Bernes vs Bruxelles, saison 2
Quels atouts pour la Suisse face à l'Union européenne?

La décision du Conseil fédéral de reprendre bientôt les négociations formelles avec l'Union européenne pose la question qui fâche: de quelle marge de manœuvre dispose la Suisse?
Publié: 30.03.2023 à 16:43 heures
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Dernière mise à jour: 30.03.2023 à 18:15 heures
Ignzio Cassis a accueilli Maros Sefcovic, le Commissaire européen, lors de sa venue à Fribourg le 15 mars.
Photo: KEYSTONE/PETER SCHNEIDER
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est reparti. Enfin presque. Lors de sa séance du mercredi 29 mars, le Conseil fédéral a donné mandat d’établir les grands axes d’un mandat de négociation avec l’Union européenne (UE). Un quasi-feu vert à une reprise des discussions formelles entre Berne et Bruxelles. Pour aboutir, sous une forme ou sous une autre, à un accord institutionnel qui stabilisera le partenariat Suisse-UE.

Un acte de courage politique après le rejet unilatéral du projet d’accord-cadre le 26 mai 2021? Ou, au contraire, une décision imposée par les circonstances et le rapport de force, de plus en plus favorable à nos voisins européens? Retour sur un action perçue très différemment de part et d’autre du «Röstigraben».

Première réalité: l’ultimatum de Bruxelles a été entendu

Le texte du communiqué du Conseil fédéral publié mercredi distille la thèse d’une Suisse décidée à imposer ses vues à ses partenaires européens. «L’approche par paquet proposée par le Conseil fédéral sert toujours de base aux discussions: il est prévu d’élaborer un paquet complet comprenant de nouveaux accords concrets (notamment sur l’électricité, la sécurité alimentaire et la santé), en lieu et place d’un seul accord à caractère horizontal réglant des questions institutionnelles (telles que la reprise du droit, la surveillance et le règlement des différends), peut-on lire. Chacun des accords relatifs au marché intérieur existants ou nouveaux devrait contenir également des solutions aux questions institutionnelles dans leur domaine respectif. Cette approche permet d’assurer un large équilibre des intérêts et d’améliorer les perspectives de réussite d’éventuelles négociations ultérieures.»

Dans les faits, la souveraineté helvétique devra s’accommoder de compromis si l’on veut obtenir enfin un accord avec Bruxelles. Le calendrier de l’annonce est d’ailleurs révélateur. Lors de sa venue à Fribourg et à Berne, les 15 et 16 mars, c’est un quasi-ultimatum que le Commissaire européen Maros Sefcovic avait lancé à ses interlocuteurs helvétiques. «Si vous voulez un accord, tout cela devra être bouclé avant l’été 2024», a-t-il asséné.

Logique, puisqu’une autre Commission sera désignée à l’issue des élections européennes de mai 2024. Faites le calcul: un mandat de négociation suisse pour la fin juin. Puis une année de négociations en perspective. Nous y sommes. Berne a accepté l’échéance de Bruxelles.

Deuxième réalité: la Suisse ne pouvait plus jouer la montre

Depuis son rejet unilatéral du projet d’accord-cadre avec l’Union européenne le 26 mai 2021, le Conseil fédéral tergiversait. La preuve? Il aura fallu attendre le mois de décembre 2022 pour que le gouvernement rende public son rapport sur l’état actuel des relations Suisse-UE. Un an et demi plus tard!

Pourquoi avoir décidé, ce mercredi, de réenclencher le processus de négociations après des mois de discussion exploratoire menées par la négociatrice suisse Livia Leu? «Nous n’avions plus le choix, explique le professeur Gilbert Casasus, spécialiste des questions européennes. La Suisse était coincée. La volonté de ralentir au maximum ce dossier bilatéral empoisonné sur le plan politique n’était plus tenable. On ne pouvait pas continuer de parler avec Bruxelles en gardant la main sur le frein, alors que la guerre en Ukraine, mais aussi le séisme bancaire du Crédit Suisse rebattent les cartes. La concordance des événements est devenue défavorable. En mai 2021, l’Union européenne sortait groggy de la pandémie de Covid-19. Le Royaume-Uni, version Boris Johnson, tenait tête à Bruxelles.»

