L’ex-ministre des Finances en a-t-il fait assez pour sauver Credit Suisse (CS)? À l’heure où l’on cherche les responsables de la débâcle, les oreilles de l’ancien conseiller fédéral UDC Ueli Maurer ont dû siffler ces dernières semaines. D’autant qu’il a longtemps refusé de répondre aux médias sur son apparente mauvaise documentation de la situation de CS à l’automne dernier.
Malgré de nombreux scandales et signaux d’alarme, le Zurichois a semblé s’opposer pendant de longues années à des règles plus strictes pour la place bancaire. Le laisser-faire libéral a provoqué de la perplexité au sein même du Conseil fédéral… jusqu’à ce que CS ne puisse être sauvé que par une reprise par l’UBS.
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Ueli Maurer n’a rien voulu savoir de ces critiques, mais est enfin sorti de son silence sur l’affaire. «Tous ceux qui ont émis ces critiques n'y comprennent rien et n’ont aucune idée de la manière dont se déroule l’activité bancaire. Sinon, on ne poserait pas des questions aussi stupides et on ne formulerait pas de tels reproches», s’est insurgé lundi soir le politicien de 72 ans sur la chaîne régionale Tele Züri.
«On aurait peut-être pu corriger cela»
«C’est dommage d’en arriver là avec CS. On aurait peut-être pu corriger cela, mais cela a commencé il y a des années», reconnaît le conservateur. Il ne précise toutefois pas pourquoi il n’a pas serré la bride au management de CS, alors qu'il en aurait eu suffisamment l’occasion.
Ueli Maurer ne prétend pas non plus n’avoir commis aucune erreur. «Certainement pas, non», admet-il. Mais il rejette loin derrière lui la responsabilité principale au sein du gouvernement: «J’ai suivi cela de près et j’avais aussi d’autres idées, mais il faut toujours une majorité, comme on le sait.» Il ne précise pas non plus comment il aurait voulu élviter la chute de CS – ni qui l’en a empêché.
Un ministre économe
Lorsqu’il est passé du Département de la défense au Département des finances en 2016, Ueli Maurer avait un thème principal à son agenda: les économies. Malgré son ambition reconnue de sans cesse freiner l’endettement, les grands triomphes politiques lui ont toutefois échappé. Jusqu’à ce qu’il parvienne à gagner le respect du pays en 2020, lors de la pandémie de Covid-19, avec son plan de sauvetage des PME.
Ce coup à la hussarde reste dans les mémoires comme le point culminant de la carrière de l’ex-conseiller fédéral. Et trouve son origine à la Bahnhofstrasse de Zurich: l’initiateur du programme d’aide était Thomas Gottstein, alors CEO de Credit Suisse.
Le banquier avait alors présenté avec succès son idée au Conseil fédéral, à la suite de quoi une ligne permanente bien huilée a commencé à s’établir entre la Paradeplatz et le Bernerhof, le siège du Département des finances dans la ville fédérale.
Un conseiller fédéral «Credit Suisse»
Le virus a rapproché l’établissement financier de la bourgeoisie zurichoise et du fils de paysan Ueli Maurer. À l’époque, comme le décrit une source proche des faits, le conseiller fédéral UDC était aussi un peu devenu un «conseiller fédéral CS».
Jusqu’à ce que Thomas Gottstein quitte la banque en juillet 2022. Deux mois plus tard seulement, fin septembre, Ueli Maurer a annoncé sa démission du Conseil fédéral pour la fin de l'année.
Par un fâcheux hasard de l’histoire, c’est exactement le lendemain de l’annonce de la démission de l’ex-conseiller fédéral, le 30 septembre, que le spectre de CS a refait surface. Les conséquences ont été une sortie de fonds de plus de 85 milliards et une détresse existentielle pour la banque.
Ueli Maurer aurait mal géré son dossier
Comme l’a révélé la «NZZ» vendredi, Ueli Maurer a ensuite rencontré le comité de pilotage «Crises financières», dont faisait partie, outre le chef du DFF, la présidente de l’Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) et le président de la Banque nationale.
Au cours de ces semaines-là, le gouvernement fédéral a également tenu plusieurs réunions dans le plus grand secret. Rien ne devait filtrer, tout signal erroné vers l’extérieur aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour CS.
Le comité s’est réuni une fois en octobre pour une séance de crise mémorable. Le Département des finances a exigé un état des lieux et l’esquisse de scénarios possibles. D’après l’enquête de Blick, Ueli Maurer s’en est mal sorti: le DFF a été critiqué pour avoir mal documenté la situation, et ses collègues ont par ailleurs constaté qu’il y avait de la marge dans l’examen des options d’action possibles. Selon certaines sources, le blâme a été consigné dans le procès-verbal.
Répit temporaire grâce aux Saoudiens
L’intéressé a rejeté la critique et n’a pas voulu entendre parler de négligences quant à la situation. Et pourtant, on a toujours soupçonné Ueli Maurer de ne pas être favorable à un durcissement de la réglementation. C’est effectivement son parti qui a régulièrement attaqué la Finma par le passé, et la querelle de l’ex-conseiller fédéral avec l’ancien directeur de l’autorité de surveillance financière Mark Branson est considérée comme un secret de polichinelle au Palais fédéral.
Ueli Maurer n’a pas donné suite aux sollicitations de Blick à ce sujet. Un porte-parole de la Chancellerie fédérale indique que le Conseil fédéral s’est «occupé plusieurs fois de CS» l’année dernière, «de manière plus intensive à partir de fin octobre 2022». Il n’est pas possible de donner d’autres informations, «car les séances du Conseil fédéral sont confidentielles».
Heureusement pour Ueli Maurer, la situation s’est détendue quelques jours après la conférence en question. Le 27 octobre, la Saudi National Bank est venue à la rescousse avec une injection de 1,5 milliard et CS a annoncé une augmentation de capital de 4 milliards au total. Ainsi, les plans de sauvetage discutés au sein de la Confédération n’étaient plus d’actualité à l’époque.
Prédictions hasardeuses
L’argent frais en provenance de la monarchie saoudienne était censé rassurer les traders et les clients, mais il a manifestement aussi eu un effet sédatif au sein du Conseil fédéral. On l’a vu lors de la dernière interview d’Ueli Maurer en fonction, lorsqu’il a déclaré le 13 décembre à la SRF à propos de CS: «Il faut maintenant simplement les laisser tranquilles pendant un an ou deux.»
Malheureusement, il en a été autrement. Le 19 mars, l’État, sous l’égide de la successeure de Maurer, la PLR Karin Keller-Sutter, a placé la banque sous l’aile de l’UBS.
Depuis, Ueli Maurer a suivi avec attention le sauvetage de dernière minute de la grande banque. Et pour une fois, il semble avoir regretté son ancien travail au Conseil fédéral. «Quand quelque chose comme ça arrive, on aimerait bien être là pour pouvoir participer aux décisions, avoue-t-il à Tele Züri. Mais en fait, mon temps au Conseil fédéral ne me manque pas. Je profite de cette autre vie.»