Norman, escogriffe à cheveux bouclés aux quelque douze millions d’abonnés sur YouTube, l’un des champions du seul en scène numérique sous le pseudo «Norman fait des vidéos», est dans la tourmente.
Une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux recueille le témoignage de plusieurs jeunes femmes, parfois mineures, se plaignant du comportement du célèbre YouTubeur, récemment mis en garde à vue à Paris dans le cadre d’une enquête préliminaire pour viols et corruption de mineurs.
Les griefs sont toutefois d’une grande hétérogénéité: ils vont de ce qui pourrait constituer, s’ils étaient avérés, des infractions sexuelles à des éléments qui, pour désagréables qu’ils aient pu être pour les jeunes femmes concernées, n’ont, à l’évidence et même s’ils devaient être établis, aucune coloration pénale (le fait d’avoir mis une forme de modus operandi répétitif pour séduire, le fait de n’accorder aucune attention aux jeunes femmes une fois arrivé à ses fins, etc.).
Le tribunal de la toile s’est emballé
Les autorités pénales, saisies, mèneront l’enquête, puis un tribunal dira le droit. C’est ainsi que, dans nos sociétés démocratiques, il a été décidé de rendre la justice. C’est naturellement perclus de défauts – la lenteur agace, la vérité judiciaire est parfois une lointaine cousine de l’autre – mais c’est le moins mauvais système que l’on ait trouvé.
Inutile de dire que le tribunal de la toile, avec ses procureurs énervés et ses juges d’un jour, s’est quant à lui empressé de prononcer la culpabilité de Norman. Pour cela, on met volontiers de l’huile dans les rouages de la machine infernale: les textes de lois sont modifiés au fil de l’eau, permettant à la muflerie de rejoindre les actes d’ordre sexuel, les plaignantes deviennent soudainement des victimes et Norman un coupable. Une affaire rondement menée.
Sauf que, comme le rappelait Voltaire dans son «Traité sur la tolérance», «il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent» et que, dans un monde aussi normé que le droit, les mots et les statuts revêtent une grande importance; ils sont les garants de la cohérence du système et constituent les derniers remparts contre l’arbitraire.
Procès expéditif sur les réseaux sociaux
L’extrême sensibilité des réseaux, alliée à un besoin de décisions rapides sinon immédiates, signe de temps mus par l’addiction à la précipitation, entraîne non seulement un déplacement du terrain judiciaire sur celui des médias sociaux, connu de longue date, mais aussi, et peut-être surtout, la tenue de procès expéditifs, nourris à coup de «#onvouscroit» (rappelons qu’il n’est pas question, en droit, de croire, par principe ou dogmatisme, les uns ou les autres, mais d’établir des faits) et d’articles de presse enflammés alimentant la spirale et légitimant ces procédures parallèles.
Et les effets sont immédiats: Norman a vu sa chaîne YouTube être démonétisée par l’opérateur américain à la suite de sa garde à vue.
En procédant de la sorte, alors que l’enquête est en cours et que Norman est présumé innocent, le tribunal numérique n’aurait-il pas, pris dans sa fougue et emporté par son besoin de châtiment immédiat, également démonétisé la justice?