«La guerre en Ukraine a été déclenchée par la Russie à cause de la supposée extension de l’OTAN vers l'est. Elle risque maintenant de changer radicalement d’échelle à nouveau à cause de la solidarité de l’Alliance.» Mardi soir 15 novembre, ce commentaire émanait d’un ancien haut responsable du commandement allié à Mons (Belgique), alors que la Pologne annonçait relever le niveau d'alerte de certaines de ses unités en vertu de l'article 4 de l'Alliance Atlantique. Depuis, les investigations nocturnes sur place, dans le village polonais touché par une frappe alors qu'une pluie de missiles s'abattait sur l'Ukraine, ont apaisé les tensions. Le missile tombé en Pologne aurait été fabriqué en Russie, mais il n'aurait pas été tiré par l'armée russe. Il pourrait s'agir d'un missile anti-missile ukrainien, retombé par erreur. Du côté de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord, rien n’avait filtré depuis la confirmation de cette frappe et de la mort de deux personnes. L’OTAN a répété qu’il fallait «établir les faits». La Russie avait pour sa part tout de suite parlé de «provocation».
Réunion d’urgence du Conseil de sécurité polonais
Il n'empèche: la réunion d’urgence du Conseil de sécurité polonais puis les messages de solidarité des dirigeants alliés présents au sommet du G20 à Bali (Indonésie), ont démontré combien le risque d'escalade demeure. Avec cette question: Vladimir Poutine peut-il choisir, avec ce type de frappes, de déclarer la guerre à un pays européen voisin de l’Ukraine, membre de l’Union européenne et de l’OTAN? Ce qui reviendrait, de facto, à entrer en conflit avec la plus puissante coalition militaire au monde...
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La Pologne redoute d’être attaquée
La Pologne, très engagée depuis le début dans le soutien militaire à l’Ukraine, a toujours redouté d’être attaquée. Sa position stratégique est en plus rendue complexe par sa frontière avec la Biélorussie, alliée de Moscou, où l’équivalent d’une division russe (9000 soldats) est arrivé en renfort depuis la mi-octobre, avec l’appui d’avions de chasse intercepteurs MIG 31. Environ 400 tanks et véhicules blindés russes devraient aussi être livrés.
L’État-Major polonais avait, ces jours-ci, redit son inquiétude après plusieurs messages du président biélorusse Loukachenko, confirmant le déploiement d’un «groupe régional» composé de forces des deux pays, en réponse aux «provocations de l’OTAN à la frontière, à la formation d’unités de sabotage composées d’émigrés biélorusses et aux plans ukrainiens d’attaquer le Bélarus». Pris dans ce contexte, le tir d’un missile russe, s'il avait été confirmé, aurait pris l'allure d'un avertissement, voire au prélude à d’autres attaques.
Ouverture d’un second front?
Vraisemblable? «La seule logique, si tel est le cas, est celle de la peur, juge un officier français contacté au téléphone par Blick. Je n’y crois pas sur la base des informations que je vois passer. Mais le moment est éloquent. Le sommet du G20 a lieu à Bali. Poutine n’y est pas. Une partie des pays asiatiques commencent à prendre leurs distances avec la Russie. Les présidents chinois et américains se sont rencontrés et ils ont affiché leur désir de stabilité. La seule carte qui reste à Poutine est de faire dérailler tout cela, en affirmant qu’il n’est pas responsable de ce tir. Pourquoi? Parce que si l’OTAN réagit, il pourra se dire victime».
Autre raison plausible: la volonté du Kremlin de repousser, par cette frappe, le plan de paix en dix points proposé au G20, lors d’une communication à distance mardi, par le président ukrainien.
Article 5 du traité de l’OTAN
Les obligations des alliés vis-à-vis de la Pologne sont en tout cas claires si celle-ci réclame assistance et soutien, en plus du déploiement déjà massif de troupes américaines sur son territoire et des livraisons d’armes à l’Ukraine opérées à partir de la base aérienne de l’OTAN à Lask, au sud de Lodz.
Coté Alliance Atlantique, les 30 pays membres – la Suède et la Finlande, dont l’entrée a été approuvée, n’ont pas encore rejoint formellement l’Alliance, faute de ratification par la Turquie et la Hongrie – sont liés par l’article 5 du traité de Washington dont l’énoncé est le suivant: «Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence, elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée.»
Clause de défense mutuelle européenne
La Pologne est aussi protégée par la clause de défense mutuelle contenue dans l’article 42.7 du traité de l’Union européenne, selon lequel «si un pays de l’UE est victime d’une agression armée sur son territoire, les autres pays de l’UE ont l’obligation de lui porter aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir». Mais attention: dans les deux cas, le pays agressé doit réclamer l’appui de ses alliés. Varsovie se retrouve donc cette nuit avec, en main, les clés d’une possible riposte commune. A l’heure d’écrire ces lignes, le gouvernement polonais dit s’interroger sur l’activation de l’article 4 de la charte de l’OTAN selon lequel «les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’entre elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée».
Si le missile tombé en Pologne s'avère être Ukrainien, qui plus est un missile anti-missile perdu, cet accident mortel va reposer la question des pays de l’OTAN à se doter d’un bouclier antiaérien. 14 pays de l’Alliance, plus la Finlande, ont signé le 13 octobre un engagement commun à déployer un tel bouclier antimissile baptisé «European Sky Shield Initiative».
La Pologne dispose déja de deux batteries antimissiles Patriot mis à sa disposition par l’armée américaine, en plus de ses sept batteries achetées en 2018. L’Allemagne dispose pour sa part de 12 batteries antimissiles Patriot.
La version initiale de cette analyse a été réactualisée suite aux derniers développements de l’actualité.