Comme à son habitude, la direction du Parti socialiste suisse (PSS) s'est montrée très succincte dans sa réponse par courriel aux questions de Blick. «Nous condamnons fermement tout antisémitisme. La formulation du tweet n’est pas appropriée.» La publication sur X en question, dans le viseur du parti à la rose, c'est celle de «son» conseiller communal (législatif) lausannois Mountazar Jaffar, publiée le lundi 4 mars.
Sur son profil personnel, il réagissait à l'agression d'un juif orthodoxe samedi soir à Zurich, pour des motifs antisémites et sur fond de terrorisme. Dans le texte, Mountazar Jaffar déplore le renforcement de l’antisémitisme. Il met la cause sur «le terrorisme israélien» et rapproche l'agression de Zurich du 11 septembre 2001 et de l'attaque de Charlie Hebdo en 2015, qui selon lui, ont «fait exploser l'islamophobie».
Nantermod sort la sulfateuse
Sa publication, peu claire, a suscité de nombreuses réactions. Engagé en faveur de la population palestinienne, Mountazar Jaffar a rapidement reçu des accusations d'antisémitisme. Et pas seulement de la part d'anonymes grouillant sur le réseau social d'Elon Musk. Le conseiller national libéral-radical valaisan Philippe Nantermod est monté sur le ring. Le membre du groupe interparlementaire d'amitié Suisse-Israël a jugé «incompréhensible» que le PS Suisse «tolère ce genre de propos antisémite».
Côté romand, le doctorant à l'Université de Lausanne, chercheur en sciences sociales et politiques, a reçu du soutien de son parti et de la gauche. L'élu lausannois d'Ensemble à Gauche (EàG) Johann Dupuis a estimé que le Parti libéral-radical (PLR) et son vice-président «confondent analyse des causes du terrorisme avec antisémitisme». Le président du PS Vaud Romain Pilloud a également pris la défense de son camarade de parti dans une longue réponse.
Condamnez-vous les violences?
Appelée à réagir par Blick, la direction du PS Suisse — Mattea Meyer et Cédric Wermuth — nous a répondu le soir du 5 mars. «Nous condamnons toutes les attaques contre des individus, indique par mail le porte-parole romand du parti Colin Vollmer. Comme nous l’avons écrit dans une déclaration commune, nous condamnons fermement tout antisémitisme. La formulation du tweet n’est pas appropriée.»
Contacté dans la foulée par Blick, Mountazar Jaffar répond à son parti que «ce qui est inapproprié, c'est que l'on me traite de nazi, d'islamiste et d'antisémite, ou que des élus comme Nantermod se fassent les perroquets du gouvernement israélien, qui en ce moment même massacre, affame des milliers de femmes et d'enfants.» L'élu aux propos désavoués fait partie des 94 «camarades» qui signent une lettre interne — dévoilée sur nos plateformes — qui demande à son parti un engagement plus ferme contre la «guerre génocidaire» menée par Israël.
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Relancé sur les raisons qui les ont fait considérer les propos de leur élu comme inappropriés, le PS Suisse s'est expliqué ainsi mercredi matin: «Selon nous, une condamnation forte de l’attaque dont a été victime cette personne aurait été nécessaire.» Mountazar Jaffar estime que sa condamnation de l'acte était claire. «Je commence par dire 'le plus terrible?'. Donc pour quelqu'un qui comprend bien la langue française, cela veut dire qu'il y a un événement terrible et que ce que je vais dire l'est encore plus», analyse l'élu lausannois.
Il continue sur sa lancée: «Ce qui est terrible, c'est ce qui s'est passé. C'est ce coup de couteau que je condamne sans ambiguïté. On ne devrait même pas en discuter, je serais un dangereux personnage si je soutenais qu'il faut tuer des gens.» Avec son «Force» final, Mountazar Jaffar ne voit pas d'ambiguïté quant au fait qu'il déplore l'agression. «S'il y a des personnes que ça peut rassurer, évidemment que je condamne toute action violente contre des innocents», assure-t-il.
Inversion de culpabilité
L'élu lausannois voit des différences d'appréciation du conflit des deux côtés de la Sarine. «J’entends l'avis du PSS sur mon tweet et on peut toujours discuter après coup de la formulation, d'autant plus que le contexte est apprécié différemment en Suisse alémanique qu'en Romandie, concède-t-il. Je comprends donc que le PSS soit plus sensible à la forme de mon message concernant l'attaque antisémite à Zurich.»
