«Nous n'autorisons pas la pornographie pour le moment», a déclaré la directrice de la prison de Thorberg (BE), Regine Schneeberger, dans une interview au «Tages-Anzeiger». En cause: les délinquants sexuels emprisonnés. «Je ne veux pas qu'on me reproche de les provoquer», s'est-elle justifiée.
En sanctionnant tout le monde, les Bernois adoptent une attitude plutôt sévère. Cette interdiction est un cas plutôt isolé dans notre pays. Une enquête de Blick auprès des établissements pénitentiaires montre que la consommation de contenus érotiques n'est de loin pas prohibée partout.
Égalité de traitement
Comment la prison bernoise de Thorberg justifie-t-elle cette disposition stricte? Par le principe de l'égalité de traitement, nous répond l'institution: si certains détenus y ont le droit et d'autres non, cela pourrait créer des troubles. En outre, les sex-shops représentent une opportunité commerciale. Les contenus érotiques deviennent alors des produits de recel qui peuvent générer des dépendances.
Mais la directrice est tout à fait consciente que l'on s'aventure sur un terrain juridiquement délicat avec cette interdiction. Dans le «Tages-Anzeiger», Regine Schneeberger déclare: «On peut certainement examiner si l'on pourrait être plus permissif à l'avenir en matière de pornographie légale. Mais je demanderai au préalable l'avis de spécialistes.»
Un air de déjà-vu en Suisse romande
Une «polémique» similaire avait éclaté en Suisse romande et plus précisément à Neuchâtel en janvier. À Gorgier, un homme emprisonné depuis plus de 30 ans «en raison de ses déviances sexuelles» s'était plaint de voir bloqués les programmes érotiques de plusieurs chaînes grand public. Il avait obtenu gain de cause. À cette occasion, nous avions publié un point de situation des cantons romands, à la suite d'une information d'«Arcinfo». Vaud et Genève s'étaient révélés être des cantons très permissifs, contrairement au Jura, où «aucune chaîne TV érotique n'est tolérée».
Films à caractère sexuel sur catalogue
À Fribourg, les détenus du pénitencier de Bellechasse peuvent acheter des films à caractère sexuel dans un catalogue mis à disposition par la direction. Les revues pornographiques qui n'enfreignent pas la loi sont également admises. Les établissements pénitentiaires des cantons d'Argovie, de Zoug ou de Bâle-Ville connaissent eux aussi des dispositions similaires.
À Zurich, dans la prison de Pöschwies, les sex-shops et magazines de pornographie douce, c'est-à-dire ceux qui peuvent être achetés en kiosques, sont autorisés. Le centre d'exécution des mesures de Bitzi, à Saint-Gall, permet l'achat de magazines érotiques. Toutefois, les détenus doivent le signaler à la direction de la prison. «Et si l'acheteur n'est pas un délinquant sexuel, nous l'autorisons», confie Barbara Reifler, directrice de l'Office d'exécution des peines.
Droit à la pornographie
Les droits sexuels font en effet partie des droits de l'homme. C'est ce que l'on peut lire sur le site de l'organisation faîtière Santé sexuelle Suisse, partenaire de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). Selon diverses études, plus de 90% des hommes consomment de la pornographie. Or, outre la mission de resocialisation, l'exécution des peines en Suisse doit suivre le principe de normalité. Ce qui signifie que la réalité lors de l'incarcération doit correspondre autant que possible ce que l'on vit à l'extérieur.
«Dans le cas de la sexualité, ce principe est largement inassouvi, explique Dirk Baier, directeur de l'Institut pour la délinquance et la prévention de la criminalité à l'Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW). Les personnes incarcérées ne peuvent pas simplement déposer leur sexualité devant les murs de la prison pour la reprendre ensuite à leur sortie.» Il est donc juste et important de parler de la sexualité derrière les barreaux.
Jeu d'équilibriste
Le sujet fait l'objet de controverses dans les milieux spécialisés, objecte Benjamin F. Brägger, qui enseigne le droit de l'exécution des peines et le droit pénitentiaire à l'Université de Berne. En Suisse, chaque canton définit lui-même les conditions de détention, qui peuvent être parfois rigides, parfois plutôt laxistes.
Dans les établissements fermés comme Thorberg, l'aspect sécuritaire est plus important que le principe de normalisation. Le problème? La forte proportion de délinquants sexuels. Si ces détenus se stimulent avec du matériel pornographique, cela sape les efforts de thérapie.
Toutefois, selon Benjamin F. Brägger, il existe presque partout un marché noir de magazines et de films pornographiques. Ce qui est extrêmement difficile à contrôler. Il plaide pour que les personnes incarcérées puissent se procurer de la pornographie, qui est légale pour les personnes en liberté. «Un tabou ne fait que repousser le sujet dans la clandestinité», glisse-t-il. Il faudrait donc exclure de ce droit les délinquants sexuels. Mais tous les autres devraient pouvoir consommer de la pornographie légale. «Ils ont aussi le droit de fumer», ajoute le professeur.