Luca M.*, un an et demi, souffre: depuis six mois, il est victime d'une douloureuse otite d'origine bactérienne. Sa famille, qui vit à Kloten dans le canton de Zurich, lui administre son troisième antibiotique depuis le début de l'infection. Mais du liquide s'accumule dans de l'espace situé derrière le tympan (oreille moyenne). La mère de Luca, Sabrina M.**, s'inquiète: «Il a une mauvaise inflammation et cela ne fait qu'empirer! Le tympan est extrêmement irrité et suppure.»
Le pédiatre de Luca l'envoie chez un spécialiste en otorhinolaryngologie (ORL): «Il s'agissait de discuter si Luca devait recevoir un aérateur transtympanique et si ses amygdales devaient être enlevées.» Un minuscule tube peut être inséré dans le tympan afin que le liquide s'écoule plus facilement. La procédure nécessite une anesthésie. Et c'est là que tout se complique.
Nouvelle directive et temps d'attente
Deux jours avant le rendez-vous, l'expert ORL annule la visite de la famille. Motif invoqué: une nouvelle directive pour les anesthésies pédiatriques qui décrète que Luca est trop jeune pour être traité dans son cabinet.
La Société suisse d'anesthésiologie et de médecine périopératoire (SSAPM) avait déjà révisé ses directives au 1er janvier 2020: «Selon celles-ci, les enfants de moins de trois ans présentant des risques anesthésiques – les interventions ORL en font partie – ne devraient être soignés que dans des hôpitaux disposant d'une anesthésie pédiatrique spécialisée et d'une unité de soins intensifs», explique Stefan Roth, spécialiste en pédiatrie et de l'Association des pédiatres suisses.
Cette recommandation, qui vise à améliorer la sécurité des très jeunes patients, force donc les enfants concernés à se rendre dans des hôpitaux plutôt que chez le médecin. En novembre, le spécialiste ORL envoie donc la famille de Luca à l'hôpital pour enfants de Zurich. Et là, c'est le choc: «Selon une collaboratrice, nous devrions attendre au moins quatre mois», raconte la mère.
Tous les hôpitaux suisses sont concernés
La nouvelle directive entrée en vigueur le 1er janvier 2023 a provoqué des temps d'attente accrus dans différents domaines de l'hôpital pédiatrique de Zurich, selon Urs Rüegg, membre de la direction: «Dans le secteur ORL, le temps d'attente est actuellement de plusieurs semaines. Mais début 2023, il y a eu, selon la situation, des temps d'attente allant jusqu'à quatre mois.»
La nouvelle directive pose également des problèmes à d'autres hôpitaux suisses. Le porte-parole de la clinique pédiatrique de Berne, Daniel Saameli, mentionne par exemple un délai d'attente allant jusqu'à quatre mois, tout en précisant que les enfants sont prioritaires selon l'urgence de l'opération. A l'hôpital pour enfants de Suisse orientale, le temps d'attente est de deux à trois mois dans le département ORL, selon Thomas Krebs, médecin-chef en chirurgie.
A l'hôpital pour enfants de Bâle (UKBB) par contre, la directive n'a pas eu d'influence directe, selon Thomas Erb, médecin-chef en anesthésiologie. La raison: les enfants en bas âge y sont envoyés pour être anesthésiés depuis des années déjà. Mais comme les interventions ORL s'effectuent surtout en automne et en hiver, une augmentation saisonnière et donc un temps d'attente un peu plus long se sont tout de même fait ressentir à Bâle.
«Interventions à risque»
Malgré une patientèle accrue, les hôpitaux pédiatriques sont clairs: en cas d'urgence, de la place est faite pour les petits patients. En outre, certains hôpitaux ont pris des mesures pour réduire le temps d'attente. C'est notamment le cas de l'hôpital pour enfants de Zurich. Urs Rüegg explique: «Nous avons engagé plus de personnel, en particulier dans le domaine ORL. Le temps d'attente a déjà pu être abaissé.» La mère de Luca a ainsi obtenu une consultation à la mi-janvier 2024 – deux mois après l'avoir demandée.
Malgré ces complications, les hôpitaux défendent la directive: «Les anesthésies pédiatriques sont des interventions à risque, relève Thomas Krebs de l'hôpital pédiatrique de Suisse orientale. Les enfants sont plus petits, plus légers, mais aussi proportionnés différemment – leurs voies respiratoires sont sujettes à des gonflements et des obstructions par du mucus ou des sécrétions.» Tous les hôpitaux n'ont pas l'équipement, l'expertise ou le personnel formé pour réagir de manière adéquate en cas de réanimation par exemple.
Les hôpitaux concèdent tout de même vouloir disposer de plus de temps pour mettre en œuvre les directives. «La spécialisation est une bonne chose, mais il faut permettre aux hôpitaux de la gérer au mieux», déclare Thomas Krebs.
Pas de chiffres concluants
Les hôpitaux ne peuvent pas dire si la nouvelle directive a accru les complications chez les petits enfants. Le médecin-chef Thomas Krebs observe plutôt l'inverse. Les chiffres les plus récents indiquent une réduction des complications, selon lui.
Quant à la Société suisse d'anesthésiologie et de médecine périopératoire (SSAPM), elle ne dispose pas de données qui montreraient une variation du taux de complications. En cause, un intervalle de temps trop court pour identifier une quelconque tendance. Certes, la SSAPM émet des recommandations en matière d'anesthésie, mais c'est à chaque canton de décider dans quelle mesure les directives doivent être reprises.
Sabrina M., la mère du petit Luca, dit toutefois comprendre la nouvelle directive. Le bambin a un rendez-vous dans une semaine – espérons que son calvaire touche à sa fin.
*Nom modifié
**Nom connu de la rédaction
Transparence: la protagoniste de cette histoire fait partie de la même famille que le chef de l'actualité de Blick en Suisse alémanique, Flavio Razzino.