La célébration du demi-siècle du droit de vote des femmes a dû être reportée, Covid oblige. Le Conseil fédéral rattrape aujourd’hui ce rendez-vous manqué avec l’histoire. La conseillère fédérale en charge de la Justice, Karin Keller-Sutter, recevra au Palais fédéral des femmes politiques, actives ou retraitées, ainsi que d’anciennes militantes et de nombreuses autres invitées pour commémorer ce tournant de l’histoire suisse.
Cette célébration arrive alors qu’un autre tournant pourrait être emprunté, celui du «mariage pour tous». La campagne référendaire bat son plein et le vote se rapproche à grands pas. C’est l’occasion pour Blick de s’entretenir avec Karin Keller-Sutter d’égalité, de mariage et de PMA, y compris d’un point de vue très personnel.
Madame la conseillère fédérale, êtes-vous heureuse d’être une femme?
Karin Keller-Sutter: Étant donné que je suis née comme ça, je ne me suis longtemps jamais posé cette question. Mes trois frères et moi avons été élevés de la même manière, nos parents ont appliqué les mêmes exigences pour nous tous. Ce n’est que plus tard, pendant mes études, ma vie professionnelle et lorsque je faisais de la politique dans un parti de la classe moyenne, que j’ai compris qu’être une femme était un peu différent.
Comment l’avez-vous remarqué?
Au PLR, j’ai eu le sentiment qu’on était plus exigeant envers moi en tant que femme qu’envers un homme. Et puis il y avait mon âge: je suis devenu conseillère cantonale à 32 ans et conseillère d’État à 36 ans. Beaucoup de gens étaient heureux d’avoir une jeune femme dans leurs rangs. En même temps, on m’a fait comprendre que personne ne m’avait attendu.
On a désespérément besoin de femmes dans le monde des affaires et de la politique. Être une femme est-il devenu un avantage?
Les femmes bien éduquées sont recherchées. Si elles se trouvent au bon endroit au bon moment, cela peut être un avantage.
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Aujourd’hui, la Suisse célèbre officiellement les 50 ans du droit de vote des femmes. Selon vous, quels progrès restent encore à faire en matière d’égalité?
L’égalité concerne les deux sexes. La conciliation du travail et de la vie de famille doit être améliorée pour les couples qui veulent partager l’éducation des enfants et poursuivre leurs activités professionnelles. De nombreux jeunes hommes ont également du retard à rattraper. En outre, les violences domestiques et sexuelles restent un problème permanent, même dans les sociétés où l’égalité des droits est assurée.
Vous avez dit une fois ne pas pouvoir tout avoir: une carrière, un engagement politique, une famille. C’est peut-être vrai pour les femmes, mais pas pour les hommes.
Je pense que cette affirmation s’applique aux deux sexes, et je parle surtout ici d’expérience personnelle. Demandez à mon mari combien j’ai travaillé lorsque je suis devenue conseillère d’État. Chaque personne ne peut donner que 100% de sa capacité. Pour moi, il n’aurait pas été correct d’avoir des enfants en plus. Parfois, il faut prendre une décision dans la vie.
Pourquoi est-ce souvent plus difficile pour les femmes?
Le succès est interprété selon des modèles masculins, y compris pour les femmes. Cela signifie que vous réussissez si, par exemple, vous êtes à la tête d’une entreprise, siégez dans un conseil d’administration et êtes également active sur le plan politique. Mais le succès peut aussi signifier être mère au foyer.
L’égalité des droits va de pair avec l’égalité des devoirs. Que pensez-vous de la demande d’un service civil pour tous?
Je suis sceptique à ce sujet. L’État obligeant chaque citoyen à lui rendre service, cela m'évoque l'Allemagne de l'Est. J’aime beaucoup plus l’idée de notre système de milice, où les gens se portent volontaires pour servir la collectivité. Si l’on parle d’égalité des droits et des devoirs, il faut alors envisager un service militaire obligatoire pour les femmes. Ce serait plus logique.
Y seriez-vous favorable?
On peut certainement en discuter. Mais est-ce vraiment nécessaire? L’armée a-t-elle besoin de plus de monde? Nous avons une culture différente de celle d’Israël, par exemple, où les femmes ont toujours servi.
On parle également beaucoup d’écriture inclusive. Les nouveaux types de ponctuation qui la permettent divisent la population.
