Revendications féministes
Six parlementaires romandes expliquent pourquoi le Parlement traîne des pieds

Deux ans après la grève nationale des femmes et la vague violette aux élections fédérales, peu de revendications ont été entendues à Berne. Six parlementaires romandes, de tous bords politiques, livrent à Blick leur analyse.
Publié: 14.06.2021 à 18:40 heures
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Dernière mise à jour: 01.09.2021 à 22:06 heures
La grève des femmes avait réuni 40'000 personnes à Lausanne le 14 juin 2019.
Photo: Keystone
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Amit JuillardJournaliste Blick

D’abord, un tsunami. 14 juin 2019: plus de 500’000 personnes descendent dans la rue, qui se pare de violet à l’occasion de la grève nationale des femmes. Et puis, une vague. Violette aussi. 20 octobre 2019: lors des élections fédérales, davantage de femmes gagnent un siège à Berne. Leur proportion passe de 32 à 42% au Conseil national, de 15 à 26% au Conseil des Etats, plus conservateur. Mais l’écume des revendications des grévistes féministes ne semble pas vraiment atteindre le rivage des Chambres fédérales.

«Hormis le nombre de femmes sous la coupole fédérale, il y a bien peu de victoires politiques à relever», soupire Céline Amaudruz (UDC), conseillère nationale genevoise, contactée par Blick, comme 5 autres parlementaires romandes ce 14 juin 2021. Tout au plus, plusieurs d’entre elles, à l’instar de Marianne Maret (Le Centre), conseillère aux Etats valaisanne, relèvent le plan d’action national contre les violences domestiques, présenté par le Conseil fédéral au printemps, qui inclut la mise en place d’une centrale téléphonique nationale pour dénoncer les cas de violence conjugale ou demander de l’aide.

Pire, il y a eu des défaites. «Ce qui plombe le bilan, c’est surtout la réforme de l’AVS et la hausse de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, déplore Céline Vara (Les Vert.e.s), conseillère aux Etats neuchâteloise. C’est une injure faite aux femmes! Nous allons évidemment lancer un référendum, que nous allons gagner.» Autre revers, cette fois souligné par Céline Amaudruz: le refus par le Parlement de rembourser la contraception pour les jeunes jusqu’à 25 ans. L’égalité salariale n’est, elle, toujours par une réalité.

Qu’est-ce qui coince aux Chambres fédérales? Aux côtés de Céline Amaudruz, Céline Vara et Marianne Maret, la vaudoise Léonore Porchet (Les Vert.e.s), la valaisanne Marianne Maret (Le Centre), la fribourgeoise Johanna Gapany (PLR) et la jurassienne Elisabeth Baume-Schneider (PS) ont répondu à cette question de Blick.

Léonore Porchet, conseillère nationale vaudoise, Les Vert.e.s:

«La société libérale actuelle est très patriarcale et convient très bien à la majorité bourgeoise»

Photo: KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

«Le fait d’avoir davantage de femmes au Parlement est d’abord un but plutôt qu’un moyen pour améliorer les droits des femmes. On pourrait avoir un Parlement 100% féminin, ça ne voudrait pas dire qu’on n’augmenterait pas l’âge de la retraite des femmes! La société libérale actuelle est très patriarcale et convient très bien à la majorité bourgeoise à Berne. Parce qu’elle favorise les personnes qui ont déjà de l’argent et décourage le partage des richesses. Les femmes en sont des victimes collatérales. Le PLR et l’UDC n’ont par exemple pas voulu de mesures contraignantes en matière d’égalité salariale. Mais sur certaines questions, nous trouvons des coalitions. J’ai par exemple bon espoir pour que la notion de consentement soit enfin intégrée dans la définition du viol en Suisse.»

Johanna Gapany, conseillère aux Etats fribourgeoise, PLR:

«Le programme de législature va dans le bon sens»

Photo: KEYSTONE/Anthony Anex

«Le rythme parlementaire est lent. Mais il est le même pour tous les objets alors il ne faut rien lâcher. Grâce à la meilleure représentation des femmes, il y a une claire volonté d’aller vers une société plus égalitaire, même si les propositions sont différentes lorsqu’elles émanent de la gauche ou de la droite. Le programme de législature va dans le bon sens avec des propositions concrètes. Entre-temps, de grandes réformes sont lancées. L’initiative populaire pour l’imposition individuelle, par exemple, veut corriger une mauvaise incitation, souvent au détriment des femmes puisque l’imposition actuelle pénalise le second salaire du couple et encourage à réduire ou abandonner son activité professionnelle. Aussi, la réforme du 2e pilier est lancée alors que l’égalité des rentes est une question cruciale pour les femmes qui sont souvent pénalisées, au niveau du 2e pilier, par des revenus partiels et plus modestes.»

