Alain Berset est sur le point de quitter la vie politique suisse, mais Emmanuel Macron ne s’en est pas rendu compte. Au sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui vient de s’achever à Paris, le président de la Confédération n’a pas perdu une miette des échanges entre chefs d’État ou de gouvernement sur l’aide aux pays du sud, et sur les meilleures façons de faire en sorte que les milliards de l’assistance internationale répondent à leurs besoins.
Exit donc, la posture «je ne regrette rien et je m’en vais» qu’Alain Berset avait à Berne mercredi, lors de l’annonce de son départ prochain du Conseil fédéral. «Je crois qu’Emmanuel Macron exerce un vrai leadership et j’ai vraiment trouvé intéressant le dîner de jeudi, et le sommet de ce vendredi, a admis le Fribourgeois. On est sorti des habitudes formelles et des sentiers battus. La clé, c’est ce côté informel qui était aussi là lors du sommet de la Communauté politique européenne à Chisinau (ndlr: Moldavie) le 1er juin.»
Rebattre les cartes financières mondiales
On le savait, mais Alain Berset l’a confirmé à la sortie de cette rencontre destinée à rebattre les cartes du système financier mondial, pour que celui-ci réponde à l’urgence climatique et aux besoins immédiats des pays du sud: Emmanuel Macron reste, à ses yeux, une personnalité à suivre. «Son art, c’est celui de démontrer qu’on peut faire bouger les choses en misant sur les échanges informels. Il y avait beaucoup de préparation en amont pour ce sommet. Mais in fine, Macron s’engage et ça paye.» Un modèle? Le chef du département de l’Intérieur n’emploie pas le mot. Mais l’on sent que ces deux-là pourraient bien, dans le futur, travailler côte à côte: «Il n’improvise rien. Il ne règle pas les questions en étant juste cool. Il s’investit et ça marche.»
Bon mode d’emploi? «On a toujours eu des contacts très amicaux et cordiaux, y compris des échanges très simples par SMS. Nos derniers échanges intenses ont porté sur la crise et le sauvetage de Credit Suisse. Je n’en déduis rien. Je n’en tire pas de conclusions ultimes. Mais le courant passe.» Entendez: la probabilité d’une visite officielle du président Berset à Paris d'ici à la fin 2023 apparaît quasi certaine. «Notre relation avec la France est extrêmement dense et variée. On a surmonté des épreuves. On est en train de progresser à nouveau.»
Et l’annonce de son départ? En a-t-il informé ses homologues français et étrangers? Pas un mot, même si la réponse est évidemment oui. Ce sommet de Paris offrait au Conseiller fédéral sortant une parfaite occasion de soigner d’autres étapes, dans les six prochains mois de son mandat présidentiel, comme la prochaine assemblée générale de l’ONU en septembre ou la COP 2023 qui aura lieu à Dubaï du 28 novembre au 3 décembre.
Parler finances, dette, investissements durables, n’est-ce pas le parfait tremplin pour de futures fonctions internationales? Motus. Mais l’intérêt est là: «Le thème du nouveau pacte financier mondial n’est pas apparu par hasard, explique Alain Berset. Il s’agit de faire correspondre notre aide aux grands enjeux climatiques, énergétiques, mais aussi de nous adapter à la nouvelle donne, marquée par des taux d’intérêt fortement à la hausse. Ce qui nous amène évidemment à reparler de la dette et de sa soutenabilité. Il ne faut pas choisir entre transition énergétique et lutte contre la pauvreté.»
L’Afrique change
Et l’Afrique? Alain Berset a gardé une réelle nostalgie de ses échanges dans le cadre de la francophonie. Il le dit. L’Afrique change. «La Suisse garde vis-à-vis des pays africains l’immense avantage de ne pas être soupçonnée d’avoir un agenda caché. Nous sommes bien placés pour lutter contre le danger que constituerait une montée de l’indifférence des pays du sud à propos de la guerre en Ukraine. C’est un objectif politique primordial.»
Les décisions du sommet de Paris, très techniques, n’étaient finalement pas l’essentiel. Dans la capitale française, Alain Berset a pris une journée de cure diplomatique en forme de cure de jouvence. Le dîner au palais présidentiel de l’Élysée s’est poursuivi jeudi soir jusqu’à minuit. Et le Suisse est parti dans les derniers. Abandonner cette vie-là, à l’évidence, ne sera pas facile.