Mettre de côté la guerre, les tirs d’artillerie, les tranchées et les dizaines de milliers de morts et de blessés. Reprendre enfin le dialogue. Reparler de paix. À la Conférence annuelle sur la sécurité de Munich, qui s’ouvre ce vendredi 17 février, les diplomates présents en rêvent. Tous sont là, ou presque: Européens, Américains, Chinois, mais aussi ministres et ambassadeurs des pays du «Sud global», comme on dit aujourd’hui. Tous circulent dans les couloirs ultra-sécurisés du Bayerischer Hof, le palace munichois où se tient cette conférence très attendue.
Tous? Non: les Russes sont absents. Aucun représentant de la Fédération de Russie à l'horizon. Une absence qui ressemble à une porte qui claque. Des invitations ont toujours été adressées les années précédentes au Kremlin par les organisateurs, sauf pour cette édition, compte tenu de la guerre en cours.
Les émissaires en parlent sans filtre
Cette porte qui claque, les diplomates présents à Munich en parlent aujourd’hui sans les précautions d’usage, dans leur métier fait de nuances, de compromis et de mots destinés à ne fâcher personne. «C’est fini, le temps de la diplomatie est aujourd’hui révolu. Poutine est enfermé dans son rêve impérial», assène un ancien ambassadeur français. «Négocier, nous y sommes tous prêts. Mais quoi? Avec qui? Moscou veut la reddition de l’Ukraine. Ça, ce n’est pas une base de négociation», poursuit un de ses collègues allemands.
Ce vendredi 17 février, les interventions du Chancelier, Olaf Scholz, et du président français, Emmanuel Macron, sont très attendues. Ouvriront-ils une fenêtre? Proposeront-ils, comme Macron l’a fait plusieurs fois dans le passé, de réfléchir à de futures garanties de sécurité pour la Russie? Il suffit d’utiliser ces mots, à Munich, pour voir les visages se fermer. Pas parce que l’idée de «garanties» choque, mais parce que personne ne sait à quoi celles-ci pourraient ressembler face aux dévastations d’une année de guerre et à la dérive destructrice de Vladimir Poutine.
Le retour de la paix arrangerait tout le monde
La paix. La diplomatie. La négociation. Dans la métropole bavaroise, les mots reviennent dans les discussions, y compris en marge des tables rondes organisées sur le préoccupant fossé Nord-Sud, sur les problèmes de munitions rencontrés par les alliés de l’Ukraine, ou sur la nouvelle géostratégie de l’énergie. Logique. Le retour de la paix arrangerait tout le monde.
Mais comment? Aucun émissaire russe n’a, encore une fois, fait le déplacement à Munich. Du côté de l’Union européenne, l’heure est à l’adoption – sans doute d’ici au 24 février qui marquera l’an 1 de la guerre – d’un dixième paquet de sanctions contre la Russie. La Suisse, représentée à la conférence de Munich par son ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, ne parvient même plus à faire entendre la voix de sa neutralité.
Un monde unipolaire rejeté par Moscou
C’est pourtant ici, dans ce même hôtel Bayerischer Hof, que Vladimir Poutine avait en février 2007 mis en garde les Occidentaux et l’OTAN. «Qu’est-ce qu’un monde unipolaire? C’est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force, un seul centre de décision. C’est le monde d’un unique maître, d’un unique souverain», avait-il tonné dans le grand auditorium, où plusieurs centaines de dirigeants politiques, d’officiers supérieurs et d’experts se sont retrouvés ce vendredi. Poutine avait dégainé: «Il me semble évident que l’élargissement de l’OTAN n’a rien à voir avec la modernisation de l’alliance ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé.»
Retrouvez le discours de 2007 de Poutine à Munich:
Alors, pourquoi ne pas saisir l’occasion de revenir ici même envisager une possible cessation des hostilités? «On aurait pu l’imaginer s’il l’avait emporté sur le terrain, s’il était victorieux en Ukraine, mais ce n’est pas le cas, assène, dans la salle de presse, un colonel américain basé à Stuttgart. Aujourd’hui, Poutine est toujours à la recherche d’un succès militaire. Il n’acceptera aucune négociation tant qu’il ne pourra pas dire à son peuple: nous avons gagné.»
«Monter en puissance sur l’aide militaire à l’Ukraine»
Un diplomate désespéré ou désabusé ressemble à ça: à cet ambassadeur calé dans un fauteuil, au fond du Town Hall, l’une des salles de la Conférence, en train d’échanger avec Charles Michel, président du Conseil européen (l’instance représentative des 27 États membres). «Franchement, qu’avons-nous à dire de plus ici?, se demande-t-il. On connaît le rapport de force, le besoin de munitions, l’amoncellement des morts. Zelensky vient de redire à la BBC que l’Ukraine n’acceptera pas de céder de territoires. Poutine laisse la milice Wagner commettre des crimes de guerre.»
Comment les citoyens d'un pays perçoivent les autres nations:
Charles Michel évoque alors son entretien donné à «Libération» voici quelques jours dans lequel il recommande de «monter en puissance sur l’aide militaire à l’Ukraine». Devant lui, le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, baisse la tête, et se prend le visage dans ses mains. Ses paroles, ensuite, concernent la crise alimentaire sur son continent. Il dénonce «cette guerre que les Occidentaux exportent et ne font rien pour arrêter». Silence dans la salle.
On l’a compris: à Munich, personne ne sait aujourd’hui comment stopper le conflit qui fait rage depuis un an en Ukraine.