L’économie russe tient toujours. Et l’Union européenne cherche encore l’instrument fatal pour la mettre à genoux. À Bruxelles ce mercredi 14 février, Ursula von der Leyen n’a pas caché que le défi des sanctions économiques et financières contre la Russie reste entier.
D’un côté, un dixième paquet de sanctions est désormais sur la table des 27 États membres de l’UE, qui devraient l’adopter en urgence avant le premier anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février. De l’autre, rien n’y fait: le contournement de ces mesures, soit par des pays qui refusent de les appliquer, soit en raison du laxisme de certains États européens, nuit considérablement à leur efficacité.
Un paquet de sanctions technologiques
Le menu de ce dixième paquet de sanctions contre la Russie – que la Suisse devrait à nouveau appliquer, comme elle l’a fait jusque-là – est avant tout technologique. Il s’agit, pour l’Union européenne et ses alliés, de resserrer encore plus l’étau sur le complexe militaro-industriel russe en le privant de tous les composants électroniques indispensables à ses usines d’armement.
«Nous proposons de nouvelles interdictions d’exportation pour un montant de plus de 11 milliards d’euros, afin de priver l’économie russe de technologies et de biens industriels essentiels. […] Nous proposons des contrôles sur 47 nouveaux composants électroniques qui peuvent être utilisés dans les systèmes d’armes russes, notamment les drones, les missiles et les hélicoptères. Et sur certains matériaux de terres rares et caméras thermiques. Avec cela, nous avons interdit tous les produits technologiques que l’on trouve sur le champ de bataille. Et nous allons nous assurer qu’ils ne trouvent pas d’autres moyens d’y arriver», a asséné ce mercredi à Bruxelles la présidente de la Commission européenne.
La Turquie et la Chine, sources majeures de contournement
Cette étreinte technologique et industrielle est, dans les faits, très relative. Deux sources majeures de contournement sont effet apparues depuis le début du conflit: la Turquie et la Chine, avec derrière ces deux pays l’ensemble des puissances industrielles émergentes d’Asie (sauf la Corée du Sud et le Japon), dont les usines continuent de produire les matériaux indispensables à la production d’armes russes. Comment faire en sorte que ce commerce de composants soit asséché? La stratégie de l’Union européenne est celle de l’encerclement. Multiplier les catégories de composants prohibés, afin d'entraver la chaîne de production de ceux-ci au niveau mondial.
Retrouvez la déclaration d’Ursula von der Leyen:
«Pour un impact maximal, nous ciblons de nombreux biens industriels dont la Russie a besoin et qu’elle ne peut obtenir par le biais de la production dans les pays tiers», a spécifiquement affirmé Ursula von der Leyen. Avant d’énumérer les catégories concernées: électronique, véhicules spécialisés, pièces de machines, pièces de rechange pour les camions et les moteurs d’avion. «Nous ciblons aussi les biens du secteur de la construction qui peuvent être destinés à l’armée russe, comme les antennes ou les grues», a-t-elle poursuivi.
Concrètement: toute exportation de ces biens vers la Russie ne pourra plus se faire qu’en dehors du circuit commercial contrôlé par des entités européennes. Les sociétés de transit, de dédouanement, d’acheminement et de transport ne pourront plus convoyer ce type d’équipements vers la Russie si les 27 pays membres acceptent ce dixième paquet de sanctions.
Étrangler la Russie demeure l’objectif
Ironie des circonstances, cette proposition de renforcer l’étranglement en cours de l’économie russe intervient alors que les pays de l’Union européenne et de l’OTAN, alliés de l’Ukraine, sont confrontés à une préoccupante pénurie de munitions, compte tenu de l’utilisation intense de l’artillerie et des blindés sur le champ de bataille. Or, produire rapidement de nouvelles munitions requiert souvent d’importer des composants et des matières premières en provenance de pays également sollicités par la Russie!
La compétition sur le marché industriel de l’armement bat donc son plein. D’où l’extension de ce dixième paquet de sanctions à l’un des alliés les plus sûrs de Moscou jusque-là: l’Iran. «Pour la toute première fois, nous ajoutons des entités de pays tiers aux sanctions russes à double usage, complète le communiqué de la Commission européenne. Les Gardiens de la révolution iraniens ont fourni à la Russie des drones Shahed pour attaquer les infrastructures civiles en Ukraine. Par conséquent, nous ajoutons maintenant sept entités iraniennes à notre régime de double usage. Elles sont désormais soumises à une interdiction totale de vendre des articles sensibles à la Russie. Et nous sommes prêts à dresser la liste d’autres entités iraniennes et d’autres pays tiers qui fournissent des technologies sensibles à la Russie. Cela devrait avoir un effet fortement dissuasif sur les autres entreprises et les négociants internationaux.»
Un dernier point de cette liste de sanctions concerne tous les pays qui les mettent en œuvre, notamment la Suisse. Il s’agit du contrôle que l’Union européenne entend faire de leur bonne application, sujet sur lequel une personnalité bien connue à Berne vient d’être mandatée par la Commission: il s’agit de l’Irlandais David O’Sullivan, son ancien directeur général, qui fut un temps le chef négociateur européen avec la Suisse. Ce dernier va prendre la tête d’une Task force chargée d’auditer la bonne mise en œuvre des sanctions.
Traquer les oligarques
«Nous devons nous assurer que celles-ci sont strictement appliquées, conclut le communiqué. C’est pourquoi notre 10e paquet introduit de nouvelles mesures pour empêcher le contournement. Nous allons traquer les oligarques qui tentent de cacher ou de vendre leurs actifs pour échapper aux sanctions. Et, avec les États membres, nous établirons une vue d’ensemble de tous les avoirs gelés de la banque centrale russe détenus dans l’UE. Nous devons savoir où ils se trouvent et combien ils valent. C’est crucial dans la perspective d’une éventuelle utilisation des avoirs publics russes pour financer la reconstruction en Ukraine.»
Il n’est pas encore question de passer au stade supérieur, à savoir celui de la confiscation pure et simple des avoirs russes gelés. Mais là aussi, plus le conflit en Ukraine s’éternise, plus la pression se fait forte.