Leopard 2, Challenger, M1 Abrams, Leclerc… Jamais, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Européens n’avaient autant entendu parler de ces chars lourds qui, au sol, constituent l’arme mobile la plus puissante. Jusqu’au début des années 90, la Guerre froide entre les forces de l’Otan et celles du défunt Pacte de Varsovie était en effet surtout dominée, dans les médias occidentaux, par la menace des missiles à tête nucléaire. Du côté de l’ex-bloc soviétique, la star des arsenaux était le SS 20, déployé en Europe centrale à partir de 1977. Pour y répondre, les États-Unis disposaient des fusées Pershing II, déployées à partir de l’année suivante.
Les tanks semblaient avoir disparu du champ de bataille - même si les arsenaux des deux camps en étaient remplis. Les revoici au premier plan, dans la guerre en Ukraine déclenchée par l’agression russe du 24 février 2022. Et voici à quoi ressemblent ses mastodontes dont l’armée ukrainienne sera bientôt dotée, après la décision du gouvernement allemand d’autoriser l’exportation vers Kiev des Leopard 2 fabriqués par Rheinmetall.
Le Leopard 2, le «monstre» allemand tant attendu
Attention: le char allemand tant convoité par l’armée ukrainienne n’est pas un dernier-né de l’industrie de défense. Au contraire. Ce tank lourd d’une soixantaine de tonnes est entré en service il y a bientôt 44 ans, en 1979, pile au moment où la crise des missiles faisait rage entre l’Otan et le pacte de Varsovie. Depuis, plusieurs générations de Leopard 2 se sont succédées. Pas de changement toutefois au niveau de l’équipage. Il y a quatre hommes dans ce char équipé d’un canon principal de 120 mm capable de détruire une cible jusqu’à quatre kilomètres de distance. La force de ce «monstre», qui n’est pas sans rappeler la supériorité des chars allemands Tigre durant la Seconde Guerre mondiale, est à la fois sa vitesse (45 km/h) et surtout le nombre d’exemplaires produits (3 600 depuis 1979).
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Fait important: le Leopard 2 a une solide expérience de combat. Il a été utilisé, au sein des contingents allemands de l’OTAN, par la KFOR au Kosovo, par l’ISAF en Afghanistan et, plus récemment, par la Turquie lors de ses opérations entre 2016 et 2019 dans le nord de la Syrie. Selon ses équipements électroniques et son blindage, le Leopard 2 coûte à l’unité entre trois et neuf millions d’euros. Ses obus sont fabriqués par Rheinmetall, mais aussi par la firme américaine General Dynamics. «Le Leopard 2 est le meilleur compromis pour fournir des chars performants et en nombre suffisant à l’Ukraine» estime l’analyste militaire français Guillaume Ancel sur son blog très documenté. En plus des quatorze exemplaires que l’Allemagne vient de s’engager à livrer à l’Ukraine, une centaine d'autres devraient être prélevés sur les arsenaux des quinze pays qui en possèdent en Europe dont la Pologne, la Finlande ou le Portugal.
Le Challenger britannique, roi du désert
C’est une ironie. Le tank lourd britannique de 65 tonnes, fabriqué par BAE Systems depuis 1991, s’est surtout illustré dans les déserts de sable du Moyen-Orient, où il est déployé en permanence au sein de l’armée du sultanat d’Oman. Comme le Leopard 2, le Challenger a connu le champ de bataille en Irak, en 2003-2005, lorsque l’armée britannique combattait aux côtés des Etats-Unis et contrôlait la région de Bassora, dans le sud du pays. Le calibre de son canon est lui aussi de 120 mm, et son équipage est également de quatre personnes.
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Deux facteurs le rendent toutefois moins attractif que le Leopard 2 allemand pour l’armée ukrainienne. Le premier est sa disponibilité réduite. Aucun pays européen, sauf le Royaume-Uni, ne dispose de chars Challenger, ce qui réduit le nombre de formateurs disponibles et le nombre de vétérans de cette arme capables d’être re-mobilisés. Le nombre réduit d’exemplaires de ce tank - 500 chars construits en un peu plus de trente ans d'existence - diminue aussi les possibilités de trouver des pièces détachées et d’en assurer une bonne maintenance sur le champ de bataille ukrainien. Lors de la réunion des alliés de l’OTAN à Rammstein, le 20 janvier, le Royaume-Uni a proposé de livrer quatorze Challenger. Pas sûr, si les Leopard 2 sont en nombre suffisant, que ceux-ci soient finalement acheminés. «Le Leopard 2 est le meilleur compromis entre capacité opérationnelle (même si ses nombreuses versions ont des performances assez différentes), rusticité relative (il est moins sophistiqué que le M1 Abrams américain qui est le plus compliqué dans le genre), le nombre d’exemplaires mobilisables pour l’Ukraine (plusieurs centaines) et surtout la capacité pour les pays voisins comme la Pologne à les soutenir puisqu’ils en possèdent déjà» complète Guillaume Ancel.
