Il n'y a pas qu’en Autriche et en Allemagne qu’ils se mettent sur le devant de la scène. En Suisse aussi, des néonazis participent aux manifestations contre les mesures sanitaires. Les autorités sont inquiètes et mettent en garde contre des actions coordonnées.
Pour la première fois en Suisse, des extrémistes de droite cagoulés ont manifesté publiquement. Il y a une semaine, près de 50 néonazis ont pris la tête d’un cortège de 2000 opposants aux mesures à Berne. Banderole rouge et mégaphones, ils hurlaient en chœur «Jetzt ist Schluss!» («Maintenant c'est fini»).
C’est un phénomène «complètement nouveau», a souligné le directeur de la sécurité de Berne, Reto Nause, peu après la manifestation. Cette évolution l’inquiète.
Les jeunes militants sur le devant de la scène
Qui sont ces personnes encagoulées? Leur apparition est-elle surprenante? Comment le mouvement réagit-il?
Les groupes d’extrémistes de droite tel que celui qui a participé à la manifestation à Berne ont une longue histoire. Ils sont issus du mouvement identitaire et du réseau néonazi Blood and Honour, interdit en Allemagne.
L’action bernoise a été coordonnée par une organisation militante de jeunes extrémistes de droite qui connaît une rapide croissance. Leur chef de file, M. C.*, a 21 ans. Il a été condamné pour racisme, est un fanatique d’armes et exprime ouvertement son aversion des juifs. Dans la vidéo retransmettant en direct le rassemblement à Berne, il a annoncé la couleur sans détour. «Nous sommes Junge Tat, un groupe de jeunes patriotiques qui s’oppose à l’obligation vaccinale et aux mesures injustifiées. Aujourd’hui, nous menons le cortège.»
Inspiration en Allemagne et en Autriche
Lorsque les extrémistes de droite ont pris les devants à Berne, personne n’est intervenu. Le défilé non autorisé était passablement désorganisé. Cet affaiblissement du mouvement fait la force des néonazis. Depuis le oui massif à la loi Covid, le nombre de participants aux manifestations a diminué et les leaders ont réduit leur engagement. Les néonazis sortent de l’ombre – et tentent de prendre les choses en main.
Depuis de nombreux mois, Junge Tat tente d’instrumentaliser le mouvement des opposants aux mesures contre le Covid-19. Au début, ils ont dissimulé leur véritable identité sous le nom de «Jeunesse contre l’obligation vaccinale». Progressivement, les masques sont tombés. Ils ont été inspirés par les actions de leurs «camarades» de l’étranger. En Allemagne et en Autriche, les extrémistes de droite détournent avec succès les manifestations contre les mesures sanitaires. Les violences contre les policiers et les journalistes sont de plus en plus fréquentes lors des défilés.
Le modèle pour cette nouvelle droite extrémiste, dont fait partie Junge Tat, est Vienne. Depuis que le gouvernement autrichien a décidé de rendre la vaccination obligatoire, des dizaines de milliers de personnes manifestent samedi après samedi. Le contenu et la symbolique des défilés sont de plus en plus déterminés par des militants de droite, en particulier par les activistes qui suivent Martin Sellner, à la tête du mouvement identitaire.
Un réseau au-delà des frontières
Les fameuses banderoles rouges et blanches ont vu le jour à Vienne. Des messages percutants, mis en avant par des individus encagoulés: «Contrôlez la frontière, pas votre peuple», peut-on lire. Ou encore: «C’est sur nous que se brise votre aiguille.» Depuis quelques semaines, des affiches aux codes similaires apparaissent lors des manifestations dans des dizaines de villes allemandes. Et maintenant à Berne.
Le milieu est interconnecté par-delà les frontières – une véritable internationale d’extrême droite. A Berne, des néonazis étranger ont pris part au défilé, à l’instar de M. W.* originaire de Dortmund en Allemagne. Il a posé pour un selfie devant le Palais fédéral. Sur Instagram, cela lui a valu un «like» du leader identitaire autrichien Martin Sellner.
Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) fait savoir qu’il évalue la situation en permanence. Lea Rappo, porte-parole, rapporte que «le SRC constate actuellement qu’une partie des opposants aux mesures de lutte contre la pandémie de Covid préconisent, encouragent ou commettent des actes de violence». Et il ne s’agit pas seulement d'«extrémistes violents antimesures». Des militants d’extrême droite tenteraient de profiter du mouvement pour faire passer leur message.
Toujours plus à droite
Les services secrets autrichiens sont plus directs. Vendredi, le chef de la direction de la protection de l’Etat et des services de renseignement, Omar Haijawi-Pirchner, a mis en garde contre une internationalisation des mouvements opposés aux mesures sanitaires.
L’évolution est «très inquiétante». Selon Haijawi-Pirchner, de nombreux activistes sont issus des milieux de droite. «Ils ont profité des manifestations pour diffuser leur idéologie antisémite, rencontrer d’autres extrémistes et constituer des réseaux.», détaille-t-il. Le service allemand de protection de la constitution parle lui d’une «extrémisation de droite» du regroupement contestataire.
Le fait que les néonazis ne rencontrent que peu d’opposition au sein du mouvement suisse opposé aux mesures Covid n’est pas un hasard. Tant au niveau de la position que des individus impliqués, il y a toujours eu des convergences. La critique fondamentale des mouvements antimesures est proche du récit dont se servent les groupes radicaux. Ils diffusent un message radical d’opposition à l’État. Ils se méfient des autorités qui, d’une manière ou d’une autre, limitent leur quotidien. Leurs ennemis sont les mêmes: politiciens, journalistes, scientifiques… Par ailleurs, les théories du complot antisémites et la minimisation de l’Holocauste ont toujours été une partie intégrante de leur idéologie.
Une «honte»?
Dès leurs débuts, les regroupements hétéroclites des opposants aux mesures ont eu de la difficulté à se distancier des agitateurs d’extrême droite. Ou peut-être ont-ils manqué de volonté. Les néonazis présents à Berne ont reçu des félicitations au sein d’un canal Telegram dédié au mouvement antimesure: «Vous avez le courage de mener la manifestation. Continuez, les gars, nous avons besoin de vous», écrit un partisan.
Des voix critiques s’élèvent toutefois, même parmi ceux qui contestent les dispositions sanitaires du Conseil fédéral. Robin Spiri, figure notoire du mouvement, qualifie même les événements de «honte». Le lendemain de la manifestation, il a exprimé sa position sur Telegram: «Je condamne ces actions avec la plus grande fermeté et demande à tous les défenseurs des droits civiques de s’y opposer.» Peu après, il a supprimé son message.
* Noms connus de la rédaction
(Adaptation par Jessica Chautems)