Une autre guerre bat son plein. Elle n’oppose pas cette fois les trente pays membres de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) à un adversaire extérieur. Il ne s’agit pas de la guerre en Ukraine, mais d’une conséquence directe de celle-ci et de l’agression russe déclenchée le 24 février 2022. Cette guerre est politique et diplomatique. Elle oppose la Suède, ex-pays neutre dont la candidature à l’OTAN été acceptée au dernier sommet des dirigeants de l’Alliance en juin 2022 à Madrid (Espagne), à la Turquie, membre depuis 1952. Et si le calme ne revient pas entre Stockholm et Ankara, ce conflit politico-diplomatique pourrait obliger l’OTAN à décaler l’intégration en son sein des deux ex-pays neutres scandinaves, la Suède et la Finlande, pivots dans la défense du flanc nord de l’Europe, en cas d’hostilités directes avec la Russie.
La question du PKK
La raison de cette guerre de communiqués, de manifestations et de menaces diplomatiques entre la Suède et la Turquie est connue. Pour le gouvernement d’Ankara et pour le président Turc Recep Tayyip Erdogan, les autorités suédoises sont complices de l’opposition armée kurde. Motif: la présence sur le sol suédois d’une diaspora kurde forte d’environ 70'000 personnes, connue pour abriter (ou avoir abrité) des activistes du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan pourtant considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement suédois, mais aussi par les Etats-Unis et par l’Union européenne.
En décembre, la Suède a même expulsé vers la Turquie un membre présumé de cette formation, provoquant de vives protestations des organisations de défense des droits de l’homme. Mais cela n’a pas suffi. Le président turc menace de mettre son veto à l’entrée de Stockholm dans l’OTAN – «La Suède ne doit pas s’attendre à recevoir notre soutien pour l’Otan», a-t-il exprimé le 23 janvier, suite à une manifestation devant l’ambassade turque à Stockholm, durant laquelle un militant d’extrême droite a brûlé un exemplaire du Coran.
Le cas de la Turquie au sein de l’OTAN devient donc encore plus problématique. Un premier «poison» turc est l’état désastreux des relations entre ce pays et la Grèce, son voisin entré dans l’OTAN la même année. Depuis plusieurs années, une quasi-guerre froide oppose les deux pays, en butte sur deux sujets explosifs: les circuits d’immigration clandestine en provenance de Turquie vers l’Union européenne, et les explorations pétrolières en mer Égée menées par la Turquie dans des zones maritimes disputées. Autre sujet de tensions au sein de l’Alliance, dont la Turquie est le membre le plus oriental: la non-application des sanctions financières et économiques occidentales contre la Russie par le gouvernement d’Ankara, qui se retrouve dans la position très lucrative de l’intermédiaire entre l’Alliance, l’Ukraine et la Russie.
La Turquie est revenue sur sa parole
Or voilà qu’une étape supplémentaire est désormais franchie, car la Turquie est, en plus, revenue sur sa parole. En juin 2022, le véto de fait que confère à tout membre de l’Otan l’article 10 de la charte de l’Alliance a été levé. Le président Erdogan s’était engagé, devant ses pairs, à trouver une solution. Or depuis, l’affaire s’est envenimée. Les élections législatives turques, cruciales pour la préservation de son pouvoir, auront finalement lieu le 14 mai, un an pile après le sommet de l’OTAN à Madrid.
Et d’ici là, rien ne laisse à penser qu’Erdogan pourrait abandonner le droit que lui donne l’article 10 ainsi libellé: «Les parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au Traité tout autre Etat européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord». Le mot-clef est «unanime». Sans un accord des trente pays membres, rien ne se fera. La Suède restera dans l’antichambre de l’Alliance que la Finlande, en revanche, pourrait intégrer dès maintenant.
Une guerre par procuration
Quelles conséquences pour l’OTAN, aujourd’hui plongé dans une guerre par procuration avec la Russie de Vladimir Poutine? Aucune, du point de vue du soutien militaire apporté à l’Ukraine. La Suède et la Finlande ont ainsi toutes deux appuyé la décision de l’Union européenne prise, ce lundi 23 janvier, de débloquer 500 millions d’euros supplémentaires pour la fourniture d’armes à ce pays assiégé.
Du point de vue de la neutralité, aucun changement non plus. La Russie a depuis un an pris acte de l’abandon de celle-ci par les autorités de Stockholm et d’Helsinki. En juin 2022, suite à la décision des deux pays d’adhérer à l’OTAN, Vladimir Poutine avait estimé inévitable que les relations de la Russie avec ces deux pays nordiques se dégradent.
«Tout allait bien entre nous, mais désormais, il pourrait y avoir quelques tensions, il y en aura certainement» avait-il commenté. Les derniers pays neutres européens demeurent donc, à ce stade l’Irlande, Malte, l’Autriche et bien sûr… la Suisse. Une neutralité que Moscou ne reconnaît plus de la même manière vu que tous ces pays, Suisse inclue, appliquent les sanctions décrétées par l’Union européenne contre la Russie.
Conséquences géopolitiques
La conséquence est géopolitique. L’Alliance atlantique, qui dispose sur place d’une de ses plus importantes bases aérienne à Incirlik, peut-elle encore faire confiance à la Turquie face à son adversaire extérieur le plus menaçant? Autre complication: les relations entre l’actuelle administration américaine et le président Erdogan sont détériorées. A plusieurs reprises, le président américain Joe Biden a mis en garde son homologue turc. Le ministre des Affaires étrangères turc était à Washington à la mi-janvier. Pas sûr, toutefois, que ce malaise puisse être dissipé avant le prochain sommet de l’Alliance atlantique à Vilnius (Lituanie) les 11 et 12 juillet 2023.
Pour l’heure, la Turquie tient d’autant plus l’OTAN en otage qu’elle demeure un canal possible de médiation. Si l’autre guerre, celle qui a lieu en Ukraine, venait à laisser une maigre chance pour des pourparlers de paix.