Il y a d’abord Elon Musk, un désormais habitué de cette colonne, qui défraye à nouveau la chronique en faisant machine arrière dans son rachat – déjà commenté par la planète entière – de Twitter. À l’appui de ses atermoiements, qui prennent désormais des atours juridiques, il indique notamment que la proportion de faux comptes serait de l’ordre de 20% tandis que la direction du réseau social l’estime à 5%. Difficile à vérifier et, au fond, les faux comptes sont consubstantiels de l’idée même des réseaux sociaux. Manœuvre géniale, caprice enfantin, reculade, les qualificatifs, comme souvent, polarisent le débat.
Plus insolite, Elon Musk se fend publiquement d’un conseil aux twittos (nom donné aux utilisateurs du réseau Twitter): il leur suggère de modifier, dans les paramètres, le mode d’affichage des tweets – en clair de désactiver la présentation automatisée (l’Accueil) au bénéfice de la présentation des tout derniers tweets. En apparence anodin, le changement, une fois opéré, modifie radicalement les informations transmises.
Sans le traitement de l’algorithme, qui connait nos préférences mieux que quiconque, le fil de tweets se révèle en fait d’une platitude extrême. Rassurant pour qui veut, en temps réel, de lire sans délai chaque nouveau tweet. Angoissant pour celui qui, comme beaucoup, aime qu’on lui présente des contenus adaptés. Soyons honnêtes: je suis revenu au mode initial en moins de quinze minutes.
Mais l’exercice demeure un rappel aussi brutal que salvateur: nous sommes parfaitement dépendants des algorithmes, et les contenus qui ne passent pas au travers d’un filtre de personnalisation nous apparaissent désordonnés, dilués et inintéressants. La question de la transparence algorithmique, désormais fréquemment abordée, doit ainsi être examinée sous l’angle de la dépendance, y compris psychologique, que nous avons développée à l’endroit de la personnalisation. Il n’est plus question d’une caractéristique optionnelle, d’une forme de confort, mais bien plutôt d’une exigence, d’un besoin primal. Il est bon de le rappeler.
Le numérique sera primal
Je voulais aussi vous parler de l’extraordinaire Bal de Paris de Blanca Li, un spectacle immersif accueilli par le cinéma Plaza jusqu’à dimanche dernier. Harnaché d’un casque de réalité virtuelle, d’un sac à dos et de capteurs sur les bras et les jambes, le spectateur devient immédiatement acteur d’une monde virtuel poétique et déglingué où se conjuguent le virtuel absolu et le réel transposé (deux danseurs professionnels dont les avatars s’inscrivent dans le voyage).
Quant aux avatars des autres participants, ils plongent le visiteur dans une Alice qui verrait son pays des merveilles transporté en 2022: des femmes élégantes à la tête de lapin et des Messieurs en frac surplombés d’un visage de chat évoluent avec élégance et timidité au sein de décors étourdissants, évolutifs, d’une beauté troublante. Les cinq sens sont sollicités: la vue, naturellement, mais aussi l’odorat (les bouquets de fleurs virtuelles exhalent un puissant et magnétique parfum), le toucher (la balade en bateau élégant - l’un des tableaux de ce spectacle total - va de pair avec le ressenti d’un tendre zéphyr). Et s’agissant du toucher, lors des danses endiablées de ces bals fastueux, une main parfois se tend. La saisir pour une brève valse ou une ronde entraîne une folle confusion des sens: dans un univers virtuel entièrement inexistant se tend la main de chair de Dame lapin ou de Monsieur chat.
Qui est ce spectateur ou cette spectatrice partenaire de danse d’un instant? Impossible de le savoir. Retisser du lien par les actions conjuguées de la déréalisation, du hasard et de la danse, voilà la promesse curieuse mais infiniment souriante de ce voyage onirique qui fait se transmuter les pensées et les êtres. Ce siècle n’a décidément pas fini de nous surprendre.