Quelques chiffres valent mieux que de longs débats empoisonnés. Place donc aux pourcentages, et à l’enquête d’opinion que dévoile ce vendredi 2 décembre la branche Suisse du Mouvement Européen, pile trente ans après le rejet populaire de l’entrée de la Confédération dans l’Espace économique européen (EEE), le 6 décembre 1992.
Selon ce sondage réalisé sur un échantillon d’un millier d’électeurs helvétiques, 65% des personnes interrogées campent sur une «attitude de principe plutôt négative» sur une éventuelle adhésion à l’Union. De quoi décourager ceux qui aimeraient la remettre sur les rails.
Il y a trente ans, 50,3% des Suisses se prononçaient contre l’EEE
32% sont «pour ou plutôt pour» et seuls 14% y sont «réellement favorables». Avouons-le: l’idée d’une adhésion à l’UE apparaît impossible à faire renaître. Le gouvernement helvétique a, pour rappel, officiellement retiré le 28 juillet 2016 sa demande d’adhésion à l’UE, formulée dans une lettre expédiée à Bruxelles par le Conseil fédéral le 20 mai 1992.
Ce courrier, conservé dans les archives communautaires, avait, il y a trois décennies, semé la confusion dans le débat sur l’EEE. Christoph Blocher et l’UDC s’étaient engouffrés dans la brèche avec succès, accusant le gouvernement de vouloir, en réalité, faire adhérer la Suisse à la communauté européenne de l’époque, composée alors de douze pays membres. Au final, 50,3% des Suisses et une grande majorité des cantons s’étaient prononcés contre l’adhésion à l’EEE.
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Or là réside toutefois l’autre grande leçon de ce sondage, dans laquelle le Mouvement européen voit une lueur d’espoir, alors que les négociations bilatérales entre Berne et Bruxelles demeurent au point mort. Malgré le rejet populaire persistant d’une adhésion à l’Union, 89% des sondés estiment «plutôt très importantes» les relations de la Confédération avec l’Union européenne (UE). Le sujet arrive en tête de leurs préoccupations internationales, devant le fait, pour la Suisse, de conserver une «action aussi autonome et neutre que possible» (74%). La preuve est donc faite qu’une nette majorité de citoyens helvétiques a conscience de l’importance de nos relations avec ce grand marché de 27 pays membres et de 450 millions d’habitants qui nous entoure.
71% des électeurs suisses aujourd’hui en faveur de l’EEE
Plus parlant encore, dans les cinq à quinze prochaines années, 71% des électeurs suisses interrogés se disent prêts à envisager une adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen, ce club périphérique à l’UE rejeté en 1992 et composé aujourd’hui de trois pays: le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande. 71%! Soit près des deux-tiers des votants.
«C’est un signe plus que positif, juge Chantal Tauxe, vice-présidente du Mouvement européen qui dévoile ce vendredi 2 décembre à Berne l’intégralité des résultats de cette enquête. L’Espace économique européen fonctionne. Il a démontré son efficacité pour ses pays membres. Il leur assure une relation stable avec l’Union. Ne faut-il pas reposer la question?»
Le tunnel après le rejet du projet d’accord-cadre
On connaît l’état du débat européen en Suisse. Depuis le rejet par le Conseil fédéral du projet d’accord-cadre institutionnel avec l’UE, le 26 mai 2021, ce sujet politique majeur est frigorifié. Pour l’heure, les lumières dans le tunnel restent faibles et le délitement des accords bilatéraux, négociés après la victoire du «Non» le 6 décembre 1992, reste notre horizon. La secrétaire d’Etat Livia Leu, de nouveau en visite à Bruxelles à la mi-novembre, a noté des signes «positifs», mais ces pourparlers exploratoires restent pour l’heure au point mort.
Alors? Trois chiffres montrent que la partie politique demeure risquée, mais jouable: sur les sujets internationaux «prioritaires», seul le rapprochement avec l’UE recueille une majorité relative de 50%. Comment concilier les 38% de Suisses qui souhaitent des relations stables avec l’UE, et les 35% favorables à une Suisse «aussi neutre et indépendante que possible» selon le sondage?
«Il faut un réveil politique que cette enquête rend possible, poursuit Chantal Tauxe. Cela veut dire qu’il faut du courage.» Une autre personnalité suisse plaide depuis des années pour oser remettre l’Espace économique européen sur le tapis: le magistrat Carl Baudenbacher, qui a représenté le Liechtenstein à la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange (AELE) basée à Luxembourg et compétente pour les trois pays de l’EEE. «Il y a là des institutions efficaces. Osons les regarder en face», nous a-t-il plusieurs fois répété.
Réinventer une voie bilatérale
Possible? Tous niveaux de formation confondus, il existe bien, selon cette enquête commandée par le Mouvement européen, une «majorité absolue» pour soutenir l’adhésion à l’EEE (entre 63% et 73% sont «plutôt pour» ou «certainement pour»). «Notre sondage montre qu’il existe une majorité pour l’Espace économique européen (EEE) dans tous les partis sauf l’UDC, poursuit Chantal Tauxe. Ce socle élevé est identique à celui qui soutenait les accords bilatéraux. Les Suisses ont intégré et compris que la voie bilatérale, ça ne marche plus.»
De fait: 88% des sympathisants socialistes se disent «pour» ou «certainement pour», 87% chez les Verts Libéraux, 87% pour les centristes, 78% chez les Verts, 80% pour le PLR et 70% pour les sans-partis. Seul l’UDC conserve une majorité absolue, hostile à 51% à l’EEE. «L’Espace économique européen est vendable, complète Chantal Tauxe. 71%, c’est une bonne base pour convaincre. Elle peut rallier ceux qui veulent l’adhésion et ceux qui n’en veulent pas. Il résout les problèmes d’accès au marché européen, et de coopération en matière de recherche et d’énergie. La Norvège et l’Islande ne s’en plaignent pas, ni le Liechtenstein!»
Reste une équation paralysante: l’EEE, qui impose une reprise encore plus systématique de la législation communautaire à ses trois pays membres, reste tout aussi compliqué à expliquer à l’opinion qu’il y a trente ans. Le Royaume-Uni, qui sort d’un divorce chaotique avec l’Union, ne veut d’ailleurs pas en entendre parler.
Imaginer ressortir l'EEE de sa boîte pour la Suisse, trois décennies plus tard, revient à s’aventurer courageusement sur un terrain très miné.