Posons le cadre. Le port de Gletterens, dans le canton de Fribourg, est un petit bijou. Derrière une épaisse ceinture de roseaux, les mâts de nombreux voiliers se dressent dans un ciel bleu éclatant, et sur la pelouse soigneusement tondue, une péniche transformée en pot de fleurs. Des gens en tenue d'été se promènent avec de grands sacs de plage, étendent des serviettes de bain sur les rives du lac de Neuchâtel et plantent des parasols dans le sable fin. Une idylle digne d'un prospectus de vacances, s'il n'y avait pas un gros problème à Gletterens.
Fin juin, le gouvernement cantonal fribourgeois, le Conseil d'État, a pris une mesure inhabituelle. Dans le communiqué qui l'accompagnait – sur demande du préfet de la Broye, on pouvait lire: il a été décidé de placer la commune de Gletterens sous administration exceptionnelle. Le conseil communal et l'assemblée communale, ont été envoyés prématurément et pour une durée indéterminée en vacances d'été. Concrètement, la commune a été mise sous tutelle. A Gletterens, la démocratie a fait naufrage.
Un problème d'argent
Au cœur de la crise, comme souvent dans ce genre de cas, il y a l'argent. Cela fait presque deux ans que la commune se dispute le budget – depuis décembre 2022 exactement, les citoyens de Gletterens l'ont rejeté pas moins de cinq fois. L'exécutif, qui voulait combler un déficit de 300'000 francs en augmentant le taux d'imposition, était depuis quasiment incapable d'agir. Les investissements n'ont pas pu être réalisés et les projets ont été stoppés.
Le syndic de Gletterens est – ou plutôt était – depuis 14 ans le sans-parti Nicolas Savoy. Mais pour lui, tout est terminé maintenant. Comme ses collègues de l'administration communale, il n'a plus le droit d'accéder à son bureau. Le travail est désormais effectué par trois personnes externes engagées par le canton.
Le désormais ex-synidc assure ne jamais s'être considéré comme le roi du village. Il n'est pas particulièrement frustré que son temps à la tête de l'administration se soit terminé aussi brutalement. Mais en arriver à cette «mesure extrême», où la démocratie se fait de facto annuler dans la commune, le laisse néanmoins perplexe. «Il n'y a pas de gagnants à Gletterens, seulement 1200 perdants.»
Menaces et pneus crevés
L'ambiance serait récemment devenue délétère, assure Nicolas Savoy. Des menaces ont été proférées contre lui et d'autres employés communaux, et des pneus de voiture ont été endommagés. Les voisins s'accusaient mutuellement d'être des traîtres lorsqu'ils avaient voté différemment sur la question du budget.
Tout le monde ne le salue plus dans le village. Mais il ne porte pas de gilet pare-balles pour autant, et il n'est pas non plus question de déménager. S'il a appris une chose au cours des dix-huit derniers mois, c'est qu'il est probablement plus facile d'être conseiller fédéral que syndic d'un petit village au bord du lac de Neuchâtel.
Le groupe «Transparence Gletterens» a secoué la politique du village. Son leader, un agriculteur bio, s'appelle Alexandre Borgognon. Il assure ne pas avoir été au courant des agressions évoquées par Nicolas Savoy: «Si elles se révèlent vraies, c'est l'affaire de la police et de la justice.» «Transparence Gletterens» rejette par principe la violence, même verbale. «Nous n'avons rien contre le gouvernement, c'est juste que nous ne sommes pas satisfaits de son travail.»
Des erreurs dans les comptes?
L'agriculteur bio reproche au conseil communal d'avoir commis des erreurs dans les comptes annuels. Selon lui, l'administration n'a tout simplement pas fait son travail. Il dénonce les dérapages dans la gestion des coûts: «Une augmentation des impôts ne pourra être discutée que lorsque ces problèmes auront été résolus.» Une chose l'a particulièrement déçu: les propositions émanant des habitants de la commune n'ont pas du tout été écoutées correctement.
Ce qui nous ramène au port, une affaire politique très délicate. Le port de Gletterens fait en effet partie du patrimoine administratif de la commune. Alexandre Borgognon préférerait cependant qu'il fasse partie du patrimoine financier. S'il l'était, le port pourrait être vendu sans mettre en danger le fonctionnement de la municipalité. Et il ne serait pas nécessaire de procéder à des amortissements coûteux. Les communes voisines procèdent de la même manière avec leurs ports. Et le potentiel d'économie correspondrait exactement au trou dans le budget: 300'000 francs.
Le président de la commune Nicolas Savoy ne croit pas à cette «astuce». Certes, les comptes paraîtraient peut-être plus équilibrés, mais Gletterens n'aurait pas plus d'argent dans sa caisse. Et ce sont justement les liquidités qui posent un problème. L'école relativement neuve, entre autres, coûte cher, et si d'importants travaux d'assainissement des bâtiments communaux ne sont pas entrepris maintenant, cela coûtera encore plus cher à l'avenir, prévient le syndic.
Ramener le calme dans le village
Quoi qu'il en soit, d'autres personnes doivent s'atteler à la résolution du problème. C'est le cas de Willy Schorderet, l'ancien préfet du district de la Broye, qui accompagne le conseil communal de Gletterens depuis février en tant que mentor. Son travail consiste désormais, précise-t-il, à régler les affaires courantes, à mener des entretiens avec les citoyens et à ramener le calme dans le village. Une nouvelle application doit l'y aider, de même que des soirées d'information régulières.
Willy Schorderet se réunit deux fois par semaine avec ses deux collègues, des mesures concrètes doivent être prises dans la deuxième moitié du mois d'août. L'objectif premier est d'établir un budget pour l'année en cours et d'approuver les derniers comptes annuels. Et à un moment donné – peut-être dès l'année prochaine – il devrait enfin y avoir de nouvelles élections, la démocratie devrait faire son retour à Gletterens.
C'est une bonne chose que quelqu'un de l'extérieur, avec une vue dégagée, s'occupe du destin de la commune, confie encore le syndic Nicolas Savoy. Grâce à son travail d'orfèvre et de conservateur, il ne s'ennuiera de toute façon pas: «La vie ne s'arrête pas à 65 ans. Certains disent même que c'est à ce moment-là qu'elle commence!»