Il n'aura pas lieu, ce tournoi de foot caritatif pour la population palestinienne à Gaza. Du moins pas ce dimanche sur les terrains de l'Université de Lausanne (UNIL). C'est l'information partagée vendredi par les organisateurs mécontents, l'équipe du FC Hardegger, sur leur compte Instagram.
Ceux-ci voulaient récolter des fonds au profit de deux associations: le Croissant rouge palestinien, membre du Mouvement international de la Croix-Rouge, et Medical Aid for Palestinians, qui a lancé un appel urgent à fournir à Gaza des soins de santé et une aide médicale essentiels, démarche soutenue par le maire de Londres Sadiq Khan.
Dans un article du «Courrier», l'université lausannoise a indiqué les motifs de son refus. Le service sports/santé assure que «la direction de l'UNIL ne rentre pas en matière dans le cadre d'un soutien en relation avec un conflit politique». L'attachée de presse admet une possible erreur de son administration, qui aurait dans un premier temps accepté la tenue de l'événement.
Elle évoque aussi «une démarche pas claire sur le plan politique» de la part du club à l'origine de ce projet, qui aurait «imposé des délais trop courts et communiqué avant la réponse de l'UNIL.» En bref, de la cuisine interne unilienne mélée à de la géopolitique internationale sous haute tension et une histoire de ballon rond.
Ces justifications ne convainquent pas Mountazar Jaffar, conseiller communal (législatif) de la capitale vaudoise. Le socialiste ne fait pas partie des organisateurs. Mais en tant que doctorant et assistant en sciences politiques à l'UNIL, il comptait participer au tournoi avec quelques amis. Il soutient ouvertement la cause palestinienne et questionne le «deux poids, deux mesures» de son employeur quant aux situations russo-ukrainiennes et israélo-palestiniennes.
Mountazar Jaffar, vous comptiez participer à ce tournoi de foot afin de récolter des dons pour l'aide humanitaire à Gaza, c'est juste?
Absolument, d'où ma très grande déception. Encore plus au vu des motifs invoqués. J'aime le foot, j'en fais déjà. En faire pour une cause noble, c'était une manière de joindre l'utile à l'agréable. À Gaza, il y a un très gros besoin d'argent et d'aide humanitaire.
Quel était le but de ce tournoi de foot?
Il s'agissait de soutenir, d'un point de vue absolument apolitique, des humains qui vivent une situation désastreuse. Toutes les ONG possibles et imaginables le disent et font part d'un déplacement de population inédit. La question de vie ou de mort est posée au quotidien pour de nombreuses personnes, au vu du manque d'accès aux soins, aux transports ou à l'eau potable.
Mais concrètement?
Ce tournoi aurait permis d'envoyer de l'argent pour aider. Peut-être 20'000 francs, c'est toujours ça de fait. Cela aurait aussi permis de montrer son soutien à des civils victimes d'un nettoyage ethnique et d'un génocide de la part d'un État.
L'UNIL est-elle bien le lieu pour ce genre de démarches de sensibilisation?
Apparemment oui, vu la mise à disposition des infrastructures pour un autre conflit politique: l'envahissement de l'Ukraine par la Russie. Dans les deux cas, il s'agit d'impérialisme. En Israël et en Palestine, il y a aussi la question de la colonisation de la part d'Israël. Si on part du principe qu'on prête nos locaux à une cause, je ne vois pas pourquoi l'UNIL ne serait pas le lieu adéquat.
Mais n'y a-t-il pas d'autres lieux?
C'est vrai, il y a d'autres terrains auxquels les organisateurs auraient pu penser, comme ceux de Chavannes ou de la Tuillière. En l'occurrence, le synthétique de l'UNIL a servi à plusieurs reprises à ce genre de causes. J'ai moi-même participé à un tournoi de soutien aux victimes du séisme au Maroc. Je ne vois rien qui indique que ce ne serait pas le bon endroit.
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Comment l'UNIL avait-elle manifesté son soutien à l'Ukraine?
Il y avait eu des collectes d'habits, des collectes de dons provenant de la direction et plus généralement une communication institutionnelle très forte en soutien aux Ukrainiens, qu'il faut saluer. Comme employé de l'UNIL, je recevais ces mails de solidarité avec l'Ukraine. Les Ukrainiens ont été déplacés, les Palestiniens sont déplacés: je défie quiconque de me montrer que la comparaison n'est pas possible.
Justement, j'aimerais avoir votre avis sur cette question. Vous critiquez un «deux poids, deux mesures» de la part de l'UNIL. Les situations en Ukraine et en Palestine sont-elles strictement comparables sur le plan politique?
Dans les deux cas, il y a des besoins humanitaires urgents. La différence est toutefois que les Ukrainiens bénéficient du soutien de la part du monde occidental, des États-Unis et de l'Union Européenne. En Suisse, on a accueilli fortement. Les Ukrainiens ont pu fuir leur pays, contrairement aux Palestiniens. Je ne suis pas en train de sous-estimer ce qui se passe en Ukraine.
Comment ça, vous pouvez développer?
Les Ukrainiens ne vivaient pas sous blocus depuis quinze ans. À Gaza, la population est emprisonnée, ne peut pas partir. Les civils ont été bombardés dans les deux cas, c'est une similarité. Dans les deux cas, il y a des crimes de guerre. Sauf que le soutien à la Palestine n'est incontestablement pas le même dans le monde occidental. Cela n'a pas le même écho, donc oui, il y a un deux poids, deux mesures.
