C’est un constat qui fait froid dans le dos. En 2021, 165 actes antisémites ont été recensés en Suisse romande par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) contre 147 en 2020. Pire: ce ne sont pas «seulement» les cas jugés préoccupants qui augmentent. Les actes qualifiés de graves (5 en 2021 contre 3 en 2020) et de sérieux (7 en 2021 contre 3 en 2020) prennent aussi l’ascenseur.
La CICAD liste dans son rapport annuel — tout juste rendu public — plusieurs faits particulièrement dérangeants. Deux actes «symboliques par leur gravité» se sont notamment produits en début d’année 2021, à Genève et à Lausanne. «Les employés de la synagogue [de la capitale vaudoise] ont pu constater qu’un individu avait déposé une peluche en forme de cochon devant la porte de la synagogue ainsi qu’un paquet de lardons», écrit l’organisation.
À quelques jours d’intervalle seulement, un acte similaire s’était produit à Genève. «Une femme s’est présentée devant une synagogue et a frotté des tranches de viande de porc contre la porte de ce lieu de culte, détaille l'organisation. Elle a ensuite jeté le contenu de ces deux paquets de viande contre la porte avant de quitter les lieux.»
Des agissements qui ne sont pas restés sans conséquence. «Dans le cas de Genève, l’auteure des faits a été retrouvée et reconnue coupable d’atteinte à la liberté de croyance et de culte ainsi que de souillure», rebondit l’organisation. Elle a écopé d’une amende avec sursis, d’une amende ainsi que du paiement des coûts de la procédure. Et à Lausanne? «L’auteure des faits a été interpellée par la police, développe la CICAD. À l’heure où ce rapport est finalisé, le Ministère public vaudois ne s’est pas encore prononcé dans ce dossier.»
«Une violence décomplexée»
Ce n’est pas tout. Toujours selon l'organisation, une violence décomplexée se manifeste désormais au grand jour. Voici quelques exemples d’insultes et menaces qui ont été proférées dans certains cas: «Sale juif», «À mort les juifs», «Je fais partie de Daesh, vous allez tous mourir!»
La CICAD a également recensé cette année un cas d’antisémitisme dans une école vaudoise: «Une enseignante juive a été prise à partie par l’un de ses élèves, qui a dessiné des croix gammées et autres dessins antisémites qui la visaient directement.» Et, en Valais, trois hommes se sont mis en scène, photos à l’appui, en train de faire une «quenelle» devant la plaque de la Ruelle des Juifs à Saint-Léonard. «Une référence évidente au geste antisémite popularisé par Dieudonné», analyse l’organisation, qui s’était réjouie de la condamnation de l’humoriste controversé à Genève.
Les principaux vecteurs d’antisémitisme seraient identifiés. D'après la CICAD, il s’agirait de l’extrême-droite, des théories du complot liées au Covid-19, du conflit israélo-palestinien et du négationnisme de la Shoah.
L’organisation propose plusieurs pistes d’action pour tenter de remédier à ce mal. Florilège:
- «Mise en place d’une étude dans les établissements scolaires afin de mettre en évidence la présence de préjugés à caractère racistes et antisémites. Une telle enquête permettra d’étudier les opinions, les attitudes racistes, les actes de violence subis, la discrimination, les besoins de formation dans ce domaine et l’état actuel des connaissances.»
- «Des formations pour les enseignants, dont l’objectif sera de les aider à réagir face aux actes racistes et antisémites en milieu scolaire d’une part, et d’autre part de disposer d’une connaissance plus fine de ces phénomènes.»
- «Des formations pour les élèves. Les programmes éducatifs de la CICAD ont pour but de sensibiliser les jeunes à réfléchir aux préjugés ainsi qu’aux comportements qui peuvent en découler. Adaptés aux élèves ainsi qu’aux enseignants par le biais de modules de formation ciblés, ces derniers sont réalisés avec l’aide de pédagogues spécialisés.»
- «La pratique de la vérification des informations est plus que jamais nécessaire face à l’amplification des fake news. Pourquoi ces théories du complot prennent une telle ampleur? Comment vérifier l’information face à l’essor de la désinformation? Quels dispositifs et cibles privilégier pour combattre le virus du complot? Il est plus que jamais essentiel de poser ces questions. La recherche de l’information, la qualité et les sources de cette information doivent faire l’objet d’une stratégie pédagogique approfondie, pleinement intégrée au cursus scolaire.»
La CICAD rappelle en outre que les victimes et les témoins d’actes antisémites doivent être encouragés à signaler ces actes auprès de la police et des organisations dédiées. «Le mutisme participe à la banalisation de ce type de situations», conclut-elle.