Horaires, formation, garde d'enfants...
Quatre solutions contre le manque de main-d'oeuvre en Suisse

La Suisse manque de main-d'œuvre. Dans toutes les régions et dans tous les secteurs. Blick montre où les entreprises et le politique doivent intervenir pour résoudre le problème.
Publié: 10.07.2022 à 08:00 heures
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La Suisse souffre d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Mais que peut-on faire pour y remédier?
Photo: Philippe Rossier
Sermîn Faki

Pour Gerhard Fehr, économiste, la problématique est simple. La raison principale de la pénurie actuelle de personnel qualifié est la démographie: «Il y a tout simplement plus de personnes qui partent à la retraite que de nouveaux arrivants sur le marché du travail», lance-t-il. George Sheldon, ancien professeur de l’université de Bâle et «pape du marché du travail» en Suisse pendant de nombreuses années, peut même le prouver par des chiffres: «Dans les dernières statistiques sur la population active, le nombre de personnes actives a diminué de 39 000. C’est la première fois depuis les années 70».

A cela s’ajoute, selon Gerhard Fehr, un effet coronavirus: la disposition à faire preuve de performance a baissé, comme on dit en économie. «Les gens ont remarqué qu’il y avait autre chose que le travail», glisse-t-il. Le temps a désormais plus de valeur, parfois même plus que l’argent.

Le travail devient une denrée rare

Conséquence: la disponibilité de la main-d’œuvre ne peut plus être considérée comme acquise. Au contraire, elle devient un bien rare. Toujours selon l’économiste, il est clair que «nous avons maintenant un marché où les travailleurs sont encore plus fort». Jusqu’à ce que la situation change à nouveau, les travailleurs ont davantage de pouvoir. Ils peuvent dicter dans une certaine mesure à quoi doit ressembler leur poste. «Le travail deviendra ainsi tout simplement plus cher pour les employeurs», prophétise Gerhard Fehr.

Un exemple concret? Les branches qui ont de mauvaises conditions de travail sont celles qui souffrent le plus. La gastronomie et l’hôtellerie, où les horaires et les bas salaires sont dissuasifs, s’en rendent compte aujourd’hui.

Les entreprises doivent investir

Voilà pour le diagnostic. Mais quel est le traitement? Les entreprises doivent investir dans leur attractivité! «La satisfaction des collaborateurs devient plus qu’un slogan vide, elle devient vraiment importante», affirme le spécialiste de l’économie.

Selon lui, celles qui investissent systématiquement dans ce domaine seront les gagnantes de la course aux talents. Il ne s’inquiète pas de la capacité des entreprises à le faire: «Les entreprises sont des merveilles de coopération et d’expérimentation. Elles peuvent s’adapter extrêmement rapidement». Plus précisément, voici les 4 domaines sur lesquels les entreprises doivent désormais agir:

Auprès des femmes

Trop de femmes travaillent encore à des taux d’occupation trop bas. Cela doit changer. «Outre l’immigration, qui sera nécessaire, c’est l’un des principaux leviers dont dispose la Suisse», appuie Gerhard Fehr: «Le thème du genre n’est plus une idéologie mais une nécessité économique».

Le fait d’être mère, par exemple, ne sera plus un critère «tueur» de carrière. Pour séduire, pas besoin de commencer par parler salaire, mais par les horaires de travail, la liberté de décision et la flexibilité. Le covid a prouvé qu’il était possible de faire beaucoup plus que ce que les entreprises pensaient: «L’expérience qui a consisté à renvoyer tout le monde chez soi en 48 heures et qui a fonctionné sans problème a laissé des traces. On ne peut pas revenir en arrière», assure l’économiste.

En outre, il faudra agir pour créer des solutions de garde d’enfants abordables, rebondit George Sheldon: «En Allemagne, mon fils paie 200 euros par mois pour une place au jardin d’enfants. Les parents suisses ne peuvent que rêver de cela. Si l’État veut augmenter le taux d’activité, il doit veiller à ce que la garde des enfants soit moins chère».

Quid des horaires de travail?

Certaines entreprises l’ont déjà introduite, ailleurs ce sont même des États qui l’expérimentent: la semaine de quatre jours. «Dans certaines branches, les collaborateurs n’ont aucun problème à travailler dix ou même douze heures pendant quatre jours s’ils ont trois jours de congé en contrepartie», insiste Gerhard Fehr.

Le patron Lukas Meier prouve que c’est possible. Début mai, il a fait passer ses deux hôtels «25 Hours» de Zurich à la semaine de quatre jours. Au lieu de travailler 42 heures sur cinq jours, la plupart de ses employés travaillent désormais 38 heures sur quatre. La raison de cette réorganisation était le manque de personnel. Et les retours sont bons jusqu’à présent: «Il faut toutefois réorganiser certaines choses, par exemple planifier les équipes différemment».

Tout ne fonctionne pas encore parfaitement. Mais l’hôtelier a résolu son plus gros problème: Alors qu’il avait 30 postes vacants en mars, il n’en avait plus que 7 en juin. Et Julian Ritter, qui travaille depuis quatre mois comme barman au «25 Hours» confie au passage: «J’aimerais bien garder la semaine de quatre jours».

Cependant, sur le plan économique global, de telles approches ne suffiront guère, prévient George Sheldon: «Il faut travailler plus, c’est inévitable». C’est aussi une chance pour les travailleurs âgés, qui redeviennent soudain plus attractifs. «Et oui, nous devrons aussi parler de l’âge de la retraite. Pas seulement pour garantir les assurances sociales, mais aussi pour avoir suffisamment de main-d’œuvre».

En matière de formation

La Suisse forme bien — peut-être trop bien. Le taux de maturités ne cesse d’augmenter, tout comme la ruée vers les hautes écoles. D'après l’ancien professeur de l’université de Bâle, le problème est qu'on ne se focalise pas assez sur le marché du travail dans les processus de formation: «La Suisse a un surplus d’universitaires dans certains domaines, alors qu’il y a une grande pénurie dans d’autres disciplines — on doit généralement faire venir ces spécialistes de l’étranger pour compenser».

Bien sûr, il faut aussi des sociologues ou des historiens. «Mais pas en si grand nombre»: «Il faudrait montrer davantage les possibilités offertes par les filières techniques et scientifiques».

En matière d’immigration

La promotion des femmes, les nouveaux modèles de travail et la bonne formation ne suffiront pas à combler le manque de personnel qualifié. George Sheldon en est convaincu: «Le taux d’activité suisse est très élevé en comparaison internationale. Nous n’avons pas beaucoup de marge de progression».

D’après lui, il est clair que seule l’immigration aidera à long terme. Et la Suisse a de bonnes cartes en main: «Les salaires sont élevés. De plus, l’AVS et le deuxième pilier sont bien développés et attrayants aussi pour les étrangers, car on y a rapidement droit».

Une immigration accrue est toutefois très controversée sur le plan politique, comme l’a notamment montré l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse en février 2014. Et l’UDC réfléchit déjà à une nouvelle initiative sur ce thème.

L’économiste Gerhard Fehr part donc du principe qu’un débat sur les conséquences de l’immigration serait inévitable. «Mais s’il manque 20’000 ou 30’000 travailleurs par an, il y aura moins de croissance et donc moins de prospérité. Il faut aussi le mentionner.»

(Adaptation par Antoine Hürlimann)

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