La neutralité suisse ne va toujours pas de soi dans une Europe en guerre. Personne, à la Conférence sur la sécurité de Munich, n’a dénoncé le fait que la Confédération reste neutre dans le conflit en Ukraine, à quelques jours du premier anniversaire de son déclenchement, le 24 février.
Le chancelier allemand Olaf Scholz a d’ailleurs eu l’élégance, vendredi, de ne pas citer le refus de Berne de réexporter des munitions vers l’Ukraine dans son discours d’ouverture centré sur la nécessité, pour la République fédérale, de rebâtir une industrie d’armement lourd.
Munitions et parlement suisse
Admettre cette neutralité et ses conséquences pour les voisins et alliés européens de la Confédération est en revanche une autre affaire. «J’ai eu des contacts ici qui démontrent que l’on comprend la neutralité suisse, a expliqué Ignazio Cassis à Blick. Mais je dois à chaque fois rappeler à mes interlocuteurs la situation dans laquelle nous sommes. La question des munitions est en ce moment même débattue jour et nuit au Parlement suisse. Dans ces conditions, le Conseil fédéral n’a pas d’espace de manœuvre. C’est au parlement que cela se joue.»
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Neutralité? La définition-même du mot a radicalement changé en un an. Lors de la précédente Conférence sur la sécurité de Munich, en février 2022, la Suisse neutre n’était pas seule. La Finlande, la Suède, l’Autriche et l’Irlande campaient dans le même groupe de pays désireux de ne pas prendre part à un conflit armé et à rester à distance de cette alliance militaire occidentale qu’est l’OTAN.
Changement complet de situation depuis l’ouverture de cette réunion bavaroise, de loin le plus important forum européen sur la sécurité. Le président finlandais Sauli Niinisto est intervenu ce samedi matin en séance plénière, devant la vice-présidente américaine Kamala Harris, pour défendre l’intégration de son pays dans l’Alliance atlantique. «Toute l’Europe est en train de se réarmer. C’est un fait. Jamais ma génération n’aurait pensé vivre ça. Cela déstabilise tout», poursuit Ignazio Cassis.
Les ex-pays neutres
Le chef du DFAE a échangé, à Munich, avec les dirigeants de ces «ex-pays neutres» scandinaves, devenus alliés militaires au sein de l’OTAN, qui comptera avec eux 32 pays membres: «Le cas de la Suède, avec laquelle nous avons souvent partagé des missions, est très intéressant pour nous, admet-il. On doit regarder la neutralité telle qu’elle est. Il y a des choses à apprendre de ces pays. Je le redis: ça nous intéresse beaucoup.»
Car comment se positionner comme pays neutre au service du droit international dans une Europe où la Russie a, selon le conseiller fédéral, «violé massivement» celui-ci? Exemple: la non-invitation de représentants russes à la Conférence de Munich. «Je n’organise pas cette conférence», botte en touche le conseiller fédéral quand on lui demande son avis, alors que le convoi d’imposantes voitures noires du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken s’arrête devant l’hôtel Bayerishe Hof.
La Communauté politique européenne
Une porte est ouverte pour la Confédération: celle de la Communauté politique européenne (CPE), ce forum d’une quarantaine de pays autour de l’Union européenne lancé le 6 octobre 2022 à Prague, pour lequel Emmanuel Macron a de nouveau plaidé vendredi dans son discours à Munich.
La CPE peut-elle offrir demain à la Russie, à l’Ukraine et aux autres pays européens un espace de coopération? «La Suisse est engagée dans ce processus de la CPE. Nous allons tout faire pour qu’elle avance», a plaidé Ignazio Cassis, sans évoquer dans le détail le prochain sommet prévu le 1er juin à Chisinau, en Moldavie. Rien, non plus, sur la possibilité pour la Suisse d’organiser l’une des prochaines rencontres de ce forum.