Céline Amaudruz, conseillère nationale genevoise, UDC:

«Je vote de plus en plus pour des propositions de la gauche, mais l’inverse ne va pas de soi»

Photo: KEYSTONE/Anthony Anex

«Parfois, le clivage gauche-droite nous empêche d’agir ensemble. Personnellement, je soutiens de plus en plus de propositions qui émanent de la gauche, au contraire d’autres femmes de droite. Je suis par exemple pour des mesures contraignantes en matière d’égalité salariale. Cela ne va pas de soi à l’inverse: les femmes de gauche ne soutiennent pas les textes qui visent à donner davantage de sécurité aux femmes victimes de violences et à durcir les peines des auteurs. Nous sommes aujourd’hui plus de 40% de femmes au Parlement. Si nous nous unissions, nous arriverions à faire passer nos textes. J’essaie par ailleurs de sensibiliser mon groupe à ces questions, notamment en matière de politique familiale. C’est un travail de longue haleine, mais j’ai du plaisir à le faire.»

Marianne Maret, conseillère aux Etats valaisanne, Le Centre:

«Les hommes ne se rendent pas compte que nous vivons une réalité différente d’eux»

Photo: KEYSTONE/Olivier Maire

«De manière générale, ce qui coince, c’est qu’une partie des parlementaires ne perçoit pas de bonnes raisons de faire bouger les lignes en matière d’égalité. Par conséquent, elles bougent très lentement. Cela me préoccupe: les hommes ont plus de peine à se rendre compte que les femmes vivent une réalité différente d’eux. Et ce n’est pas propre au parti qu’ils représentent. En matière de harcèlement par exemple, à la SSR, au centre sportif de Macolin ou dans les Ecoles polytechniques fédérales, il y a un schéma au moment d’agir: celui de la frilosité. Avant de pouvoir gagner des votes, nous devons travailler dans les groupes ou en bilatérale pour expliquer à nos collègues masculins que c’est normal que les femmes réagissent fortement à ces phénomènes.»

Elisabeth Baume-Schneider, conseillère aux Etats jurassienne, PS:

«Au Conseil des Etats, nous rencontrons davantage de résistance»

Photo: KEYSTONE

«Je perçois de petites ouvertures lorsque les thématiques touchent à la vie quotidienne, ce qui est proche de notre compréhension, comme les violences domestiques. Beaucoup moins sur les questions de société, comme le congé parental. Les arguments sont toujours les mêmes: «ce n’est pas le bon moment», «c’est trop cher», «les dispositions actuelles suffisent». La réalité, c’est aussi la répartition des forces politiques. Au Conseil des Etats, chambre plus conservatrice, nous rencontrons davantage de résistance. Et puis, souvent, la Confédération estime que c’est aux cantons d’agir. C’est certes exact du point de vue juridique mais la volonté politique manque. Le Conseil fédéral pourrait agir davantage en matière de structures d’accueil pour les enfants, par exemple.»

Céline Vara, conseillère aux Etats neuchâteloise, Les Vert.e.s:

«C’est une question d’éducation et de génération»

Photo: KEYSTONE/Anthony Anex

«Le problème au Parlement, c’est que nous n’arrivons pas à construire des majorités sur les thématiques portées par la grève des femmes. Ce n’est pas une question de parti. Typiquement, lorsqu’il s’agit pour un homme de laisser sa place à une femme, il n’y a plus de couleur politique. A gauche, il y a des hommes qui ne sont pas nos alliés et à droite des femmes ne sont pas nos alliées non plus, alors que d’autres abondent entièrement dans notre sens. C’est davantage une question d’éducation et de génération. Heureusement, le modèle patriarcal ne fait plus du tout rêver les jeunes. Mais au Conseil des Etats, sur 46 sièges, seuls 8 sont occupés par des personnes de moins de 50 ans.»

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