La prison a poussé ses prisonniers à bout. Leur désespoir, leur peur et leur colère ont laissé des traces. «Innocent derrière les barreaux», a été gravé sur une porte de cellule, avec la date au-dessus: 03.10.04. Sur une autre porte, on peut lire: «Nous ne crions pas 'Fuck', mais 'Kill the Police'». Et toujours les mêmes quatre lettres visibles partout: «Free».
Les détenus ont barbouillé leurs messages sur les murs avec du dentifrice ou de la cendre, et les ont gravés avec les zips de leurs fermetures éclair.
La prison la plus rude de Suisse
La prison provisoire de la police zurichoise est vide, mais pas silencieuse. Cet été, les derniers détenus ont quitté le bâtiment en béton de trois étages situé sur le site de la caserne. Cette prison était considérée par les avocats comme l’établissement au régime de détention le plus sévère. Même les policiers les plus endurcis étaient heureux de pouvoir quitter le bâtiment, pouvait-on lire dans le «Tages-Anzeiger». C’était un non-lieu, en plein cœur de la ville. Un mémorial temporaire de temps que l’on préfère oublier. Dans le coffre-fort du médecin de la prison se trouve encore aujourd’hui une clé avec l’inscription «méthadone».
De l’extérieur, on ne pouvait que deviner ce qui se passait derrière ses épais murs. Les journalistes n’y avaient pas accès, les avocats ne connaissaient que les parloirs. Si on entendait quelque chose qui provenait de ce lieu, c’était surtout des histoires d’horreur.
C’est ici qu’en août 2014, un employé de la Rega s’est suicidé après avoir tenté de vendre le dossier médical de Michael Schumacher aux médias. Des enfants de 11 ans y étaient détenus – dans le quartier de détention normal, une violation des principes internationaux.
Le délinquant Brian, connu sous le nom de Carlos, était venu ici, tout comme le manager de football Erich Vogel ou l’ex-patron de Raiffeisen Pierin Vincenz. Ils étaient assis dans de petites cellules: grille métallique, matelas affaissé, table en bois, fenêtre grillagée.
«J’étais un habitué»
Ilias Schori, ex-détenu de la prison d’urgence de Zurich et aujourd’hui enseignant auprès de l’association «Gefangene helfen Jugendliche», se souvient: «En hiver, il faisait un froid glacial, en été, une chaleur étouffante. Ça sentait toujours la fumée, la cuisine de la prison, la sueur.» Aujourd’hui, ça ne sent plus que l’air vicié.
L’ex-détenu a été envoyé pour la première fois dans cette prison à l’âge de 14 ans. On l’a mis dans une cellule avec des adultes. Il y est revenu à plusieurs reprises: d’abord parce qu’il s’était enfui de foyers, puis pour des vols. «J’étais un habitué.»
23 heures sur 24 dans une cellule
Avec les cellules du bâtiment de la caserne, il y avait 141 places de détention. Les personnes arrêtées arrivaient là avant qu’un juge ne décide de la détention préventive et avant qu’un transfert éventuel dans d’autres établissements ne soit effectué. Durée maximale de séjour: sept jours.
La détention policière est la forme de détention la plus restrictive: 23 heures sur 24 dans une cellule, seul, parfois à deux, sans savoir ce qui va arriver. C’est là que le choc de la détention sévit, que les détenus subissent des crises de panique ou d’angoisse.
Une cellule du deuxième étage est noire de suie, un détenu a dû y mettre le feu. L’expression du désespoir? Une tentative de faire pression? Ou tout simplement un accident?
Ilias Schori parle de son quotidien ici: des détenus qui frappent sur les portes, qui crient dans toutes les langues possibles, même la nuit. Il le dit comme si c’était normal. «Tu n’es préoccupé que par tes propres pensées: Comment ça va se passer? Où vais-je aller? Que pensent mes parents de moi? J’emmerde la police! Je préférerais être au bord de la mer avec ma copine en ce moment», ironise-t-il.
Lever à 6h15, extinction des feux à 21h30
La construction de la prison provisoire de la police zurichoise était une solution d’urgence. Le terrain sur lequel elle a été construite se trouve dans la zone libre cantonale. 1994: C’est l’année qui suit l’évacuation de la scène ouverte de la drogue à Zurich, le Letten. Face à la misère de la drogue, les électeurs ont approuvé la construction d’une prison sur la Kasernenwiese. Provisoirement, pour cinq ans.
Dans cette prison, il n’y avait pas de téléphone portable, pas de télévision, rien à lire – sauf les inscriptions sur les murs. Une privation totale de stimuli. Sur certaines tables en bois, des échiquiers sont gravés, les détenus se confectionnaient des pions avec du papier et jouaient au morpion.
Le règlement intérieur est encore collé à la fenêtre d’une cellule: lever à 6h15, repas à 6h30, 10h30 et 16h30. Extinction des feux à 21h30. Le seul repère était la radio, qui donnait l’heure avec les informations. Les trois cigarettes qu’Ilias Schori recevait par jour, il se les répartissait. Il ne fumait qu’une demi-cigarette à la fois, sans filtre.
L’isolement fait parler les détenus
«Il n’y a rien à faire. Tu es allongé sur le lit, tu entends l’évacuation de la fumée, par la fenêtre tu regardes le mur d’une maison, explique l’ex-détenu. Et tu entends les gens faire la fête dehors: la musique, les basses, les rires des gens.» Il y avait une heure de promenade dans la cour par jour – sachant que la cour était une place bétonnée où l’on ne voyait que le ciel en haut, à travers les grillages. Loin du monde extérieur. Même dans le bâtiment vide, on se sent à l’étroit, affligé par la désolation.
«En Iran, en Syrie, on te torture pour que tu avoues. Chez nous, on t’enferme 23 heures, dans 8,5 mètres carrés, et si tu n’as pas de chance, avec une autre victime. Je le dis à chaque fois aux élèves: imaginez que vous êtes assis chez vous dans vos toilettes pendant 23 heures. C’est là que tu te brises. C’est là que tu commences à parler.»
Déjà obsolète lors de l’ouverture
La Commission pour la prévention de la torture a critiqué à plusieurs reprises la détention préventive zurichoise. La police cantonale n’a d’abord pas voulu autoriser de visite: Le bâtiment est «un préfabriqué délabré» qui, dans son état actuel, donne une fausse image de ce qu’est la détention moderne de nos jours.
Déjà du temps de sa création, la prison n’était pas moderne. Ilias Schori se souvient: il était assis dans la voiture de police en route pour cette prison, les mains attachées derrière le dos, et il a réussi à les mettre devant lui pendant le trajet. «Quand le surveillant a vu ça, il m’a crié dessus, m’a menacé de me frapper. On est traité comme un criminel, pas comme un être humain. J’en étais un, mais quand même.»
La prison provisoire va être recyclée
Lundi, les pelleteuses retourneront la terre. Le site de la caserne sera transformé en centre de formation. Les détenus déménagent à la prison de Zurich Ouest, où beaucoup de choses seront différentes et surtout améliorées – mais une erreur a déjà été faite à propos des prévisions d’effectifs.
La prison provisoire continue à vivre: une partie de la cuisine de la prison sert dans une ferme cantonale à Hombrechtikon, les treillis en métal des lits servent de garde-fou dans une nouvelle coopérative urbaine. Les meubles de bureau ont été repris par le département des travaux publics. Même le béton aura droit à une seconde chance, car il est de très haute qualité, dit-on.