Le ton est de plus en plus alarmiste concernant le marché du logement. Il est désormais établi qu’une pénurie, voire une crise, se profile. Il y a beaucoup trop peu de résidences libres et les loyers ne cessent d’augmenter. Une situation qui ne manque pas d’attiser le mécontentement de la population.
Les experts immobiliers et les politiques dénoncent des manquements et demandent une action rapide. Certains souhaitent que la Confédération encourage davantage les logements à loyer modéré. D’autres demandent une plus forte densification, des contrôles étatiques sur les loyers ou un moyen pour lutter contre les oppositions abusives.
Dans tous les cas, l’objectif est de stimuler la construction de logements. En raison notamment de l’immigration et de l’augmentation des besoins en surface habitable par habitant, le nombre de ménages en Suisse augmente chaque année plus vite que la création de nouveaux logements. En conséquence, tandis que les logements libres se raréfient, ceux qui sont encore sur le marché valent plus cher.
Mais alors qu’elles sont les issues possibles pour désamorcer ces crises? Tout d’abord, il est important de souligner qu’il n’existe pas de remède miracle contre la pénurie de logements. Et quelle que soit la méthode choisie, la mise en œuvre prendra un certain temps. Les recettes suivantes pourraient empêcher l’escalade vers une situation dramatique.
Sur la crise du logement en Suisse
Construire de manière plus dense
Pour les experts immobiliers de Credit Suisse, le problème vient de la loi sur l’aménagement du territoire, qui a été adaptée en 2014. On a voulu densifier – à juste titre. «La mise en œuvre de ce revirement en matière d’aménagement du territoire a toutefois été abordée au mieux sans planification, et au pire avec négligence», explique Fredy Hasenmaile.
Selon le CS, le Conseil fédéral et le Parlement ont négligé d’encourager la densification par des mesures d’accompagnement. «La pénurie de logements qui s’annonce est en quelque sorte faite maison», dénonce l’expert. Le Credit Suisse propose une augmentation du coefficient d’utilisation du sol. Celui-ci définit le taux de construction maximale autorisée sur un terrain. De plus, la limite de hauteur devrait être élevée.
Les chances de parvenir à ces modifications sont faibles. «Tout le monde veut densifier et surélever. Sauf si c’est devant sa propre maison. Soudain, plus personne ne veut en entendre parler!», explique Donato Scognamiglio, chef de la société de conseil immobilier Iazi.
Laisser moins de possibilités d’opposition
La densification est actuellement freinée de plusieurs côtés. Fredy Hasenmaile pointe du doigt les «oppositions abusives». La plupart du temps, il s’agit de la protection des sites, de la législation sur le bruit ou de la protection des espèces.
Rien qu’à Zurich, la construction de plus de 1000 logements est actuellement bloquée en raison de la loi sur le bruit. C’est pourquoi il est important de fixer des priorités. «Il faut se demander si la création de logements n’est pas plus importante que la protection des sites», souligne l’expert immobilier de Credit Suisse.
Selon lui, il faudrait veiller à ce que les possibilités d’opposition ne puissent plus être utilisées de manière abusive. Pour cela, des adaptations des lois sont nécessaires. Même si cela se fait, il faudra, dans le meilleur des cas, plusieurs années avant qu’une différence ne se fasse ressentir.
Encourager les changements d’affectation
Dans les immeubles de bureaux et les bâtiments industriels situés en dehors du centre des villes, le taux de vacance est plus élevé que pour les logements locatifs. Les usines abandonnées ou les hôtels vides pourraient être reconvertis en appartements.
«De telles mesures sont déjà réalisables aujourd’hui», explique l’expert en immobilier Donato Scognamiglio. La condition préalable est une certaine flexibilité dans le changement de zonage. Les zones mixtes devraient être encouragées, en particulier dans les régions urbaines qui s’y prêtent. Cela permet un mélange entre zones commerciales et résidentielles.
Obtenir plus rapidement un permis de construire
Les processus pour l’obtention de permis de construire sont compliqués. Les grands projets d’habitation demandent particulièrement beaucoup de patience. Il s’écoule généralement près d’un an entre la demande et la finalisation du permis. «Le processus doit être simplifié», assène Donato Scognamiglio.
Une saisie numérique des demandes pourrait par exemple accélérer le processus. C’est déjà une réalité à Winterthour dans le canton de Zurich. «Cette mesure pourrait être mise en œuvre assez rapidement», estime Fredy Hasenmaile.
Davantage de coopératives d’habitation
Dans une lettre, l’Association des coopératives d’habitation suisses demande au Conseil fédéral de promouvoir davantage la construction de logements d’utilité publique et bon marché. «L’aide actuelle ne suffit pas pour augmenter rapidement la part de résidences d’utilité publique disponibles», déclare la présidente et conseillère aux Etats bâloise Eva Herzog.
Reste le problème du terrain et du bâtiment qui abriterait ces appartements. Selon Donato Scognamiglio, la solution passe par des conditions-cadres simplifiées pour la construction, et non par des subventions supplémentaires.
Davantage de contrôle des loyers par l’Etat
Le canton de Genève fixe l’augmentation maximale que le bailleur peut exiger pour un logement récemment rénové. En outre, le loyer maximal ne peut pas être augmenté – dépendant la situation – pendant une période pouvant aller jusqu’à dix ans. Un contrôle des loyers similaire a été mis en place dernièrement à Bâle-Ville.
Est-ce un modèle envisageable pour toute la Suisse? Oui, estime la conseillère nationale des Vert-e-s Natalie Imboden. «Ce sont les autorités qui doivent surveiller la situation de plus près. On ne peut pas faire porter toute la responsabilité aux locataires», estime-t-elle. Jusque dans les années 1960, il existait déjà en Suisse un contrôle étatique des loyers. Il pourrait être réintroduit assez rapidement et aurait un effet à court terme.
Mais la question est de savoir quel en serait le résultat. A Genève, malgré les contrôles, les loyers ont explosé au cours des dernières décennies, plus fortement encore qu’en ville de Zurich par exemple. De plus, moins de logements ont été rénovés à Genève que dans d’autres régions – ce qui n’est pas une bonne nouvelle au regard des objectifs climatiques.
Plus de transparence dans les loyers
À Lucerne, depuis fin 2021, le bailleur doit révéler au travers d’un formulaire combien le locataire précédent a payé pour l’appartement. Si la différence est plus importante que ce qui est autorisé, le locataire peut contester le taux d’intérêt. Des règles similaires existent également à Zurich, Zoug ou Fribourg. Une intervention dans ce sens est en suspens au parlement cantonal bernois.
Le Conseil fédéral avait déjà tenté il y a quelques années d’introduire une obligation nationale de faire une telle déclaration. Mais le Parlement ne voulait pas en entendre parler. Entre autres parce que l’expérience montre que même dans les cantons où la somme déboursée par le prédécesseur est connue, très peu de personnes agissent. Malgré tout, l’association des locataires est convaincue que la transparence est au moins, en partie, la solution.