Le Leclerc Français, en attente d’un feu vert de l’Élysée
Emmanuel Macron a été, voici quelques jours, le premier dirigeant européen à proposer l’envoi de chars à l’armée ukrainienne. Son accord concernait alors les chars légers AMX 10, dont un certain nombre d’exemplaires sont en ce moment même rapatriés du Sahel par l’armée française, contrainte de fermer ses bases dans cette région d’Afrique. Quarante d'entre eux sont en route pour Kiev. Quid en revanche du Leclerc? Construit par Nexter, le groupe industriel qui fabrique également le fameux canon Caesar très apprécié des Ukrainiens, le char de 56 tonnes de l’armée française est entré en service en 1991, comme le Challenger britannique. Sa modernisation constante permet à l’Etat-major de prévoir son maintien jusqu’en 2040, date à laquelle il devrait être remplacé au sein des armées allemande et française par le futur Système principal de combat terrestre (SPCT) que Paris et Berlin ont promis de construire ensemble. Le Leclerc a servi au Kosovo et au Liban, avec les Casques bleus français. Un autre champ de bataille beaucoup plus polémique l’a vu récemment en opération: le Yémen, où il est utilisé par l’armée des Émirats arabes unis. La Jordanie est aussi un client de ce char nommé en souvenir du Maréchal Leclerc, commandant de la fameuse deuxième division blindée des forces françaises libres qui libéra Paris en août 1944, au sein de la troisième armée américaine du Général Patton.
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Des Leclerc en Ukraine? Le président français ne l’a pas exclu mais la configuration de ce tank de 9,87 mètres de long, avec un équipage de trois personnes et un canon de 120 mm, est différente de ses homologues européens. Sa force est sa vitesse, puisqu’il peut rouler jusqu’à 80 km/h, mais sa vulnérabilité vient du fait que seuls 222 chars Leclerc sont actuellement en état de combattre. La question de son remplacement au sein de l’armée française est d’ailleurs déjà posée. «A l’heure des questions de budget pour construire la défense dont la France aurait besoin, la question de l’Europe est tragiquement absente, remplacer le char Leclerc par le Leopard 2 relèverait de la même logique» juge Guillaume Ancel.
Le M1 Abrams, mastodonte technologique
Son nom est synonyme de puissance. Bien qu’entré en service en 1980, le char lourd M1 Abrams - dont Washington va livrer 31 exemplaires à l'Ukraine - est le char de combat principal de l’armée américaine et du corps des Marines. Il a été acheté par l’Égypte, le Koweït, l’Arabie saoudite, l’Australie et l’Irak. La Pologne est son dernier acquéreur puisqu’elle a passé en décembre 2022 un contrat de 3,7 milliards de dollars pour l’acquisition de 116 unités. Ce tank lourd a une solide histoire: il a fait les deux guerres du Golfe, celle d’Afghanistan, et se retrouve aujourd’hui engagé au Yémen. La force de ce char produit par General Dynamics est son blindage frontal qui a longtemps complètement surpassé la plupart des premiers missiles antichars. La difficulté opérationnelle est la sophistication de ses systèmes électroniques et la nature des opérations pour lesquelles il est conçu. «Le char américain est conçu pour mener des guerres rapides de type 'Blitzkrieg' avec les chars ennemis comme cible principale» juge un expert. Ce mastodonte technologique, dont Joe Biden vient d’accepter de livrer 30 exemplaires à l’Ukraine, pourrait donc se retrouver en pointe en cas de tentative de percée, par exemple vers la Crimée.
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Verdict de Guillaume Ancel: «La question est désormais le temps, il faudra plusieurs semaines pour acheminer ces chars, et former les équipages et les maintenanciers, une fois la décision prise. Le printemps est désormais l’horizon de temps d’une telle offensive, sauf si les Ukrainiens tentaient une percée par la vitesse pendant que tout le monde discute pesamment des moyens lourds dont ils auraient besoin»