Alors que Noël approche, on observe que la fête, la célébration, la joie de vivre, sont actuellement mal en point dans nos villes européennes, devenues le théâtre d’indignations souvent mal placées. «Indignez-vous», nous avait enjoint le militant Stéphane Hessel dans un manifeste-phénomène paru en France en 2010.
Sauf que lui n’invitait pas à s’indigner contre des comportements festifs. Il invitait plutôt la société civile à s’engager politiquement et à mettre l’intérêt général avant les intérêts financiers par exemple. Mais au lieu de cela, il faut bien dire que les «indignations» qu’on a pu voir, durant la décennie écoulée, n’avaient rien d’aussi fondamental pour la plupart, et tapaient à côté des vrais problèmes.
De plus en plus, une forme d’austérité morale s’abat sur nos sociétés développées. Prenons l’exemple des villes suisses et des décorations de Noël. Alors que Fribourg s’apprête, cette année, à raviver timidement la magie de Noël en rallumant les décorations lumineuses, la ville promet déjà pour 2024 un plan de décorations moins énergivore. Lausanne, quant à elle, imposera l’extinction des lumières de Noël dès 21h, et Sion à 22h. Genève dit oui aux sapins illuminés, mais en pédalant. Par souci d’économies d’énergie, la durée, la superficie et la quantité d’illumination sont partout réduites.
L'exemplarité l'emporte sur la célébration
Or, il est établi que ces lumières, qui peuvent être très visibles dans la nuit, ne sont de loin pas les plus énergivores et que leur part dans la consommation d’électricité est infime. Et même si les restrictions de l’an dernier pouvaient se justifier par le risque de pénurie d’énergie, cette année, on peine à comprendre que ces décorations fassent l’objet de restrictions, tant elles pèsent faiblement dans la consommation énergétique.
Malgré cela, on veut donner un signal, celui de la sobriété énergétique. On manie les symboles, on gère les perceptions, on privilégie le devoir d’exemplarité sur la célébration. Illuminer de manière ostentatoire peut être perçu comme provocateur, même si dans les faits, ces décorations ne pèsent quasi rien dans la balance. Et c’est là que l’on tombe dans une sorte de morale de bobos des villes, qui affecte le plaisir d’y vivre, tout en passant à côté du vrai problème: celui des gros consommateurs d’énergie.
C’est évidemment dans l’industrie et chez les entreprises que le potentiel d’économies d’énergie est le plus grand. Au niveau des industries, ce sont d’abord la chimie et l’agroalimentaire qui consomment le plus, mais aussi la production de plastique et la métallurgie. Les entreprises du tertiaire, quant à elles, consomment autant, voire plus que l’industrie dans les pays tertiarisés comme la Suisse et sont en passe d’être les premières consommatrices.
Bannir les armes plutôt que les feux d'artifice
Ensemble, l’industrie et le tertiaire représentent au moins le double de ce que les ménages privés consomment. Fait-on le nécessaire pour puiser dans ce vaste gisement d’économies d’énergie? De loin pas. Leur transition énergétique est lente à venir, bien que l’impact de ces poids lourds dépasse de loin celui des poids plumes que sont les illuminations de Noël.
Dans le même registre, pensons à l’interdiction des feux d’artifice, une pratique désormais considérée comme brutale et violente. Bannir ce spectacle pyrotechnique est dans l’air du temps. D’abord supprimés pour la fête nationale du 1er août à Genève et en Valais cette année, pour cause de situation climatique (sécheresse et canicule), les feux d’artifice sont menacés d’interdiction pure et simple en Suisse. Fribourg y a déjà renoncé pour de bon en raison des perturbations pour la faune et de la pollution lumineuse, sans compter le bruit.
Dorénavant, une initiative populaire fédérale veut interdire aux particuliers les feux d’artifice «bruyants», en raison de la pollution de l’air et du stress causé pour les enfants et pour les animaux. À nouveau, ce genre d’interdiction se produit au moment où les «feux d’artifice» de loin les plus polluants, à savoir les armes, les missiles et les bombes, se déploient plus que jamais, y compris dans le ciel européen, sur le tragique théâtre de la guerre en Ukraine. Or jamais les pays dont les populations expriment des indignations écologiques et anti-bruit n’ont exporté autant d’armes.
Que disent les Verts de la guerre?
L’industrie suisse de la défense a bouclé en 2022 son année record d’exportation de matériel de guerre, frôlant le milliard de francs de chiffre d’affaires. Pourquoi les lanceurs d’initiatives anti-feux d’artifices et les défenseurs du climat ne consacrent-ils pas plutôt leur énergie à protester en masse contre l’exportation d’armes suisses, ces gros feux d’artifice qui explosent ailleurs?
On a envie de rappeler à nos bobos verts que l'activité la plus polluante au monde et la plus destructrice de la nature n'est autre que la guerre. Mais on ne les entend pas beaucoup sur ce sujet. Les résidus toxiques d'uranium appauvri, de kérosène, de défoliant (agent orange), de plomb, contaminent d'innombrables sites de par le monde en raison des activités militaires, et la Suisse y contribue. Ceci avant de parler des effets des armes sur la destruction de zones forestières, agricoles ou d'écosystèmes entiers suite à des bombardements ou incendies.
Également symptomatique de l’indignation dans nos villes et de cette tendance à privilégier la morale sur la fête: la fermeture des fan zones lors de la Coupe du monde de football. Il s’agissait de boycotter le Qatar, ceci durant l’année où la Suisse exportait pour 213 millions d’armes à ce pays, qui est le tout premier client de l’armement suisse en volume d’achats. Le record suisse de vente d’armes n’avait d’égal que le record d’indignation sélective et d’hypocrisie observé durant cette affaire.
Conclusion, si on pouvait recycler un peu d’indignation contre les lumières de Noël, contre les feux d’artifices et contre les célébrations de foot en direction des vrais enjeux que sont la consommation énergétique des mastodontes et les ventes d’armes record de la Suisse, cela aurait peut-être un peu plus de sens, et d’impact, au plan écologique.
Notes au lectorat: le titre fait référence à l'affaire Omar Raddad, et la célèbre citation à la graphie incorrecte «Omar m'a tuer».