C’est une petite phrase, lue dans les éditions romandes des journaux de Tamedia, qui a retenu notre attention. La Verte valaisanne Céline Dessimoz invitait à tirer les leçons de la «nouvelle affaire» Yannick Buttet. Pour rappel, après avoir été nommé à la présidence de la Chambre valaisanne de tourisme (CVT) par un comité composé de 12 hommes pour une femme, l’ancien conseiller national du Centre — condamné à deux reprises, en 2018 pour contrainte et appropriation illégitime et en 2021, pour attouchements à caractère sexuel — avait été forcé à la démission.
Une démission contrainte qui n’avait pas manqué de faire réagir la deuxième vice-présidente du Grand Conseil valaisan. «L’arbre ne doit pas cacher la forêt: une quantité de faîtières sont représentées uniquement par des hommes dans ce canton, régulièrement tous issus du même parti (ndlr: Le Centre)», constatait-elle dans les journaux de Tamedia. Et de déplorer le manque de transparence sur les processus de nomination au sein des comités des associations faîtières.
Blick s’est donc mis à dresser une liste des organisations faîtières du canton. Au total, 34 ont été recensées, allant de la Chambre Valaisanne de Commerce et d’Industrie (CCI) à celle d’agriculture en passant par les Remontées mécaniques du Valais ou encore l’Association valaisanne des institutions en faveur des personnes en difficulté (AVIP).
Alors, l’affaire Buttet, un arbrisseau qui cache une forêt ou la pointe de l’iceberg d’un problème systémique? Dans un canton où le Conseil d’Etat est exclusivement masculin, ainsi que sa représentation au Conseil national, la question mérite d’être posée.
Le Valais, terre de boys club?
Sur les 34 faîtières recensées, neuf sont supervisées par un comité exclusivement masculin. La moitié de ces organisations, soit 17, sont composées d’au moins 70% de messieurs. Quatre comités seulement sont à majorité féminine (Swiss Wine Valais, l’association des infirmiers et des infirmières, HR Valais et l’association valaisanne des musées). Au total, les comités sont à 78% masculins dans le canton. Pour la parité, on repassera.
Ces résultats ne surprennent pas la députée Céline Dessimoz qui avance une piste d’explication: «Si la représentativité des femmes gagne du terrain dans l’espace public et politique, il existe une certaine inertie dans ces comités qui ne se renouvellent — en partie — que tous les quatre ans. Et si à la tête de ces comités, vous trouvez des personnes avec une mentalité un peu conservatrice, eh bien, on n’avance pas.»
De là à parler de sexisme, il y a un pas que l’écologiste se refuse à franchir. «Pour moi, il y a sexisme lorsqu’il y a une intention 'de'. Je pense sincèrement que dans ces comités, il n’existe pas une volonté manifeste d’écarter les femmes, mais des mauvaises habitudes qui ne sont pas remises en cause.» Et d’ajouter: «Ils gagneraient à intégrer en leur sein, des jeunes, des femmes et d’autres partis politiques. Malheureusement, l’attirance d’un entre-soi est bien plus confortable.»
Alors, l’heure est-elle à la remise en question au sein des comités des faîtières valaisannes? Pas vraiment…
Circulez, il n’y a rien à voir
Pour le conseiller national centriste Benjamin Roduit et président notamment de l’AVIP – qui regroupe 25 institutions valaisannes accompagnant des personnes en difficulté –, «il n’y a rien qui pèche» dans la faible représentativité des femmes (17%) au comité de l’association qu’il préside. On insiste au bout du fil: douze hommes pour deux femmes, le déséquilibre ne lui saute pas aux yeux? «Je le répète, il n’y a rien qui pèche», conclut-il avant de mettre un terme à ce bref échange.
On tente notre chance auprès de celui qui a été à l’origine de cette tempête, Yannick Buttet. S’il a été poussé vers la sortie de la CVT, l’ancien conseiller national n’en demeure pas moins le président de l’Interprofession des Fruits et Légumes du Valais (IFELV). Au comité de cette association faîtière? Douze hommes. Des femmes? Zéro. Aucune productrice, ni maraîchère dans le canton, susceptible de répondre aux critères d’admission du comité? «Je ne souhaite plus m’exprimer dans les médias», nous fait-il savoir au téléphone.
Pas de notre faute!
Et puis, il y a ceux qui constatent, déplorent parfois, mais qui regardent passer le wagon de la parité les bras croisés.
Au comité des Remontées mécaniques du Valais, où la représentation féminine s’élève à… 0%, son président, Didier Défago, l’explique par les critères d’éligibilité au comité. «Celui-ci est essentiellement composé de directeurs d’entreprises responsables de la gestion opérationnelle des sociétés de remontées mécaniques. Et la réalité, c’est qu’il n’y a pas de femmes qui occupent ces postes.»
