Alain Soral a été condamné lundi, en appel, à 60 jours de prison ferme par le Tribunal cantonal vaudois. L'idéologue d'extrême-droite a été reconnu coupable de discrimination et incitation à la haine pour des propos homophobes à l'encontre d'une journaliste de la «Tribune de Genève» et de «24 heures». Après un article peu à son goût, datant de 2021, il avait publié une vidéo sur son site internet où il taxait la journaliste de «grosse lesbienne» et de «militante queer», insinuant que ce dernier terme voulait dire «désaxé».
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L'Organisation suisse des Lesbiennes (LOS) a partagé un communiqué saluant cette décision en seconde instance et l'application de la nouvelle disposition du Code pénal, approuvée par le peuple en février 2020. Celle-ci permet désormais de sanctionner les appels à la discrimination ou à la violence fondés sur l'orientation sexuelle, à l'instar des discriminations visant l'ethnie, la religion ou l'origine. Blick a demandé son sentiment à Muriel Waeger, codirectrice de cette «faîtière nationale des lesbiennes, bisexuel-le-x-s et femmes queers». Interview.
Muriel Waeger, que vous inspire Alain Soral?
Concrètement, Alain Soral est quelqu'un qui fait peur, qui peut faire du mal à la communauté queer et dont on se méfie, je pense, à juste titre. C’est dommage qu’il n'ait pas appris, après toutes ses condamnations en France, à mieux se comporter et à respecter les personnes qui l'entourent. C'est aussi dommage qu'une personne ait besoin d'en insulter d'autres pour se sentir légitime. Dans la communauté, on préférerait que cela se passe autrement. J'espère qu'il apprendra de sa condamnation.
Êtes-vous satisfaite du résultat de ce jugement en appel?
On est contents que le ministère public ait choisi de poursuivre le cas. Pour nous, il n'était pas tolérable que l'incitation à la haine ne soit pas retenue. En première instance, seules les atteintes à la personne l'avaient été, mais pas l'article 261bis. Alain Soral a des antécédents. C'est un multirécidiviste, il faut dire ce qui est. Il a été condamné 22 fois en France.
Il devait donc être condamné?
Si un tel individu ne se fait pas condamner alors qu'il tient ces propos, il s'agit d'un manquement dans l'application de la loi. C'est bien que ce signal ait été donné, surtout de manière assez stricte.
Cette condamnation à de la prison ferme va-t-elle «dissuader le prévenu de récidiver», comme l’estime le nouveau procureur général vaudois Eric Kaltenrieder?
La prison ferme est une des mesures qui pourrait le plus dissuader ce genre de personnage de récidiver. Après, ce n'est pas sa première condamnation. Il est arrivé en Suisse pour ne pas être incarcéré en France. C'est une personnalité qui va tenir de tels propos jusqu'à ce que la justice sévisse. Je pense que pour le coup, c'est dissuasif.
Et pour ses adeptes?
Il ne faut pas oublier qu'il a une grande communauté. 300'000 internautes ont regardé la vidéo incriminée. Des personnes capables de tenir le même genre de propos. L’effet dissuasif peut donc se reporter sur d'autres personnalités de la même communauté. L'extrême droite nuit vraiment à la communauté LGBT. On le voit dans les statistiques chaque année.
Alain Soral a-t-il insulté une simple journaliste, ou bien toute une communauté?
Les deux en même temps. Souvent, les insultes homophobes et les appels à la haine s'accompagnent d'autres formes de violence. S’arrêter au rôle de journaliste de la victime n’est pas une option. Le propos derrière les mots d'Alain Soral et sa pensée divulguée publiquement, c'est qu'il y a des actions à entreprendre contre des membres d'une communauté qu'il juge «désaxés».
Quel est l’impact réel de ce genre d’insultes publiques sur la santé mentale des personnes LGBTIQ+?