Pour être honnête, je n’aime pas trop cela. À mon avis, cela défigure la langue. Et puis, qu’est-ce que toute cette discussion sur le genre apporte à une femme célibataire qui doit lutter dans la vie? Qu’est-ce qui aide ces femmes à lutter contre le déficit de pension dans le deuxième pilier? Celles et ceux qui se battent pour les femmes devraient discuter des bonnes questions.
Les arguments contre le droit de vote des femmes il y a 50 ans nous semblent absurdes aujourd’hui. En sera-t-il de même dans 50 ans avec les arguments contre le «mariage pour tous»?
Cette discussion-là était autrement plus virulente. Certains opposants, lors du premier vote en février 1959, se basaient sur l’argument que le cerveau féminin était plus léger pour expliquer leur position. Heureusement, de telles discussions n’existent plus aujourd’hui. Le «mariage pour tous» émane du milieu de la société, et c’est une bonne chose. Il n’appartient pas à l’État de prescrire des changements sociaux, mais c’est son rôle de les suivre dans la loi.
Quand les premiers couples de lesbiennes et de gays pourront-ils se marier si le Oui l'emporte?
«Le mariage pour tous» pourrait entrer en vigueur le 1er juillet 2022 au plus tôt.
Les opposants reprochent au texte de loi d’appliquer la technique du salami: après le mariage homosexuel et le don de sperme pour les couples lesbiens suivront le don de sperme anonyme et la gestation pour autrui.
Je vois les choses différemment. La gestation pour autrui est interdite par la Constitution. Cela signifie que l’obstacle pour changer cela sera élevé. À titre personnel, je suis clairement contre. La constitution stipule également que chacun a le droit de connaître sa filiation. Après son 18e anniversaire, un enfant peut demander des informations sur l’identité de son père biologique. Le simple fait de savoir qu’il existe un registre contenant ces informations est important pour les personnes concernées. En rendant légal le don de sperme enregistré pour les couples de lesbiennes mariées, nous empêchons la multiplication des dons de sperme anonymes.
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Quelle est votre position sur l’argument selon lequel un enfant a besoin d’une mère et d’un père?
Le facteur décisif pour élever des enfants n’est pas le sexe, mais les soins, l’amour et l’environnement. Le modèle familial traditionnel est certainement idéal. Mais la réalité sociale actuelle est qu’il existe aussi d’autres modèles familiaux. Je me souviens que lorsque j’étais à l’école primaire, les gens se chuchotaient entre eux en pointant du doigt ceux dont les parents étaient divorcés. Aujourd’hui, c’est le cas de 40% des mariages.
S’il doit y avoir une égalité complète: Pourquoi ne pas également autoriser le don de sperme pour tout le monde? Vous n’avez pas besoin d’être marié pour être un bon parent.
Je pense qu’il est juste de présupposer le mariage dans le cas du don de sperme, et que ce dernier s’accompagne de droits et d’obligations. Ce qui est important pour moi, c’est qu’on n’inscrive pas un droit à avoir un enfant! Je comprends qu’il existe des couples qui ont un fort désir d’avoir des enfants et qui sont prêts à tout pour cela. C’est une décision personnelle. Je ne l’aurais pas fait moi-même, car pour moi, c’est aussi une question d’humilité.
Vous n’avez pas pu avoir d’enfants vous-même. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre attitude vis-à-vis de l’adoption et du don de sperme?
Pas du tout. J’ai fait deux fausses couches. Ne pas avoir d'enfants n'était pas une décision volontaire. C’est arrivé, c’est comme ça. À un moment donné, je pense que la vie m'a simplement fait choisir un autre chemin.
Vous êtes mariée depuis 32 ans. D’après votre expérience, qu’est-ce qui rend un mariage heureux?
Mon mari dit toujours que c’est parce qu’il a été si tolérant pendant 32 ans (rires). L’acceptation mutuelle, la tolérance et la confiance sont essentielles. Et aussi la volonté. Mon mari et moi en avons discuté récemment et sommes arrivés à la conclusion suivante: Nous ne pourrions jamais divorcer! Parce que nous avons la volonté de rester ensemble. Nous avons dit quand nous nous sommes mariés que c’était un projet pour la vie. Vous ne pouvez pas vous dérober de cet engagement au premier problème venu.