Cet automne, la crainte était grande que la Suisse et son économie ne soient emportées par le chaos géopolitique de la guerre en Ukraine. A l'époque, le moteur conjoncturel ronronnait certes encore, mais une crise énergétique menaçait, le pessimisme s'installait.
Rudolf Minsch, économiste en chef de l'association faîtière Economiesuisse, parlait dans la version alémanique de Blick d'une «guerre sur plusieurs fronts» que les entreprises devaient livrer.
Mais l'hiver rigoureux – et donc la pénurie d'électricité et de gaz tant redoutée – n'a pas eu lieu. En janvier déjà, Jan-Egbert Sturm, directeur du Centre de recherches conjoncturelles de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), annonçait dans une interview: «Le monde s'affaiblit, la Suisse montre sa force».
Une population favorable à l'économie
La Suisse se porterait ainsi économiquement mieux que ce que beaucoup pourraient penser. «Nous passons de crise en crise et constatons toujours que nous avons bien fait, déclare Heike Scholten, chercheuse en sciences sociales. L'économie suisse est résiliente et agile.» Et capable, donc, de réagir rapidement aux défis conjoncturels et particuliers, comme la pandémie de Covid-19.
La spécialiste travaille actuellement sur un projet qui étudie l'attitude de la population suisse vis-à-vis de l'économie. «Par rapport à d'autres pays, les Suisses sont beaucoup plus favorables à l'économie», affirme-t-elle.
Les derniers chiffres conjoncturels montrent que le renchérissement a fortement baissé en avril. Le taux de chômage était quant à lui de 2,0%. Il n'avait plus été aussi bas depuis 2001.
Il ne s'agit pas seulement des salaires
«L'économie suisse a profité de la douceur des températures, explique Caroline Hilb, responsable de la stratégie de placement à la Banque cantonale de Saint-Gall. L'industrie avait encore des carnets de commandes pleins, la construction a également bien fonctionné. Même en hiver, les entreprises de construction cherchaient désespérément de la main-d'œuvre.»
La robustesse du marché du travail et la pénurie de main-d'œuvre qualifiée renforcent le pouvoir de négociation des ouvriers et des employés. Sans toutefois en abuser pour des excès salariaux: «Certes, les salaires ont aussi augmenté en raison de l'inflation. Mais on négocie aussi plus de vacances, des horaires et des lieux de travail plus flexibles», explique Caroline Hilb.
L'avantage: une spirale prix-salaires – qui alimenterait encore plus le renchérissement – menace moins en Suisse. Les employeurs l'apprécient aussi. «La Suisse compte de nombreux entrepreneurs modernes qui sont dans l'air du temps. Ils savent que les collaborateurs sont leur ressource: ils veulent faire tourner leur boutique avec eux», explique Heike Scholten.
La consommation se porte bien
Il n'y a, certes, pas eu beaucoup de croissance au cours des premiers mois de l'année en cours, mais cela devrait bientôt changer. Caroline Hilb en est convaincue: «Les carnets de commandes de l'industrie se remplissent moins en ce moment, mais la situation va se détendre au cours du deuxième semestre. Les perspectives sont positives, on l'entend aussi de la part des entreprises elles-mêmes.»
Cela s'explique aussi par l'inflation nettement plus élevée dans les pays voisins. «L'industrie suisse peut mieux imposer ses hausses de prix – modérées par rapport à l'étranger – que ses concurrents dans d'autres pays», continue Caroline Hilb.
La consommation est un pilier important de l'économie suisse. Et celle-ci est en plein essor, même si l'humeur des consommateurs est morose: «Cela ne se reflète toutefois pas dans les chiffres d'affaires du commerce de détail, qui ont même augmenté en termes réels au premier trimestre», évoque Caroline Hilb.
De plus, grâce au faible taux de chômage, la sécurité de l'emploi est élevée en Suisse. «Les gens ont confiance, ils se permettent de faire des achats importants», ajoute la spécialiste.
Une Suisse économe
Les cantons et leurs finances profitent également de la vigueur de l'économie suisse. Pour la première fois depuis 14 ans, ceux-ci affichent de jolis bénéfices dans leurs comptes publics 2022. Les raisons en sont les suivantes: une budgétisation prudente, des recettes fiscales exceptionnellement élevées et la distribution de bénéfices importants par la Banque nationale.
En comparaison avec d'autres pays européens, l'Etat joue un rôle modéré en Suisse. Son action n'est pas rejetée, selon Heike Scholten, mais elle doit être ciblée: «Il y a en Suisse une très grande conscience qu'on ne peut pas dépenser plus que ce que l'on gagne.»
C'est aussi ce que se dit la Banque nationale, qui a enregistré une perte importante l'année dernière. C'est pourquoi l'établissement ne distribuera pas de bénéfices à la Confédération et aux cantons cette année.