Il estime par contre diffamatoire d'affirmer, comme le fait Philippe Nantermod, que son propos est antisémite. Joint au bout du fil, son accusateur lui répond: «Je ne crois pas que ce soit diffamant. Ce qu'il a écrit est antisémite. Faire porter aux juifs la responsabilité de l'action israélienne et inverser la responsabilité des victimes et des coupables, c'est antisémite. Je le dis, je le pense et le répète. C'est à mon avis évident.»
Le politicien valaisan ajoute sa pierre à l'explication d'un court texte qu'il «trouve particulièrement odieux»: «C'est la rhétorique classique antisémite, qui consiste à inverser la culpabilité. Il dit clairement que puisque cette personne est juive, son agression est la conséquence de ce qu'il appelle le 'terrorisme israélien'.»
Charlie Hebdo, 11 septembre… les exemples utilisés par Mountazar Jaffar dans sa publication font faire des suppositions à Philippe Nantermod. «C'est très intéressant qu'il n'ait pas parlé du 7 octobre, souligne le membre du Parlement. Il considère certainement que ce ne sont pas des actes terroristes qui se sont passés ce jour-là.»
Conflit exporté en Suisse
De son côté, Mountazar Jaffar développe son argumentaire. «C'est un tweet très pessimiste, dans lequel je dis que les exactions et le terrorisme d'état israéliens ont des répercussions directes sur la montée de l'antisémitisme dans le monde. Cette violence politique-là est affichée au grand jour en ce moment dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les enquêtes d'à peu près tous les acteurs humanitaires sérieux, qui nous montrent qu'Israël affame et massacre des civils par milliers et n'entend pas s'arrêter là.»
Pour l'élu lausannois, ce qui lui a valu une montagne de critiques et d'insultes, c'est d'avoir osé «associer 'terrorisme' avec 'Israël', et pas avec 'Arabe' ou 'musulman'». Il continue: «Je déplore l'attitude de Philippe Nantermod ou de la CICAD qui, à la moindre critique d'Israël, évoquent l'antisémitisme. Le premier est pourtant élu et docteur en droit, ce qui démontre que les diplômes ne protègent pas de la bêtise.»
Le parlementaire fédéral s'avoue «juste surpris que le Parti socialiste, qui y va de ses pétitions pour condamner l'antisémitisme, compte parmi ses élus une personnalité qui, au moment où un citoyen se fait poignarder par un terroriste, lui lance à la figure: 'ma foi, vous payez les exactions commises par votre gouvernement'.» Philippe Nantermod le souligne de lui-même: le juif orthodoxe agressé à Zurich samedi soir n'est pas de nationalité israélienne.
Séparer antisémitisme et critique d'Israël
Toujours d'après Philippe Nantermod, les «actes terroristes» n'ont eu lieu «que d'un côté»: «Je n'ai pas connaissance de populations musulmanes qui auraient été martyrisées en Suisse comme le pauvre monsieur qui s'est fait poignarder vendredi. Qu'on le veuille ou non, c'est quand même toujours dans un sens.»
Sa position est claire: «Si on peut avoir une opinion critique à l'égard d'une réaction israélienne qui serait parfois disproportionnée, je constate quand même qu'il y a une population qui s'est fait massacrer sans raison le 7 octobre. On a devant nous un État qui se défend face à une organisation terroriste. Mon point de vue n'a pas changé sur cette question, je reste convaincu que le droit des peuples à se défendre doit primer.»
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Mountazar Jaffar revient sur les accusations portées à son égard: «En Suisse, ce serait inacceptable qu'on taxe quelqu'un d'islamophobe parce qu'il critique le non-respect des droits de l'homme en Arabie Saoudite ou en Iran. C'est la même chose avec Israël, sauf qu'on se fait traiter d'antisémite lorsqu'on dit qu'Israël fait du terrorisme. Il est vraiment temps de séparer la question de l'antisémitisme, de celle de la critique de l'État israélien.»
En clair: chacun campe sur des positions qui semblent irréconciliables. Pour Philippe Nantermod, l'argumentaire de Mountazar Jaffar «pousse à conforter une part grandissante de la population dans leur haine ou leur méfiance à l'égard des personnes de confession juive». Le socialiste voit quant à lui de l'islamophobie dans la réaction observée à sa prise de parole. «Si on m'agresse autant sur X, c'est parce que je m'appelle Mountazar Jaffar et qu'on m'attribue une religion musulmane. Il y a fort à parier que si une personne identifiée comme Suisse avait fait cette publication, il n'y aurait pas eu cette polémique.»