Nicolas Capt
Elon Musk et Twitter, un rachat rubis sur l'ongle qui fait jaser

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d'actualité ou un post juridique pour les lecteurs de Blick. Cette semaine, il analyse le rachat du réseau social Twitter par le milliardaire Elon Musk.
Publié: 03.05.2022 à 13:40 heures
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Photo: DUKAS

C’est fait! Le capricieux milliardaire Musk, Elon pour les intimes que nous ne sommes pas, a acquis son dernier joujou en date, le réseau social twitter (celui avec l’oiseau bleu) pour la somme dérisoire de 54 milliards de dollars américains. Outre qu’il n’est pas certain que cette marotte se révèle au bout du compte une affaire rentable, il reste que la nouvelle a agité le bocal de tous les commentateurs, tant professionnels qu’amateurs, disponibles (comprendre par là tous ceux qui n’étaient pas pris par une analyse géopolitique sur l’Ukraine ou bio-infectieuse sur la résurgence du Covid à Shanghaï).

Tantôt, l’on s’agenouille devant le nouveau coup de génie du Messie païen Musk, tantôt l’on met doctement en garde contre les effets nécessairement délétères de toute décision prise par un milliardaire. Qui plus est lorsqu’il a le mauvais goût de s’annoncer libertarien. Le tout, en résolution noir blanc 200x100 dpi. Même le subtilissime Chapatte a, pour l’occasion, un peu forcé le trait: on y voit l’oiseau bleu (le logo du réseau social) réinstallé dans une cage où un Donald Trump est assis au perchoir (étant rappelé que l’ex-Président américain a été banni de ce réseau social au moment des événements du Capitole).

Mais pourquoi diable le sujet est-il si épidermique et prête-t-il tant le flanc à la simplification excessive?

Il y a sans doute plusieurs facteurs. En premier lieu, la personnalité de Musk, qui au fil de ses succès (Tesla, SpaceX, Neuralink, etc.) a drainé une véritable cohorte d’admirateurs enthousiastes, pour dire le moins, un peu comme le faisait Steve Jobs en son temps, la provocation en plus. Il y a quelques jours, s’amusant de son imminent rachat de Twitter, Elon Musk postait ainsi le tweet suivant: «Next I’m buying Coca-Cola to put the cocaine back in» («Je vais ensuite racheter Coca-Cola pour y remettre de la cocaïne»). La communauté de Musk sur Twitter (presque 90 millions d’abonnés) applaudit, rigole, salue benoîtement. L’esprit critique n’est sans doute pas à son comble.

La personnalité de Musk n'explique pas tout

Mais la personnalité curieuse, géniale sans doute, racoleuse parfois, de Musk n’explique pas tout. L’extrême sensibilité quant aux questions liées à la formation de l’opinion en environnement numérique est le second élément à envisager.

Continuellement partagées entre un désir de déresponsabilisation, qui leur fait plaider à cors et à cris le statut d’hébergeur, et une nécessité/envie d’ordonnancer, de trier, de contrôler, lequel correspond immanquablement à des décisions de nature éditoriale, les grandes plateformes sociales dansent la tarentelle et louvoient entre leurs objectifs partiellement contradictoires.

La décision de Twitter de bannir Donald Trump, après avoir émis de constants avertissements indiquant que leur contenu était sujet à caution sous la majorité des tweets de l’ancien président, a marqué un tournant. Est-on encore un simple hébergeur de contenus tiers lorsque l’on qualifie la qualité ou la véracité des contenus? À l’évidence, non. Et si les tweets mensongers (ou vus comme tels) de Trump étaient étiquetés et faisaient l’objet d’avertissements, qu’en était-il des contenus postés par ses opposants politiques? Étaient-ils tous les fruits parfaits de l’arbre de la vérité? À supposer, lecteur séditieux, que vous puissiez concevoir que tel n’était pas le cas, alors comment expliquez-vous le double standard appliqué? Vous ne l’expliquez pas. Et moi non plus.

Cela étant, l’environnement juridique évolue, à tout le moins en Europe, où le Digital Services Act, un instrument novateur, vient tenter, non sans ambition, de réguler les environnements numériques, à la manière d’un RGPD que l’on étendrait à d’autres problématiques que la seule protection des données. Avec, notamment, comme ambition de mélanger l’eau de l’hébergeur avec l’huile de l’éditeur. Le texte est certes imparfait, mais il a valeur de signal. Dans ce contexte, les bons mots, provocations faciles et coups de génie capricieux de Musk seront sans doute un peu étouffés et affadis. Fin de l’alerte, vous pouvez retourner au Covid et à l’Ukraine.

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