Vous êtes doctorant à l'Université de Lausanne. Pourquoi critiquez-vous la décision de votre employeur, qui se justifie en évoquant «des délais trop courts» et affirme qu'elle «ne rentre pas en matière dans le cadre d'un soutien en relation avec un conflit politique»?
Je ne peux pas me prononcer sur l'histoire des délais trop courts, car je ne fais pas partie des organisateurs. Ce qui compte le plus, c'est l'argument selon lequel l'UNIL ne peut pas être le lieu d'un parti pris au sujet d'un conflit politique. Ce n'est pas ce qui est mis en avant par l'organisation du tournoi. Nous ne sommes pas en train de prendre une position, mais bien en train de dire que des gens sont dans le besoin et qu'on va les aider.
Dans votre bouche, on dirait que cette action n'est pas politisée...
Il n'y a absolument rien de politique. C'est de l'humanitaire pur. Comme pour le Maroc, comme pour d'autres situations lors desquelles des gens ont besoin d'argent. Si on a aidé les Ukrainiens et qu'on ne le fait pas là en invoquant le conflit politique, c'est qu'on n'est pas cohérent dans notre posture. Le conflit dans lequel se trouve l'Ukraine est également politique.
Dans les organisations soutenues par les organisateurs du tournoi, il y a tout de même un choix qui est fait au profit des Palestiniens...
Bien sûr. Mais je n'ai pas l'impression que les Israéliens fuient leur pays par millions. C'est clair qu'il y a eu de la souffrance, mais cela n'a rien à voir. D'un côté, les Israéliens ont accès à tout. Et de l'autre, les Palestiniens n'ont plus accès à rien. Des quartiers entiers se font raser. Des millions de personnes se retrouvent à la rue ou sont déplacées de force.
Et donc?
Donc ce serait factuellement faux de dire que le besoin humanitaire est le même des deux côtés. Ce serait dur le prouver. L'ONU parle d'une situation catastrophique sans précédent à Gaza. On parle vraiment d'une aide caritative, envers des organisations reconnues pour leur soutien aux civils.
Dans vos prises de position, on vous a plutôt entendu sur les violences de l'État d'Israël que sur celles du Hamas. Pourquoi?
Bien sûr qu'il y a eu des violences inacceptables commises par le Hamas. Dans mon combat, je dénonce surtout le «deux poids, deux mesures» qui existe en Occident. Le reste du monde ne partage pas du tout ces points de vue. Les anciens États colonisés, comme le Brésil ou l'Afrique du Sud, se montrent solidaires de la cause palestinienne. C'est une situation purement coloniale, dans laquelle un État transgresse le droit international depuis de nombreuses années, en établissant des colonies illégales. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est l'ONU. Antonio Gutierrez l'a encore répété ces deux derniers jours. Ma position, c'est qu'il y a une terrible injustice.
Que peut apporter le football sur le plan géopolitique?
Franchement, pas grand-chose. Mais d'un point de vue régional, il permet de réunir des gens qui ont une certaine empathie, et de mieux comprendre ce qui se passe. En Occident, on pense qu'Israël est une démocratie exemplaire, un peu une Suisse du Proche-Orient qui n'a jamais rien commis dans son histoire. Ce tournoi en faveur des civils qui souffrent peut vraiment amener certains à comprendre la situation. Cela peut aider, dans une très modeste mesure. Le foot a des valeurs importantes de solidarité et de collectif. Cela permet de souder les gens autour d'une cause noble.
Si le tournoi est reprogrammé ailleurs qu'à l'UNIL, vous y participerez?
C'est sûr. J'espère vivement que les organisateurs pourront trouver un lieu de substitution. Et j'attends aussi un peu plus d'explications de la part de l'Université de Lausanne. J'aimerais comprendre ce qui pourrait justifier leur décision, au vu de ce que j'ai dit à propos de l'Ukraine et de la notion de prise de position politique ou humanitaire.
Vous condamnez donc avant tout la politique d'Israël?
Il ne faut pas oublier que Netanyahu, en Suisse, serait à droite de l'UDC. Le langage utilisé le montre. Les Palestiniens sont qualifiés d'animaux humains. Il y a une telle déshumanisation de l'Arabe palestinien, qui malheureusement fonctionne. Certaines personnes se sentent beaucoup plus proche des Ukrainiens. Plus généralement, on a l'impression que toutes les vies n'ont pas la même valeur. C'est une crise que l'on doit aborder sous l'angle purement humain. Si on a un minimum d'empathie, personne ne peut nier que ce qui se passe en Palestine est terrible. On peut condamner l'action du Hamas, mais s'arrêter là est faux. L'Histoire se souviendra de ce massacre et de ce nettoyage ethnique.
En somme, vous dénoncez des biais racistes et islamophobes?
Exactement. L'indifférence à l'égard de la vie palestinienne s'explique notamment par une islamophobie et un racisme très présent en Occident. Depuis le 11 septembre 2001, une vie ne vaut pas une autre, du point de vue occidental. On peut avoir des milliers de morts en Irak, mon pays d'origine, en Afghanistan ou en Somalie.... où vous voulez dans le Tiers-Monde. Cela n'équivaudra jamais à une vie occidentale, ou israélienne en l'occurrence, qui n'est pas musulmane et qui est blanche. L'Arabe est peint comme le terroriste, comme le mal. Ces schémas font remonter à la colonisation. J'ai plein de collègues et d'étudiants qui ne se sentent pas du tout représentés par cette prise de position de l'UNIL.