La chronique de Nicolas Capt
Montre-moi comment tu marches et je te dirai qui tu es!

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un post juridique pour les lecteurs de Blick. Cette semaine, il analyse les objectifs de l'entreprise Clearview AI, qui compte bientôt pouvoir identifier des individus grâce à leur démarche.
Publié: 23.02.2022 à 11:05 heures
|
Dernière mise à jour: 23.02.2022 à 11:06 heures
Clearview AI aurait permis d'identifier les émeutiers lors de l'assaut du Capitole.
Photo: AFP

L’entreprise new-yorkaise Clearview AI porte décidément bien son nom. Après avoir résisté à des procédures diverses et variées et aux avertissements d’organisation non-gouvernementales inquiètes, non sans raison, pour la protection de la vie privée, la voilà qui remet le couvert en expliquant que des 3 milliards de visage disponibles il y a quelques deux ans (pardon du peu), elle entend désormais passer à 100 milliards de clichés, glanés, ou plutôt aspirés à la hussarde, sur les réseaux sociaux et des millions d’autres sites. A en croire «Le Temps», c’est au rythme frénétique de 1,5 milliards de visages par mois que sa base de données s’enrichit. Selon l’entreprise, une fois ce chiffre de 100 milliards atteint, presque chaque individu dans le monde serait alors identifiable. De quoi donner immanquablement le tournis.

Mais l’appétit glouton de la vorace entreprise ne semble pas s’arrêter là, puisque, selon le «Washington Post», elle ambitionne désormais d’identifier des personnes par leur simple démarche, voire de capturer des empreintes digitales à distance. Là, ce n’est plus le vague tournis de grand-papa, mais le profond malaise. Si l’analyse de la démarche à des fins d’identification, de même que celle des ombres d’ailleurs, n’est pas une technologie si récente, son utilisation envisagée par une entité possédant une pareille base de données a quelque chose de parfaitement inquiétant.

Un jeu d'enfant

Ce d’autant que Clearview AI entend désormais élargir fortement son cercle de clientèle, qui se limite actuellement au domaine du maintien de l’ordre, une catégorie toutefois large (qui allait du FBI à la police nationale suédoise), à d’autres domaines d’activités dont la banque, la distribution ou le commerce en ligne.

Le fonctionnement du dispositif est, dit-on, un jeu d’enfant: il suffit de télécharger une photo dans le système et celui-ci recherche alors les occurrences de cette personne dans son immense base de données et en livre le(s) site(s) source(s). Mettre un nom sur un individu lors d’une manifestation devient à la portée de chacun. L’outil a d’ailleurs été utilisé très activement pour identifier les émeutiers du Capitole, comme l’a révélé «The New York Times» et il semble que son usage puisse même être envisagé en liaison avec des lunettes connectées. Vous imaginez?

Ce qui est certain, c’est que le tabou – relatif – de la reconnaissance faciale est petit à petit en train de disparaître. Et avec lui les espoirs que la sphère privée le demeure. A cet égard, la phrase, que l’on peut désormais considérer comme prophétique, de Mark Zuckerberg en 2010, prend tout son sens: «Les gens sont désormais à l'aise avec l'idée de partager plus d'informations différentes, de manière plus ouverte et avec plus d'internautes. (...) La norme sociale a évolué.» Bienvenue chez lui.


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la