Les prévisions de ManpowerGroup
«La guerre en Ukraine aura un impact sur les emplois suisses»

Les entreprises suisses prévoient d'embaucher, annonce à Blick Jan Jacob, directeur suisse du géant américain ManpowerGroup. Le monde du travail devra toutefois affronter de grands bouleversements, comme la guerre en Ukraine ou encore la pénurie de talents.
Publié: 22.03.2022 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 22.03.2022 à 06:22 heures
En Suisse, 38% des entreprises prévoient de recruter du personnel, selon ManpowerGroup.
Photo: Keystone
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

C’est une bonne nouvelle comme il y en a peu ces derniers temps. Les intentions d’embauche restent au plus haut niveau en Suisse depuis 2005, annonce à Blick Jan Jacob, directeur pour la Suisse du géant américain ManpowerGroup du travail temporaire. En comparaison avec la même période l’année dernière, les résultats de l’étude prévisionnelle pour le deuxième trimestre sont même «historiques».

Dans le détail, 38% des entreprises prévoient de recruter du personnel quand «seulement» 11% envisagent des licenciements. Concrètement, la prévision nette d’emploi ajustée qui en résulte — 26% — est la deuxième plus élevée depuis que le groupe installé à Morges (VD) réalise des études sur l’état du marché du travail en Suisse.

«Après avoir enregistré des perspectives d’emploi records pour le premier trimestre 2022, les employeurs suisses restent très optimistes pour le deuxième trimestre», se réjouit Jan Jacob. Et la situation helvétique n’est pas une exception. Toujours selon ManpowerGroup, les signes de reprise sont aussi visibles au niveau international.

Des chiffres intrigants

Zoom sur la Suisse, où onze secteurs d’activité différents ont été sondés. «Regardons ce que disent les entreprises en fonction de leur taille: ce sont des indications particulièrement intéressantes, amorce le directeur. On remarque que les plus grandes — celles qui emploient plus de 250 collaborateurs — affichent les intentions d’embauche les plus élevées (ndlr: 31%). Droit derrière, on trouve les petites structures, de 10 à 49 collaborateurs (ndlr: 30%).»

Jan Jacob, directeur pour la Suisse de ManpowerGroup.
Photo: Erna Drion

Que disent ces chiffres? «Ce sont ces deux types d’entreprises qui ont le plus souffert durant la pandémie et leur ciel est désormais en train de s’éclaircir, analyse Jan Jacob. Prenons le cas d’une petite société. Un employé supplémentaire représente un investissement conséquent et parfois risqué, surtout dans une période où on ne peut rien prévoir.» Il rebondit: «Dans les très grandes entreprises, le phénomène est aussi lié à la situation pandémique et aux restrictions sanitaires. Puisque ces dernières tombent progressivement un peu partout, ces employeurs vont à nouveau ouvrir leurs portes.»

Découpons maintenant le territoire en fonction des résultats de l’étude. Trente-deux pour cent des entreprises de la région zurichoise prévoient de recruter. Trente-et-un pour cent de celles de l’espace Mittelland (Berne, Fribourg, Jura, Neuchâtel et Soleure) avancent les mêmes intentions, tout comme 30% des boîtes de la région lémanique. Globalement, toute la Suisse rayonne. Sauf… le Tessin, où les perspectives sont carrément négatives.

«Cette réalité m’a intrigué, concède le directeur. Je pense que la pandémie et ses conséquences expliquent en partie ce mauvais résultat. Les industries du tourisme ou encore de la mode sont très importantes dans cette région et l’incertitude, dans ces domaines, plane toujours.»

Quid de la guerre en Ukraine?

En parlant d’incertitude, l’étude de Manpower a été réalisée il y a environ six semaines. Elle ne prend donc pas en compte l’invasion russe en Ukraine. «Bien évidemment, la guerre a déjà des conséquences indirectes en Suisse et, plus le temps passe, plus l’impact sur le monde du travail sera élevé», lance Jan Jacob.

D’après lui, il est toutefois trop tôt pour essayer d’anticiper avec précision les conséquences de ce conflit. Mais une chose est sûre: les premières spéculations ne sont pas réjouissantes. «La prochaine étude trimestrielle permettra d’en savoir davantage», glisse-t-il.

Au moment d’être interrogés, les employeurs nommaient un autre sujet de préoccupation: la diversité au sein de leur entreprise. Pour y arriver, ils misent surtout sur l’égalité salariale. Gros hic toutefois: seule une société sur cinq encourage explicitement les femmes à occuper des postes de direction.