Il y a plusieurs impacts plus ou moins directs sur les membres de la communauté. En cela, c'est un jugement important. Le premier, c'est une certaine impuissance face à ce genre de propos. Quand on se fait régulièrement insulter et qu'on a un parcours qui a demandé un travail sur son identité, forcément ça blesse et ça donne un sentiment d’insécurité. Si la justice réagit bien à ces propos, cela redonne un sentiment de sûreté.
Et sur le plan physique?
La communauté queer est ciblée et réellement menacée par beaucoup de violence physique. Il y a eu une augmentation des cas d'attaques envers les personnes queers (ndlr: une augmentation de 50% des signalements des cas par rapport à 2021, selon ce rapport sur les crimes de haine en 2022). Des études montrent la corrélation entre des propos tenus publiquement et la violence subie par la suite. Pour nous, c'est une question de sécurité. Ces propos ne sont pas tolérables parce qu'elles ont des conséquences sur la santé mentale et physiques des personnes concernées.
L’avocat d’Alain Soral estime qu’on a jugé l’homme plutôt que ses propos. Qu’en pensez-vous?
Je ne suis pas juge. Mais il me semble tout de même que quand une personne récidive, il est normal de prendre des mesures. Dans le cas d'Alain Soral, on peut être assez sûres que si le jugement n’est pas assez sévère, il y aura récidive. Pour nous, il est assez clair que les antécédents doivent être pris en compte. Cela ne me surprend pas que le personnage soit tout autant jugé que l'acte en question, simplement car ce n'est pas sa première fois.
Ce même avocat évoque un recours au Tribunal fédéral...
Le cas est assez clair, monter au Tribunal fédéral ne signifierait pas forcément une victoire pour Alain Soral. C'est normal qu'une personne jugée essaie de faire recours jusqu'à la plus haute instance. Mais pour nous, avoir une jurisprudence au niveau suisse ne serait pas du tout un désavantage. L'éventualité de ce jugement ne nous inquiète pas.
Qu’avez-vous observé depuis l'application de la nouvelle disposition du Code pénal?
C’est une protection, jusqu’à un certain point. La loi comporte beaucoup de lacunes et n'est pas très claire. Elle est très spécifique et les personnes de la communauté ne sont pas toujours conscientes de leurs droits. L'enjeu de cette nouvelle loi, c'est que les personnes concernées puissent l'utiliser et qu'elle soit correctement appliquée. En 2021, il y a eu seulement quatre condamnations dont une annulée. C’est toujours difficile d’aller devant les tribunaux, de revivre les insultes et de se confronter à la personne qui les a émises. Cette loi mérite plus de visibilité. Elle a d'un côté l'effet de dissuader et de l'autre celui de rassurer la communauté.
Donc ce jugement très médiatique est une aubaine?
Ce n'est jamais complètement une aubaine. Quand les sujets queer sont médiatisés, la communauté subit plus d’attaques. Cela avait été le cas lors de la campagne sur le mariage pour toutes et tous. Il y avait eu un pic de crimes haineux. Le revers positif de la médaille, c'est que la médiatisation permet aux personnes LGBTQIA+ de se rendre compte qu'elles ont des droits, dont celui de vivre tranquillement sans se faire insulter. Il est nécessaire que certains cas soient emblématiques, mais il faut bien les choisir. Ici, la victime est une journaliste qui a l'expérience des médias. Elle a porté plainte et a voulu aller jusqu’au bout. C'est très courageux de faire ce coming-out public.
N'avez-vous pas peur que ce procès fasse de la pub à Alain Soral et à ses idées?
C'est clair que ce genre de procès offre toujours beaucoup de visibilité à l'auteur des délits. Mais il est impossible de parler des discriminations sans parler des agresseurs. Pour nous, c'est un cas assez emblématique de la violence de l'extrême droite. Il nous permet de la thématiser et de rendre attentif au fait qu'elle n'est pas anecdotique.