Viola Amherd est repartie de Bruxelles, mais la réexportation vers l’Ukraine des munitions suisses occupe toujours les conversations des dirigeants européens. Dès l’ouverture du sommet des chefs d’État ou de gouvernement des 27 pays membres de l’Union, ce jeudi 23 mars, la nécessité de faire pression sur Berne a été admise par tous. La cheffe du département de la Défense était en début de semaine dans la capitale belge, où elle a participé au North Atlantic Council, l’instance suprême de coordination entre les trente pays alliés membre de l’OTAN, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord dont la Confédération est partenaire, au sein de son «partenariat pour la paix».
Une question de survie pour l’armée ukrainienne
«Nous n’allons pas lâcher prise. C’est une question de survie pour l’armée ukrainienne», expliquait à Blick, au téléphone, un diplomate français, juste après l’arrivée à Bruxelles d’Emmanuel Macron. Le locataire de l’Élysée s'est rendu à ce sommet européen dans un contexte difficile, alors qu’une foule de plusieurs centaines de milliers de manifestants défilait à Paris pour une neuvième journée d’action et de grève contre la réforme des retraites.
Macron affaibli? Oublieux de la Suisse où l’on espère qu’il se rendra tôt ou tard, par exemple pour le 70ᵉ anniversaire du CERN, en septembre 2024? «Cette question des munitions est centrale dans l’aide à l’Ukraine, poursuit notre interlocuteur. Vous pensez que nous allons faire tous ces efforts et fermer les yeux sur la duplicité helvétique?»
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Les efforts européens en question ont été officialisés cette semaine. L’Union européenne a conclu un accord pour envoyer à l’Ukraine un million de munitions au cours des 12 prochains mois. Les 27 pays membres feront, pour y parvenir, des dons provenant de leurs propres stocks et achèteront conjointement de nouveaux obus pour l’Ukraine. Il n’est pas exclu que des fonds européens soient utilisés pour acheter des missiles afin de les livrer à Kiev. Le plan présenté aux dirigeants des 27 et approuvé ce jeudi prévoit de «fournir ces munitions le plus rapidement possible» avant le mois d’octobre.
Les réexportations d’armes évoquées par tous
Impossible pour la Suisse, dans ces conditions, de ne pas subir les conséquences de cette mobilisation. «Tout le monde a évoqué les réexportations d’armes avec la conseillère fédérale. La Suisse ne peut pas continuer de profiter de l’architecture sécuritaire en Europe sans contribuer à celle-ci en retour», confirme une autre source diplomatique.
C’était la première fois qu’un ministre suisse de la Défense participait au Conseil de l’Atlantique Nord. Le secrétaire général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, n’a donc pas raté l’occasion d’enfoncer le clou. «Naturellement, nous demandons à tous nos partenaires, y compris la Suisse, qu’ils autorisent au moins la réexportation d’armes et de munitions vers l’Ukraine, a-t-il déclaré à la télévision alémanique SRF. Il ne s’agit pas ici de neutralité, mais de défendre la charte des Nations unies.»
Un sommet européen décisif
Les conclusions du sommet européen de ce 23 mars ne mentionnent finalement pas la Suisse dans son chapitre consacré aux munitions. Le risque existait, vu l’importance du plan d’achat d’obus et, potentiellement, de missiles pour l’UE.
C’est la première fois que la «facilité européenne pour la paix», un mécanisme budgétaire communautaire, est activée pour acheter conjointement des armes pour un pays en guerre. Ce plan répond à la crainte que Kiev ne soit à court d’obus pour repousser l’assaut de l’armée russe. Les autorités ukrainiennes estiment avoir besoin d’au moins un million d’obus de 155 millimètres pour se réapprovisionner et maintenir leur niveau de défense, un chiffre qui dépasse de loin la capacité de production annuelle des pays de l’Union. Résultat: un milliard d’euros va être déboursé pour payer les livraisons des pays en mesure de donner immédiatement des munitions. Un autre milliard d’euros sera dévolu aux futurs achats conjoints.
Pas de fin rapide de la guerre selon Viola Amherd
«Nous ne nous attendons pas à une fin rapide de la guerre», a reconnu Viola Amherd à Bruxelles. Auparavant, lors de ses échanges avec la secrétaire générale de l’OTAN, la conseillère fédérale avait réaffirmé la volonté de l’armée suisse de renforcer son interopérabilité avec les troupes de l’Alliance, de poursuivre des exercices en commun et de disposer d’officiers de liaison à l’État-major de l’OTAN, ainsi qu’au sein de son centre de cyberdéfense basé en Estonie. L’ambassadrice des États-Unis à l’OTAN, Julianne Smith, a selon nos informations vertement averti la Suisse de possibles «conséquences» si la Confédération continuait à refuser d’autoriser la réexportation de munitions.
L’Autriche, pays neutre qui a jusque-là refusé d’exporter directement des obus vers l’Ukraine, fait partie des dix-huit États qui ont signé, ce lundi 20 mars, l’accord de projet de l’Agence européenne de défense (AED) pour l’acquisition en commun de munitions.