ne me manque pas.