Un avion en papier, une balle de ping-pong, une raquette ainsi qu'un pistolet laser sont posés devant moi, sur une table aux reflets bleutés. Je me déplace encore assez maladroitement, et ne parviens à mettre la main sur l'avion qu'après plusieurs tentatives. Mais il s'envole alors avec grâce à travers la pièce colorée et lumineuse, et plane vers l'infini. Non, je ne suis ni dans la chambre d'un enfant passionné par les LED, ni dans le salon de ses parents, passionnés par le LSD.
Bienvenue dans le métavers. Qui n'est rien de moins que l'antichambre de l'avenir numérique!
Métaverse est le mot du moment, la prochaine étape d'Internet, le Web 3.0... Facebook s'est rebaptisé Meta pour faire comprendre au monde dans quelle direction il va se diriger. Selon les mots du CEO Mark Zuckerberg, le métavers est un Internet incarné, dans lequel on «est» réellement au lieu de se contenter de regarder de l'extérieur. On peut se représenter l'ensemble comme un univers parallèle, dans lequel tout est en principe possible – tant que quelqu'un le programme.
Le terme Métaverse («meta-» signifie au-delà, «-verse» signifie univers) a été mentionné pour la première fois en 1992 par Neal Stephenson dans son roman de science-fiction «Snow Crash». Il s'agit d'une réalité virtuelle mondiale dans laquelle les personnes sont représentées par des avatars, exactement le futur dans lequel nous devrions bientôt passer une grande partie de notre quotidien. Chaque grand groupe veut désormais lancer son propre Métaverse sur le marché.
De «vraies» réunions en ligne
Pour faire le saut dans l'univers animé, il suffit d'un casque de réalité virtuelle et de deux contrôleurs avec lesquels on dirige ses mains virtuelles. Après une courte phase d'adaptation, cela fonctionne déjà avec une précision étonnante. Il ne s'agit pas seulement de jouer et de s'amuser. La vie professionnelle va également être bouleversée par le web 3.0. «Le Métaverse permet une interaction humaine naturelle et une collaboration créative sans devoir être physiquement au même endroit», explique Rasmus Dahl, le directeur du site zurichois de Meta. «On peut par exemple brainstormer ensemble sur des tableaux virtuels. Grâce aux avatars, on ne remarque plus de différence entre les réunions numériques et les réunions réelles.»
Ce n'est que le début. La visite d'un appartement peut se faire virtuellement, sans file d'attente devant la maison. De même, des formations, des visites guidées, des ateliers, des concerts et des défilés de mode pourraient être suivis n'importe où dans le monde par un nombre illimité de participants.
Dans le domaine médical, les possibilités d'application sont également très vastes. Récemment, la première opération holographique de la colonne vertébrale au monde a pu être réalisée à la clinique universitaire de Balgrist, à Zurich, à l'aide des lunettes de réalité mixte HoloLens de Microsoft.
Pour pouvoir se déplacer dans l'espace numérique, les utilisateurs ont besoin d'un avatar. Celui-ci veut bien sûr être habillé à la mode, raison pour laquelle des entreprises comme Adidas, Nike et Polo Ralph Lauren ont acheté aux enchères pour des centaines de milliers de dollars des terrains virtuels dans des filiales de Métaverse aux noms évocateurs, comme Decentraland ou Sandbox, afin de vendre des vêtements à des avatars dans des boutiques virtuelles. Pour de l'argent réel, bien sûr.
Un deuxième Second Life?
Certains se souviennent peut-être de Second Life, le premier Métaverse, qui a vu le jour en 2003. Après un énorme battage médiatique, le projet s'est soldé par un flop retentissant. Même le créateur de Second Life, Philip Rosedale, voit donc l'avenir en noir.
Cependant, les entreprises tech ne se laissent pas décourager et investissent beaucoup d'argent. Rien qu'en 2021, Meta a investi 10 milliards de dollars dans ce domaine. Microsoft a mis 70 milliards sur la table pour le développeur de jeux Blizzard, notamment dans l'espoir de gagner des utilisateurs et des droits pour son propre Métaverse. Bloomberg prévoit déjà, pour 2024, un chiffre d'affaires de 800 milliards de dollars pour l'ensemble des projets de ce type. Mais il faudra certainement encore des années, voire des décennies, avant qu'une grande partie de l'humanité ne troque ses smartphones contre des lunettes de réalité virtuelle.
Selon Rasmus Dahl, il ne s'agit pas d'une révolution numérique soudaine, mais d'un processus continu au cours duquel de nouvelles fonctions et de nouveaux appareils sont développés. Mais entre-temps, les voix critiques se multiplient. Après divers scandales, le groupe Meta n'est pas connu pour sa protection des données et porte, non sans raison, le titre officieux de «pieuvre des données».
Dans une interview accordée au SonntagsBlick, le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence Adrian Lobsiger exprime ses doutes quant au fait que les lunettes de réalité virtuelle scannent tout leur environnement et diffusent des informations en temps réel via Internet; une atteinte massive à la sphère privée.
Protection des données et addiction
Les lunettes enregistrent également le regard, les mimiques, la voix et la posture de leurs utilisateurs, et les stockent dans le cloud. Il est évident que le risque d'usurpation d'identité est bel et bien présent.
Meta promet d'introduire des directives strictes en matière de protection des données, mais ne veut pas assumer de responsabilité pour les services de fournisseurs tiers, qui sont reliés à Métaverse.
Les jeux en ligne et les médias sociaux peuvent entraîner une dépendance, dont les symptômes sont une diminution de l'autocontrôle et un faible intérêt pour les activités quotidiennes. L'organisation Addiction Suisse part du principe que ces problèmes sont encore renforcés dans le Métaverse, car une immersion totale dans des mondes virtuels permet de perdre encore plus facilement le contact avec la réalité.
Après 20 minutes, je mets fin à mes premiers essais dans le Métaverse et je retire mes lunettes de réalité virtuelle. Je suis en sueur, il me faut quelques secondes pour m'habituer à la réalité et revenir à la salle de conférence de Meta Zurich.
Entrer dans le monde virtuel fut amusant, et je suis impressionné par les progrès techniques. Mais passer toute ma journée de travail ou même mon temps libre dans Métaverse, je ne suis pas encore prêt pour ça.
(Adaptation par Lliana Doudot)