La première lumière dans le tunnel des relations entre la Suisse et l’Union européenne vient de s’allumer sur les rivages de l’Irlande du Nord et dans les salons du palais royal de Windsor. Encore lointaine et timide, cette lumière pourrait toutefois éclairer d’un jour nouveau la rencontre attendue le 15 mars prochain entre le Conseiller fédéral Ignazio Cassis et le Commissaire européen Maros Sefcovic. Le négociateur en chef de la Commission est invité par le Centre d’études européennes de l’université de Fribourg pour la 47e «journée de l’Europe».
Un parallèle entre Belfast et Berne? Non, mais…
Impossible, évidemment, de dresser un parallèle immédiat entre l’accord dit «cadre de Windsor» trouvé entre Bruxelles et Londres, lundi 27 février, au sujet du protocole nord-irlandais. Celui-là même que le gouvernement britannique refusait d’appliquer dans sa version initiale, pourtant conjointement approuvée et fixée dans l’accord final de retrait du Royaume-Uni du 24 janvier 2020.
Après deux années de face-à-face acrimonieux entre l'UE et le Royaume-Uni, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le nouveau Premier ministre britannique, Rishi Sunak, ont finalement surmonté leurs différences. Or, fait important pour Berne: celles-ci portaient en partie sur l’exigence du Parlement nord-irlandais de conserver un droit de veto sur l’application de la législation communautaire, mise en œuvre dans cette partie du territoire du Royaume-Uni qui demeure dans le marché intérieur de l’Union.
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Très précisément, la fameuse Cour de justice de l’Union européenne, basée à Luxembourg, n’interviendra qu’en dernier recours. Si au moins trente députés (sur 90) du Parlement nord-irlandais s’opposent à une législation communautaire susceptible de modifier substantiellement la vie quotidienne avec des motifs «impérieux», ils activeront un frein qui suspendra son application. L’Union, en riposte, pourra prendre des mesures de rétorsion, voire suspendre l’ensemble des procédures. Une négociation s’ouvrira alors pour trouver une possible solution «au cas par cas», dont les juges de Luxembourg demeureront les garants de la compatibilité avec le droit communautaire.
Le parallèle avec le cas helvétique pourrait être le suivant: si un désaccord est exprimé par un nombre donné de parlementaires suisses à une directive (qui devrait en théorie être reprise dans la législation fédérale), celle-ci serait donc «gelée» dans l’attente d’une solution ad hoc.
Pragmatisme de la Commission
Ce qu’il faut retenir du protocole nord-irlandais version 2023 est que la Commission européenne a fait preuve de pragmatisme. Elle n’a pas cédé sur le fond, puisque la Cour de justice de l’Union continuera de s’assurer que le droit de l’UE est bien respecté sur ce morceau très particulier du marché intérieur qu’est l’Irlande du Nord. Mais le fait de consentir un veto au Parlement nord-irlandais de Stormont est symbolique en matière de souveraineté.
Autre concession de Bruxelles: les produits britanniques qui entreront en Irlande du Nord avec pour seul but d’être consommés ou utilisés sur place (sans entrer dans le marché européen) bénéficieront d’un accès facilité et d’une dispense de certaines normes. En contrepartie, les autorités douanières nord-irlandaises fourniront à leurs homologues européens un accès en temps réel à leurs données.
Pas un exemple pour la Suisse – vraiment?
Interrogés par les médias suisses à Bruxelles, les familiers européens du dossier helvétique ont aussitôt démenti que cette marge de manœuvre concédée aux Britanniques puisse servir d’exemple pour la Suisse. Elle est «exclusivement» pour l’Irlande du Nord. Logique. Pour l’heure, la balle est de toute façon dans le camp du Conseil fédéral, qui a rejeté unilatéralement le 26 mai 2021 le projet d’accord institutionnel avec l’Union européenne, et qui, depuis lors, a juste accepté de reprendre des pourparlers «exploratoires».
Les juges européens auront le dernier mot selon Ursula von der Leyen:
La flexibilité sur le protocole nord-irlandais pourrait en revanche aider Berne et Bruxelles à s’entendre sur une nouvelle feuille de route conjointe pour une reprise formelle des négociations bilatérales.
Ce document, dont on connaît plus ou moins les contours, pourrait être rendu public en mai-juin prochain. Il dresserait la liste des sujets susceptibles de faire l’objet de nouveaux accords bilatéraux comme la santé, la santé vétérinaire ou l’électricité. Il réaffirmerait l’exigence communautaire d’une application helvétique de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. La Commission européenne considère en effet que ce texte «constitue intégralement un développement de la libre circulation des personnes et qu’il doit dès lors être repris par la Suisse», ce que le Conseil fédéral refuse.
Une dynamique positive
L’autre point à retenir dans l’accord survenu sur le protocole nord-irlandais est la dynamique positive qu’il entraîne. Aussitôt, la Commission européenne a fait savoir que Bruxelles et Londres vont «maintenant aller trés vite» pour réactiver la participation du Royaume-Uni dans le programme Horizon Europe (qui était prévue par l’accord sur le Brexit, mais suspendue) qui fédère les financements communautaires à la recherche. «Le feu vert politique est là, ce n’est plus qu’une question de procédures», explique-t-on désormais à Bruxelles.
Exactement ce que Berne aimerait entendre de ses interlocuteurs communautaires. Mais il faudrait d’abord, pour cela, reprendre des pourparlers formels. Et envisager des concessions mutuelles.