C’est trop peu. Alors, comment faire mieux? ManpowerGroup brandit la carte des conditions de travail plus flexibles. D’après les recherches du groupe, 24% des entreprises interrogées les encouragent explicitement et 22% prévoient de les introduire. «Les évaluations internationales révèlent par ailleurs que les femmes apprécient particulièrement certains aspects de leur employeur: l’autonomie, le travail en équipe, des supérieurs respectueux ainsi que le soutien au niveau de leur équilibre psychique», précise-t-il.

Forcer la main aux employeurs

Selon Jan Jacob, le faible taux de chômage (2,5% en Suisse), les prévisions de croissance élevées et les fortes perspectives d’emploi sont trois réalités qui influencent fortement le marché du travail et obligent les entreprises à agir pour séduire. «La diversité, l’engagement social et le bien-être mental sont trois des valeurs auxquelles les personnes qui cherchent un emploi attachent de l’importance, appuie-t-il. C’est donc sur ces besoins, entre autres, que les entreprises doivent se concentrer, adapter leurs stratégies en conséquence et augmenter leur attractivité en tant qu’organisation employeuse. Non seulement pour attirer de nouveaux talents, mais aussi pour conserver le personnel existant.»

Et les entreprises devront sérieusement se secouer, qu’elles le veuillent ou non. Car une «pénurie de talents» fait rage, insiste le dirigeant. Conséquence: les employeurs qui veulent se tailler la part du lion devront plus que jamais se démarquer.

«Le grand basculement»

Une thématique que connaît parfaitement Guia Greaves, spécialiste dans la gestion des talents installée à Zurich, qui s’est plongée dans les 20 tendances à venir dans le monde de l’emploi identifiées par la multinationale américaine. Selon elle, une évolution radicale est en marche.

Guia Greaves, spécialiste zurichoise de la gestion des talents.
Photo: Erna Drion

«Ce qu’on appelle the great realization (ndlr: le grand basculement), une tendance qui a vu le jour aux Etats-Unis, gagne actuellement l’Europe et aussi la Suisse», explique-t-elle à Blick, lors d’une visioconférence. De quoi parle-t-on? «Les gens se posent de nouvelles questions. Où est mon bonheur? Ai-je vraiment envie de faire ça toute ma vie? Pour quoi est-ce que je suis en train de donner ma vie? Uniquement pour toujours faire croître indéfiniment l’entreprise où j’exerce? Le besoin d’avoir une activité professionnelle qui a un sens devient essentiel. Tout comme celui d’être heureux au travail.»

Et le Covid n’y est pas étranger. «Les trends que nous observons ont commencé il y a plusieurs années mais la pandémie les a accélérés, développe Guia Greaves. Durant cette période, beaucoup de salariés ont commencé à se remettre en question, notamment à cause de la peur de perdre leur emploi. L’isolement, le télétravail, le changement de rythme… Tous ces paramètres ont eu un impact au fil du temps.»

L’importance de la santé mentale

Selon le document rédigé par ManpowerGroup, de plus en plus d’entreprises sont appelées à ériger la santé mentale de leurs collaborateurs en priorité absolue, accordant par ricochet une place plus centrale encore à leur santé physique au sens strict et à leur sécurité.

Le groupe développe ses prédictions: «Face à un mouvement de masse enjoignant les salariés à sortir du silence, les employeurs devront expliquer avec clarté comment ils comptent assumer leur devoir envers leurs salariés en matière de préservation de la santé mentale, mais aussi d’évolution salariale, d’employabilité et de bien-être. Les entreprises vont être de plus en plus souvent appelées à agir pour prévenir les cas de burn-out, aider leurs collaborateurs à gagner en résilience et prendre soin de leur santé mentale.»

D’ailleurs, selon une autre étude de la multinationale, trois employés sur 10 souhaitent pouvoir déposer davantage de congés «santé mentale» pour éviter le burn-out. «Aujourd’hui, les employés veulent travailler mais pas en acceptant sans sourciller toutes les conditions et toute la pression qu’on ne pouvait même pas questionner il y a une génération, synthétise Guia Greaves. Le monde du travail est un peu plus dans les mains des salariés, qui ont certaines demandes légitimes. Les entreprises doivent les entendre.»

Pour la Zurichoise, l’économie mondiale a maintenant compris qu’il fallait «une croissance sociale et durable» en lieu et place d’une croissance «infinie dans un monde fini, ce qui n’est pas possible». Un vaste chantier, philosophique aussi, qui ferait petit à petit son chemin. «Pour l’instant, il y a beaucoup de grands discours et moins de gestes concrets, regrette-t-elle. Mais c’est un work in progress et nous verrons très rapidement qui fait réellement quoi.»


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