Une polémique enfle en France depuis la publication mardi par «Israël Magazine» — mensuel classé à droite — d’une lettre d’excuse de l’humoriste controversé Dieudonné à la communauté juive, jugée provocante. Une autre pourrait voir le jour en Suisse romande: l’artiste, condamné en appel à Genève en mai 2022 pour discrimination raciale, diffamation et injure, s’est produit dans la Cité de Calvin samedi 7 janvier, à l’Uptown, non loin de la gare. Plusieurs éléments liés à sa venue suscitent l’étonnement, voire l’indignation.
La Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) a dégainé mardi en fin de journée pour dénoncer des «diatribes discriminatoires», «antisémites», «racistes» et «transphobes». Dans son communiqué, elle mentionne un premier sketch mettant en scène un «personnage dont la judéité ne fait aucun doute, qui explique notamment que la seule voix du pardon pour les souffrances vécues est l’argent».
Mais ce n’est pas tout… «Cette année, une nouvelle cible émerge: les personnes transgenres, poursuit le texte. Tout en décrivant un homme 'indécis' qui en serait à sa 114e transition et qui finit par être un cochon, un 'transporc'.»
«Nous sommes désolés»
Contactée, la CICAD fait toutefois savoir qu’elle ne portera pas plainte. «Nous exprimons notre plus grand désarroi face à ces propos, mais nous ne pensons pas qu’ils pourraient être constitutifs d’une infraction pénale», clarifie Johanne Gurfinkiel, son secrétaire général.
Indésirable — mais pas interdit — au bout du Léman comme en Suisse romande depuis plusieurs années, comment Dieudonné a-t-il pu se produire devant près de 500 personnes? «Nous avons été trompés, lance Emmanuel Clerc, directeur de la salle, joint par Blick. Une productrice nous avait vendu la promotion d’un film avec la participation éventuelle de Franck Dubosc. Un film a bien été présenté durant cinq minutes, mais la suite de la soirée a été dédiée au spectacle de Dieudonné. Nous avons été mis devant le fait accompli.»
Aurait-il accueilli le Franco-Camerounais en toute connaissance de cause? «Non, nous ne l’aurions pas programmé, parce qu’il y a des procédures judiciaires contre lui et par respect pour diverses communautés. Nous déplorons ce qui s’est passé et nous en sommes désolés.»
«Il joue avec les limites»
Parmi le public, la CICAD mentionne la présence d’Alain Soral, essayiste franco-suisse d’extrême-droite, condamné pour diffamation par la justice vaudoise en décembre 2022. Au moins une autre personnalité était présente: l’ancien ministre genevois et actuel candidat au Conseil d’État Luc Barthassat, comme le montre une vidéo — visiblement tournée avant la représentation — diffusée sur YouTube par Alimuddin Usmani, journaliste indépendant, proche de Dieudonné et d'Alain Soral.
Dans cette interview de 2 minutes et 34 secondes, l’ex-membre du Parti démocrate-chrétien (PDC) et du Mouvement citoyen genevois (MCG) explique avoir répondu à l’invitation d’amis et être venu par «curiosité» pour «se rendre compte de la qualité de cet artiste polémique, un petit peu, il faut bien le dire». Il développe: «Je me dis que c’est toujours intéressant d’aller voir ces artistes qui sont non seulement polémiques, mais qui sont aussi beaucoup félicités par les artistes français en général. C’est quelqu’un qui a sûrement ses torts, mais aussi ses qualités, donc je me réjouis de voir cela en vrai.»
Qu’a-t-il pensé de ce qu’il a vu? «C’était une première pour moi, glisse l’ancien conseiller national au téléphone ce mercredi. On a bien rigolé, je me suis bien amusé. Je n’ai pas eu l’impression qu’il ait dit des choses problématiques sur la communauté juive, par exemple. Même si, c’est vrai, certaines de ses blagues sont provocantes, moqueuses, caustiques, voire ambiguës. C’est quelqu’un qui joue avec les limites.»
Un humour des années 1980?
Fondateur d’un nouveau parti, Civis, le politicien confie toutefois s’être «fait du souci» au moment où le comique «a commencé à se moquer des trans». «C’était un peu hard, mais sans plus. Il s’est moqué de tous les genres et de toutes les sexualités, sans toutefois s’acharner ou être dégradant. Son humour me fait penser à celui pratiqué dans les années 1980.»
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La société a évolué depuis, remarque Luc Barthassat. «Je suis contre la censure tous azimuts, mais je crois que les gens doivent assumer ce qu’ils disent. Et il y a bien sûr des lois à respecter. Vous savez, j’ai des enfants métis et je ne suis pas fan de ceux qui se moquent des communautés, comme le faisait Michel Leeb à l’époque. Mais là, il n’y a rien eu de vraiment choquant.»