Même son de cloche au Bureau des Métiers (0% de femmes), le centre patronal valaisan. «Les personnes qui composent notre conseil d’administration sont des patrons d’entreprises du second d’œuvre, indique Vincent Bonvin, son président. S’il y avait une femme dans ce domaine qui était patronne d’entreprise, elle aurait évidemment une place chez nous, mais elles sont rares.» Pourrait-on envisager de mettre en place des programmes pour féminiser la branche? «Nos programmes s’adressent à tous les jeunes», répond-il.
Les choses bougent… lentement
Zéro pointé aussi aux comités de l’association Valaisanne des Entrepreneurs du Bâtiment et du Génie civil (AVE), de l’Union valaisanne des arts et métiers (UVAM) et à la Chambre valaisanne de commerce et d’industrie (CCI).
Ces deux dernières ont décidé d’agir. À petits pas. À l’UVAM, c’est promis, en novembre 2024, une femme devrait pointer le bout de son nez au comité à l’occasion du renouvellement de ce dernier. «Depuis mon élection, il y a trois ans, j’ai pour priorité d’inclure des femmes au comité, assure son président et conseiller national du Centre, Philipp Matthias Bregy. Dans les PME que nous représentons, les équipes mixtes sont l’une des clés de la réussite de ces entreprises. Cette réalité doit se refléter dans notre comité.»
À la CCI, il a fallu ruser ou plutôt modifier les statuts de la faîtière des faîtières de l’économie valaisanne pour pouvoir espérer faire entrer des femmes dans un comité pour l’heure exclusivement masculin. «La plupart de nos membres ne sont choisis, ni par le comité, ni par le président. Ils sont désignés par les associations faitières membres de la Chambre. Et dans une majorité des cas, ces associations délèguent leur président», signale Jean-Albert Ferrez, président de la CCI depuis 2019.
Alors en mars 2025, le comité passera de 9 à 13 membres avec des statuts modifiés pour permettre à des membres individuels, c’est-à-dire des entreprises, d’être intégrés. Le but de l’opération? «Récupérer davantage de marge de manœuvre pour choisir — dans une certaine limite — les personnes que l’on va contacter afin d’améliorer la diversité au sein de notre comité, en particulier sur le critère du genre. C’est la seule arme que j’avais à disposition», explicite Jean-Albert Ferrez.
Et de pointer les difficultés à faire bouger les lignes dans ces comités. Un exemple? «L’Association hôtelière valaisanne (AHV) est coprésidée par un homme et une femme. À l’époque, j’avais glissé, que tant qu’à faire, j’aurais préféré qu’une femme rejoigne le comité de la CCI, précise-t-il. Et pour une raison qui leur appartient, c’est leur coprésident qui est là.» Contactée, Lara Berra, la coprésidente de l’AHV n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Les quotas, une solution?
À la Chambre valaisanne d’agriculture (CVA), le renouvellement du comité (13 hommes pour deux femmes) est prévu pour 2027 et son président Willy Giroud l’assure: «Si des femmes souhaitent s’engager, elles seront accueillies à bras ouverts.»
Une intention louable, mais pas suffisante pour la coprésidente des femmes socialistes Mathilde Mottet. «Il faut que ces comités, lors de leur rotation, se fixent pour objectif d’aller chercher des femmes qui souvent ne se sentent pas légitimes, car socialisées ainsi. Il ne suffit pas de dire 'prenez la place' mais la leur laisser. Et donc d’instaurer des quotas de façon proactive. C’est un passage obligé.»
Des quotas pas vraiment au goût de Willy Giroud: «Ces objectifs sont contre-productifs. Il faut avoir les bonnes personnes au bon moment.» Idem du côté de l’Union commerciale valaisanne (11 hommes, 2 femmes) nous fait savoir son président Manfred Stucky. Et à la Chambre valaisanne de tourisme, on n’est pas fan de l’idée non plus.
Les copains, d’abord!
Et puis, certaines élues pointent du doigt également les procédures de cooptation dans ces boys club valaisans. «On va chercher le copain du copain. Les hommes se nomment entre eux, de génération en génération. C’est la même chose en politique», relève Sarah Constantin, la cheffe de groupe du Parti socialiste (PS) au Grand Conseil valaisan.
Dans un communiqué, les sections femmes du Centre, de NEO, du PS, des Vert-e-s et des Vert’libéraux du Valais, plaident pour davantage de transparence dans les procédures de recrutement ces comités. Mais aussi, à reconnaître l’importance de la parité et à mettre en place des mesures concrètes pour garantir une représentation équitable des femmes.
À l’heure où la Chambre valaisanne de tourisme (CVT) cherche un ou une remplaçante à Yannick Buttet, ont-elles été entendues par son coprésident ad interim, Luc Fellay? «Il n’est pas facile de trouver une femme pour le poste. Il faut avoir une expérience politique, des connaissances de l’appareil de l’Etat, au niveau financier, juridique et politique», rétorque-t-il. Et de poursuivre: «Combien de femmes sont présidente de commune et en charge du tourisme? Très peu. On ne peut pas prendre une femme sans cette double expérience à la direction du tourisme pour la bombarder présidente.»
Au 31 décembre 2022, le Valais comptait 179’447 femmes, selon les statistiques cantonales. La perle rare pourrait-elle se cacher parmi elles?