La négociatrice suisse Livia Leu avait mené des mois de discussions exploratoires.
Photo: keystone-sda.ch

Changement radical aujourd’hui. «Le 22 mars, Viola Amherd s’est fait vertement interpeller par le secrétaire général de l’OTAN à Bruxelles sur la question de la réexportation des munitions vers l’Ukraine, poursuit Gilbert Casasus. La neutralité suisse est attaquée. La marge de manœuvre s’est restreinte comme une peau de chagrin.»

Troisième réalité: le Conseil fédéral était sous pression

Le gouvernement suisse a cru pouvoir tirer profit de la rupture de 2021 avec l’Union européenne. A l’époque, Berne regardait vers Londres, où Ignazio Cassis s’était rendu en avril 2022, pile un an après le rejet du projet d’accord-cadre. La stratégie de Berne? Profiter de l’après Covid pour renouer des liens bilatéraux avec un certain nombre de pays européens «amis». Jouer les États membres contre la Commission. Une vieille recette contre laquelle les interlocuteurs européens de la Confédération mettaient souvent en garde leurs interlocuteurs helvétiques. «J’ai toujours connu ça avec la Suisse. C’est le vieux réflexe, se souvient un diplomate familier du dossier. Mais deux éléments perturbateurs ont tout changé: l’Ukraine et les sanctions contre la Russie, que le Conseil fédéral a dû décider d’appliquer en urgence, le 28 février 2022; et la débâcle sociale et politique au Royaume-Uni.»

Résultat: le Conseil fédéral s’est retrouvé sans arguments, ou presque, face aux milieux économiques et académiques. Lesquels s’inquiètent depuis deux ans du fossé croissant qui les séparent du lucratif marché européen et des alléchants programmes communautaires, comme Horizon Europe sur la recherche. «C’est la nécessité plus que la volonté qui anime le Conseil fédéral, tranche Gilbert Casasus. La pression s’intensifiait.»

Puis, le coup de grâce est venu de Londres le 26 février, lorsque le gouvernement de Rishi Sunak est finalement rentré dans le rang avec une proposition d’accord sur le fameux protocole nord-irlandais. Dans ce texte, des éléments concernant la Cour de justice européenne peuvent intéresser la Suisse. Mais dans les grandes lignes, la preuve est faite que le Royaume-Uni ne pouvait pas continuer à faire cavalier seul face aux 27.

Quatrième réalité: de toute manière, le peuple tranchera

C’est l’élément décisif que tout le monde a tendance à oublier. Lorsqu’un éventuel accord Suisse-UE sera sous clef, a priori en 2024, il y aura un référendum. La reprise des négociations avec Bruxelles n’est donc qu’une première étape, sur fond d'élections législatives helvétiques du 22 octobre 2023, et d’élections européennes de la fin mai 2024.

A partir de là, que dire? Le plus évident est que la dénomination «accord-cadre» va disparaître. Gilbert Casasus en est persuadé. «Ce terme est inacceptable outre-Sarine, assène-t-il. Ce n’est pas seulement sémantique. La Suisse veut un nouveau paquet de 'bilatérales' parce que les précédents ont marché. Or là, attention, les mots peuvent fâcher.»

Deuxième évidence? «Le contenu des futurs accords sera sans doute à 75% identique à ce qui avait été négocié pour l’accord-cadre, poursuit Gilbert Casasus. Ça me fait penser au projet de Constitution européenne rejeté en France par le référendum de 2005, puis quasiment recopié par le Traité de Lisbonne de 2009… »

Le choc frontal se fera selon lui sur la libre-circulation des travailleurs et les exigences helvétiques en la matière pour protéger les salaires suisses. Mais là, attention. Dans son discours à Fribourg, le Commissaire européen Sefcovic a insisté sur «travail égal, salaire égal». C’est, pour Bruxelles, une question de principe. «Ce n’est pas, comme on le pense en Suisse, une affaire de directive – en l’occurrence, celle de 2004 – que l’on peut interpréter à sa guise», estime Gilbert Casasus.

Autre terrain miné: celui de la reprise «automatique» du droit européen que beaucoup, en Suisse, voient comme une opération de mise sous tutelle juridique. «Ils pensent que l’UE va traiter la Suisse comme une colonie», juge le professeur. Selon ce fin connaisseur de la Suisse allemande, «Nous sommes, de l’autre côté de la Sarine, face à la mentalité du 'réduit' et du 'repli'.»

En résumé: la posture reste défensive, basée sur une perception de valeurs helvétiques en danger. Même si tordre le bras de l’Union européenne s’avère difficile, beaucoup, à Berne, rêvent encore d’y parvenir.

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