Nicolas Capt
Condamnation pénale pour une critique politique, un dangereux précédent?

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d’actualité ou un post juridique pour Blick. Cette semaine, il analyse la plainte pénale déposée par le conseiller d’Etat valaisan Mathias Reynard à l’encontre d’un internaute.
Publié: 12.07.2022 à 13:00 heures
|
Dernière mise à jour: 12.07.2022 à 15:27 heures

Au cœur de l’été, de quoi vais-je bien pouvoir vous parler? D'Elon Musk et sa renonciation, finale ou provisoire, à acquérir Twitter et son oiseau bleu? Ou de la «start-up nation» façon 17e arrondissement avec une application destinée à signaler les… rats?

Raté, rien de tout ça! Je vais vous parler de l’affaire du «petit dictateur», surnom câlin décoché sur les réseaux par un internaute à l’endroit du conseiller d’Etat Mathias Reynard (PS) et du conseiller fédéral Alain Berset (PS). Une plainte pénale du premier nommé s’est ensuivie, et l’internaute courroucé a ensuite écopé de jours-amendes avec sursis et d’une amende, pour calomnie. Mais pourquoi vous en parler?

Parce qu’il est fort rare que des poursuites pénales soient couronnées de succès lorsque est en jeu l’honneur du personnel politique. L’idée est que, lorsqu’il est question de représentants élus, l’atteinte à l’honneur s’analyse de façon plus restrictive. Ainsi, de jurisprudence constante, les dispositions pénales concernées n’ont pour but que de protéger l’honneur de la personne et non sa réputation de femme ou d’homme politique. Ainsi, pour le Tribunal fédéral, «l’auteur d’accusations ou de critiques qui ne font que jeter un jour défavorable sur les qualités de l’homme politique et la valeur de son action, mais ne sont pas propres à l’exposer au mépris en sa qualité d’homme, n’est pas punissable».

Un dangereux précédent?

Ainsi, chacun est ainsi libre, du point de vue du droit pénal, «de mettre en doute devant des tiers la valeur d’une action politique et de la présenter comme mauvaise et contraire à l’intérêt général. Une telle critique, même si elle est indéfendable au regard de l’opinion générale ou si elle est objectivement fausse, n’est pas de la diffamation, pour autant qu’elle laisse intacte la réputation d’honnête homme de l’intéressé».

Si prêter à un politicien une sympathie pour le régime nazi est sans le moindre doute attentatoire à l’honneur, on peut en revanche se demander si l’expression «petit dictateur» est vraiment si inacceptable que cela sur le plan pénal. Bien sûr, il n’échappera à personne que les années de Covid ont été particulièrement éprouvantes pour les politiciennes et politiciens de notre pays, certains ayant même été placés sous protection policière. Et ce serait se tromper de cible que de blâmer le dépôt de plaintes par des politiciens s’estimant atteints dans leur honneur. En revanche, il serait bon de se demander si une telle répression de la critique politique par les autorités pénales ne constitue pas un dangereux précédent pour la liberté d’expression.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la