Impressionner militairement Moscou. Ne laisser aucun doute à Vladimir Poutine sur la détermination des trente pays membres de l’OTAN à activer l’article 5 de défense collective, si l’un d’eux est l’objet d’une frappe russe. Alors que l’attention médiatique internationale se focalise sur les annonces de livraison prochaine de blindés lourds à l’Ukraine – 14 Léopard allemands, 31 M1 Abrams américains, une douzaine de chars britanniques Challenger et 60 blindés russes modernisés livrés par la Pologne – et maintenant sur les demandes ukrainiennes d'avions de chasse, une autre priorité est mise en œuvre par l’Alliance atlantique: le renforcement de ses bases situées à proximité de l’Ukraine.
Objectif: fortifier au maximum le territoire de la plus puissante coalition militaire au monde. «Notre forteresse OTAN doit apparaître imprenable et intouchable», évoquait ce vendredi 27 janvier un responsable de l’Alliance lors d’un briefing à distance avec des journalistes basés à Bruxelles, où se trouve son siège.
La forteresse et ses gardiens
Bienvenue dans la forteresse OTAN, dont les gardiens sont aujourd’hui l’une des unités d’élite de l’armée américaine. Depuis cet été, 4000 soldats de la 101e division parachutiste, la fameuse 101st Airborne qui a combattu sur les points les plus chauds d’Irak, sont en alerte permanente sur la base aérienne roumaine Mihaïl Kogalniceanu, à proximité du port de Constanta sur la mer Noire. Ils s’ajoutent aux 12'000 soldats américains actuellement basés dans l’ouest de la Pologne.
La Roumanie est l’épicentre du groupement tactique multinational de l’OTAN actuellement dirigé par la France, qui y déploie depuis décembre dernier à Cincu, au pied des Carpates, un escadron blindé de chars Leclerc, ce tank lourd que Paris refuse pour l’heure de livrer à l’Ukraine. Un camp est en construction, destiné à abriter au moins un millier de soldats français pendant quatre ou cinq ans.
Sept autres groupements tactiques de l’OTAN sont en alerte maximale en Estonie, en Lituanie, en Lettonie, en Bulgarie, en Hongrie, en Slovaquie et en Pologne. S’y ajoute la Force de réaction rapide de l’Alliance, actuellement organisée autour de la 37e brigade allemande de Panzergrenadiers. Elle comporte 11'500 soldats originaires de neuf pays, sous commandement allemand depuis le 1er janvier 2023.
Plus significatif encore: le déploiement d’avions de surveillance radar Awacs en Roumanie. Les premiers sont arrivés dans le pays le 17 janvier, avec pour mission de cartographier le plus précisément possible les mouvements de troupes russes sur le front, à moins d’un mois du premier anniversaire de l’agression déclenchée par le Kremlin contre l’Ukraine le 24 février.
Le fait de stationner en permanence au moins un Awacs en Roumanie s’intègre dans un dispositif plus large de verrouillage du ciel aux frontières ukrainiennes: «En réponse à la guerre menée par la Russie en Ukraine, l’OTAN a renforcé sa présence aérienne en Europe orientale en y ajoutant des chasseurs, des avions de surveillance et des avions-citernes, indique un communiqué de l’OTAN. Depuis février 2022, nos Awacs effectuent régulièrement des patrouilles au-dessus de l’Europe de l’Est et de la région de la mer Baltique pour suivre les avions de guerre russes.»
La Russie et le scénario du pire
Ce déploiement est-il de nature à décourager toute incursion ou attaque russe? Oui, selon la majorité des experts, qui citent la rapidité avec laquelle Moscou a, en novembre, désamorcé la crise causée par la chute d’un missile sur le sol polonais.
Mais attention: l’option du pire ne peut pas être écartée. Elle a été détaillée en novembre 2022 par une note de l’institut américain Cato, spécialisé dans les questions de défense. Selon ses auteurs, la probabilité d’une attaque classique des forces russes est très réduite sur le territoire de l’OTAN. Mais une frappe nucléaire tactique ne peut être écartée. «Franchir le seuil nucléaire serait un geste monumental et extrêmement dangereux, et Poutine le comprend certainement, explique cette note. Néanmoins, s’il conclut que la seule alternative est d’accepter un règlement humiliant, imposé par l’OTAN, qui mettrait en péril son maintien au pouvoir, il serait insensé de penser qu’il ne prendra jamais ce risque.»
Le plus intéressant, dans cette note américaine, est qu’elle insiste sur la vulnérabilité de l’Alliance à une frappe nucléaire tactique. «L’utilisation d’armes nucléaires déclencherait une confrontation entre Moscou et Washington rivalisant avec celle de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962. Mais les réponses possibles de l’OTAN à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques par la Russie sont résolument limitées, à moins que les États-Unis ne veuillent prendre le risque d’un Armageddon.» Sous-entendu: la forteresse OTAN, aussi impressionnante soit-elle avec ses 3,3 millions de soldats actifs dans les trente pays de l’Alliance, n’est pas une assurance tous risques. Elle ne peut pas le devenir, quelle que soit l’importance des renforts.
Une forteresse imprenable, mais cernée
Autre réalité: plus elle se renforce, plus elle édifie des murs militaires imprenables à coups de défense antiaérienne et d’unités déployées au sol dans les bases frontalières de l’Ukraine, plus l'OTAN est cernée. «Nous avons créé une forteresse OTAN, qui apparaît inévitablement suspecte ou hostile à quiconque se trouve à l’extérieur de ses portes, analysait en fin d’année l’éditorialiste américain Jeet Heer. À leur tour, de nombreux pays non occidentaux se montrent réticents à accepter la présentation occidentale de l’agression russe comme une violation impardonnable du droit international.»
Gare, donc, à ce que cette surenchère protectrice contre la Russie ne se transforme pas en irrémédiable barrière entre les pays de l’OTAN et leurs alliés… et le reste du monde. C’est l’inquiétude de l’universitaire français Bertrand Badie, co-auteur d’un «livre bleu» tout juste publié sur la France et les Nations Unies: «Plus l’Occident se recroqueville, dans ses bases militaires ou dans des coalitions au sein des institutions multilatérales, plus il attise les logiques de domination. Et plus le dérèglement du système international qui avait jusque-là bien servi la paix se retrouve accru.»
À lire: Livre bleu «La France et les Nations Unies». Téléchargeable sur le site www.afnu.fr